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vertu d'autrui, et encore moins la fortune : il n'y a pas d'envie qui soit noble ni permise.

21. On abuse de toutes les choses: il n'y a que la vertu dont on ne saurait abuser; elle seule rend heureux et glorieux son possesseur.

22. Un prince qui règne doit faire régner Dieu partout où il commande; il doit renvoyer à Dieu toute sa grandeur, toute sa gloire, et lui en faire un perpétuel hommage.

23. Il faut qu'un prince se considère comme un esclave couronné par la multitude; esclave qui travaille pour des gens qui ne connaissent ni ce qu'il fait, ni ce qu'il souffre pour eux, et qui ne saurait même les rendre jamais satisfaits, quelques merveille qu'il fit.

24. Les récompenses qu'on doit espérer des hommes sont l'injustice et l'ingratitude : il n'en est point d'autres; ce sont les fruits d'ici-bas. La véritable gloire et la félicité nous attendent dans le ciel et ne se trouvent pas sur la terre.

25. Si les princes connaissaient tous les devoirs qui leur sont imposés, aucun ne voudrait l'être.

26. La félicité des peuples fait la grandeur et la gloire des princes. Toute autre est fausse et injurieuse aux princes mêmes.

27. Les hommes n'apprécient pas les grands princes de leur vivant, et ne les connaissent qu'après les avoir perdus.

28. Un prince qui, par son application, ses fatigues et un mérite extraordinaire, se rend digne de sa fortune, mériterait presque l'adoration des hommes, si l'idolâtrie n'était un crime. Je pense toutefois que celle-là serait la moins criminelle de toutes.

29. Tout homme qui n'est pas beaucoup au-dessus de son rang, quelque élevé qu'il soit, ne peut jamais le mériter.

30. Le plus grand plaisir que procure l'élévation, est celui de pouvoir faire du bien aux autres hommes, même à ses ennemis et aux ingrats.

31. Tout homme qui prétend à la reconnaissance de ses bienfaits, mérite l'ingratitude qui en est presque inséparable.

32. Le monde n'a pas de quoi satisfaire un grand cœur, quand même il se donnerait tout entier à lui.

33. On ne se repent jamais d'avoir pardonné les offenses, mais on se repent presque toujours de les avoir punies, quelque juste qu'ait été la punition.

34. Un grand cœur ne peut se venger quand il est faible, et ne veut pas se venger quand il est fort.

35. Il ne faut jamais se venger que par des bienfaits: toute autre vengeance n'est pas digne d'une âme héroïque.

36. Il n'est pas de plaisir plus grand ni plus doux que celui qu'on ressent lorsqu'on a fait quelque bonne action; ni de victoire plus glorieuse que celle qu'on remporte sur soi-même.

37. 11 importe fort à un homme d'honneur

de bien connaître les devoirs de son état, et de s'en acquitter dignement, sans y manquer jamais, ni par crainte, ni par intérêt.

38. Si l'on s'acquittait de tous les devoirs de la vie en vue de Dieu, et comme n'ayant d'autre but que de lui obéir et de lui plaire, on ferait toutes choses noblement et dignement.

39. L'oubli de Dieu nous jette dans les plus grands désordres et les plus grands malheurs.

40. Le repentir redresse toutes nos fautes, mais l'amour de Dieu les efface tout à fait; Dieu pardonne tout à l'amour qu'on lui porte.

41. Tous les défauts qui proviennent de la force se peuvent corriger; mais ceux qui naissent de la faiblesse se détruisent rare

ment.

42. Il y a des hommes qui ne paraissent sages que parce qu'ils sont stupides.

43. Quoi qu'on nous dise de nos défauts ou de notre mérite, on ne nous apprend rien de nouveau, et nous en savons toujours sur nous-mêmes plus qu'on ne nous en dit, pourvu qu'on nous dise la vérité.

44. Tout homme qui craint la mort n'est capable de rien de grand.

45. Il ne faut ni craindre ni désirer la mort.

46. On ne doit pas s'étonner que les hommes aient des faiblesses et des défauts, mais on doit admirer ceux qui n'en ont pas, s'il s'en trouve.

47. J'estime Cyrus, Alexandre, Scipion, César, Almanzor, parce qu'il me semble que leurs âmes étaient encore plus grandes que leur fortune.

48. Les grandeurs sont comme les parfums: ceux qui les portent ne les sentent pas ou ne les sentent que peu.

49. La conscience est l'unique miroir qui ne trompe, ni ne flatte: elle laisse tout voir et tout sentir.

50. La véritable humilité, aussi bien que les autres vertus, ne se produit en nous que par le regard que nous fixons en Dieu. Rien ne nous persuade mieux notre néant que sa grandeur nous voyons bien mieux ce néant par lui que dans nous-mêmes. Toute autre humilité n'est que l'orgueil déguisé.

51. La tranquillité d'âme dont se vantaient les anciens philosophes était fausse, euxmêmes n'étaient que des fanfarons.

52. Nos hypocrites ont pris leur place dans le monde: ils jouent la même comédie, avec d'autres grimaces et un extérieur différent.

53. Souvent il n'y a pas de gens plus scélérats au monde que ceux qui font profession de valoir mieux que les autres hommes.

54. Si l'on prenait autant de soin d'être honnête homme que l'on en prend de le paraître, on deviendrait véritablement quelque chose de grand.

55. Nous avons un juge qui est Dieu, et un témoin qui est notre conscience. Ni l'un ni l'autre ne se peuvent tromper il faut compter pour rien tout le reste du monde.

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56. La vertu n'a ni habit, ni couleur, ni livrée qui lui soit propre : elle n'affecte aucun extérieur par lequel elle se distingue.

57. Le désespoir est l'effet de la faiblesse et de la vanité.

58. Tout homme qui a fait une bonne action doit en remercier celui qui la lui a inspirée, puis il doit être le premier à l'oublier. 59. On ne doit jamais parler de soi-même, ni en bien ni en mal.

60. Il ne faut compter pour rien le passé, et vivre toujours sur de nouveaux frais.

61. On ne doit même se souvenir de ses fautes) que comme les pilotes, qui ne marquent les écueils qu'ils ont rencontrés qu'a

fin de les éviter.

62. L'amour-propre n'est pas aussi criminel qu'on le dépeint. Le moyen de ne s'aimer pas? Dieu veut que nous nous aimions, puisqu'il nous ordonne de l'aimer plus que nous-mêmes, et d'aimer notre prochain comme nous-mêmes. Toutefois, l'amour de soi-même, ni celui qu'on a pour les créatures, ne peut être légitime, si nous n'aimons nous-mêmes et toutes les créatures en Dieu, pour Dieu et au-dessous de Dieu.

63. On ne doit jamais faire à autrui que ce qu'on veut bien qu'on fasse à soi-même. Cette loi est très-juste, mais peu pratiquée: on serait trop heureux si elle était en usage.

64. Tout ce qui plaît est permis, mais rien ne doit plaire que ce qui est juste et raisonnable.

65. Tout ce qui n'est pas honnête ne peut être utile.

66. Il faut pouvoir jouir de tout sans scrupule, et se passer de tout sans douleur.

67. Dieu doit être notre but, et sa volonté notre règle.

68. Quelque résolution que prenne notre esprit, nous avons un corps qui peut bien se passer du superflu, mais non pas du nécessaire.

69. Le passé est écoulé, l'avenir est incertain; le présent n'est qu'un point; mais de ce terrible point dépendra un jour notre éternité.

70. Les hommes ne seraient ni traîtres, ni menteurs, s'ils n'étaient en même temps faibles et sots.

71. On doit s'efforcer d'être en réalité ce que l'on veut paraître.

72. La flatterie n'est pas toujours si dangereuse qu'on se l'imagine. Au lieu de donner de la vanité, elle peut aussi faire honte à ceux qui reçoivent un encens qu'ils ne méritent pas, et leur inspirer alors le dessein de s'en rendre dignes.

73. Je défie à tous les tlatteurs du monde de faire croire à un tyran qu'il est aimé, à un sot qu'il est habile, à un poltron qu'il est brave, à un ignorant qu'il sait, à une vieille qu'elle est jeune, à une femme de mauvaise vie qu'elle est chaste il n'y a que la vérité qui nous persuade.

(2) Maximes et pensées de Cicéron.

74. Tout crime est une rude pénitence pour celui qui l'a commis.

75. Il faut unir la fortune à la vertu pour être heureux et content. Toutefois, on peut se passer de la fortune, tandis qu'on ne saurait, sans être malheureux, se passer de la vertu; car on ne pourrait sans elle plaire à Dieu.

76. Il est plus facile de tromper les autres que nous-mêmes à notre propre endroit.

77. Ceux qui ont appelé la jeunesse une fièvre ont peut-être raison; mais je voudrais que cette fièvre ne durât pas toute ma vie, quand même elle me ferait rêver.

78. Les bienfaits font presque toujours des ingrats, rarement des amis; mais cela aussi souvent qu'on le peut. ne doit pas empêcher qu'on ne fasse le bien

79. L'éclat d'un mérite héroique éblouit comme le soleil. Les hommes alors ne le

pénètrent pas et ne sauraient lui donner son prix.

80. On devrait être plus avare de son temps que de) son argent, et pourtant on prodigue cette chose si précieuse d'une manière pitoyable.

81. Les distractions, les plaisirs sont nécessaires à la vie, comme le repos, la nourriture et le sommeil; mais il faut s'attacher à ne s'en procurer que d'honnêtes, et même ceux-là par intervalles et avec mesure.

CICERONIANA (2). 1. Par l'esprit humain, tel qu'il est, nous devons juger qu'il y a quelque autre intelligence supérieure et divine. Car d'où viendrait à l'homme, dit Socrate dans Xénophon, l'entendement dont il est doué? On voit que c'est à un peu de terre, d'eau, de feu et d'air, que nous devons les particules solides de notre corps, la chaleur et l'humidité qui y sont répandues, le souffle même qui nous anime. Mais ce qui est bien au-dessus de tout cela, j'eutends la raison, et, pour le dire en plusieurs termes, l'esprit, le jugement, la pensée, la prudence, où l'avons-nous pris?

2. Qu'il y ait un être supérieur qui subsistera toujours et qui mérite le respect et l'admiration des hommes, c'est de quoi la beauté de l'univers et la régularité des astres nous forcent de convenir. On doit, par conséquent, nourrir et répandre une religion éclairée, mais en même temps extirper la superstition.

3. Il en est de la piété comme de toutes les autres vertus: elle ne consiste pas, en vains dehors. Sans elle, il n'y aura ni sainteté, ni religion; et dès-lors quel dérangement, quel trouble parmi nous ! Je doute si, d'éteindre la piété, ce ne serait pas anéantir la bonne foi, la société civile et la principale des vertus, qui est la justice.

4. Qu'y a-t-il de plus heureux qu'un homme qui, parvenu à une exacte connaissance des vertus, n'a point de lâche complaisance pour les sens, et foule aux pieds la volupté, comme quelque chose de hon

veut-elle avoir? il faut donner. Appellet-elle ? il faut accourir. Elle congédie? il faut se retirer. Elle menace? il faut trembler. Pour moi, cet homme-là, fût-il du sang le plus noble, je tiens que, c'est, non un esclave simplement, mais le plus vil de tous les esclaves.

teux; qui ne craint ni la douleur ni la mort, qui chérit tendrement les siens et met au nombre des siens tout ce qu'il a de semblables; qui honore religieusement Dieu, et le sert purement; qui, comme nous ouvrons les yeux du corps pour distinguer les objets, emploie de même les yeux de l'esprit pour discerner le bien et le mal. 5. On ne peut absolument trouver sur la terre l'origine des âmes; car il n'y a rien dans les âmes qui soit mixte et composé, rien qui paraisse venir de la terre, de l'eau, de l'air ou du feu. Tous ces éléments n'ont rien qui fasse la mémoire, l'intelligenee, la réflexion; qui puisse rappeler le passé, prévoir l'avenir, embrasser le présent. Jamais on ne trouvera d'où l'homme reçoit ces divines qualités, à moins de remonter à Dieu. Par conséquent, l'âme est d'une nature singulière, qui n'a rien de commun avec les éléments que nous connaissons. Quelle que soit donc la nature d'un être qui a sentiment, intelligence, volonté, principe de vie cet être-là est céleste, il est divin, et dès lors immortel.

6. Rien ne me paraît si louable que ce qui se fait sans ostentation et sans témoins: non que les yeux du public soient à éviter, car les belles actions demandent à être connues; mais enfin, le plus grand théâtre qu'il y ait pour la vertu, c'est la conscience."

7. Tout ce qui est pernicieux dans son progrès est mauvais en commençant. Or, la tristesse et toutes les autres passions, lorsqu'elles arrivent à un certain degré, sont pestilentielles. Donc, à les prendre dès leur naissance, elles ne valent rien; car, du moment qu'on a quitté le sentier de la raison, elles se poussent, elles s'avancent d'elles-mêmes; la faiblesse humaine trouve du plaisir à ne point résister, et insensiblement on se voit, si j'ose ainsi parler, en pleine mer, le jouet des flots.

8. Approuver des passions modérées, c'est approuver une injustice modérée, une lâcheté modérée; car prescrire des bornes au vice, c'est en admettre une partie; et, outre que cela seul est blåmable, rien n'est d'ailleurs plus dangereux. Le vice ne demande qu'à faire du chemin, et pour peu qu'on l'aide, il glisse avec tant de rapidité, qu'il n'y a plus moyen de le retenir.

9. Puisque l'amour dérange si fort l'esprit, comment lui donne-t-on entrée dans son cœur? car enfin, c'est une passion qui, comme toutes les autres, vient absolument de nous, de nos idées, de notre volonté. Et la preuve que l'amour n'est point une loi de la nature, c'est que, si cela était, tous les hommes aimeraient, ils aimeraient toujours; l'objet de leur passion ne varierait point, et l'on ne verrait pas l'un se guérir par la honte, l'autre par la réflexion, un autre par la satiété.

10. Regarderai-je comme un homme libre celui qu'une femme maîtrise, à qui elle impose des lois, à qui elle prescrit, ordonne, défend ce qu'elle veut, et sans qu'il puisse la refuser, lui résister en rien?

11. Quand on dit qu'il y a des gens portés naturellement ou à la colère, ou à la pitié, ou à l'envie, ou à quelque autre passion, cela signifie que la constitution de leur âme, si j'ose ainsi parler, n'est pas bien saine. Mais quelque penchant qu'on ait pour tel ou tel vice, on est cependant maître de s'en garantir; de même qu'on peut, quoique né avec des dispositions à certaines maladies, jouir d'une bonne santé.

12. Il y a cette différence entre les maladies de l'âme et celles du corps, que les unes peuvent arriver sans qu'il y ait de notre faute, au lieu que nous sommes toujours coupables des autres; car les passions, qui sont les maladies de l'âme, ne viennent que de notre révolte contre la raison; et cela est si vrai, que l'hoinme seul y est sujet. Les brutes n'en sont point susceptibles, quoiqu'il y ait quelque ressemblance entre les passions et ce qu'elles font.

13. Un goût remarquable et qui est particulier à l'homme, c'est le désir de connaître le vrai. Que nous ayons du loisir et l'esprit libre, nous nous sentons cette envie de voir, d'entendre, d'apprendre, persuadés que, pour être heureux, il nous est nécessaire d'approfondir les choses qui nous sont cachées, ou qui nous causent de l'admiration.

14. Telle est l'envie de savoir et d'apprendre avec laquelle nous venons au monde, qu'il est clair que c'est un penchant qui, toute utilité à part, est naturel à l'homme. Remarquez-vous que la crainte du châtiment ne peut même quelquefois empêcher les enfants d'être curieux ? Vous les aurez rebutés, ils vous questionneront encore. Quelle joie pour eux d'avoir enfin appris ce qu'ils voulaient, et quelle démangeaison de le raconter à d'autres!

15. Quand même les lettres ne produiraient pas de grands fruits, et à n'y chercher que le plaisir, au moins ne leur refusera-t-on pas, je crois, d'être le délassement le plus doux et le plus honnête. Tous les autres plaisirs ne sont ni de tous les temps, ni de tous les âges, ni de tous les lieux. Mais les lettres sont l'aliment de la jeunesse et l'amusement de la vieillesse; elles nous donnent de l'éclat dans la prospérité, et sont une ressource, une consolation dans l'adversité. Elles font les délices du cabinet sans embarrasser ailleurs; la nuit, elles nous tiennent compagnie; aux champs, et dans nos voyages, elles nous suivent.

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16. Il y a toutefois deux inconvénients à fuir, en se livrant à un goût si naturel et si louable l'un, de croire qu'on sait ce qu'on ne sait point, et d'avoir la témérité de s'y opiniâtrer. Pour se garantir de ce danger, ainsi que nous devons tous le

vouloir, il faut donner à l'examen de chaque matière et l'attention et le temps qu'elle demande. L'autre inconvénient est de s'appliquer, et avec trop d'ardeur, à des choses obscures, difficiles et qui ne sont point nécessaires. Qu'on évite ces deux écueils, on sera vraiment estimable de s'attacher à quelque science honnête et digne de curiosité.

17. Heureux, dit très-bien Platon, l'homme qui peut, ne fût-ce que dans sa vieillesse, parvenir à être sage et à penser sainement!

18. Quelquefois, d'un côté, on croit voir l'utile, et de l'autre !'honnête. On se trompe; car l'utile n'est jamais où n'est pas l'honnête. Un homme qui doute de cette vérité ne saurait être qu'un fripon, un scélérat.

19. On prétend qu'il y a divers genres d'orateurs, ainsi que de poëtes, c'est ce qui n'est point. A la vérité, il y a des poëtes tragiques, il y en a de comiques, d'épiques, de lyriques, et ce sont autant de genres différents. Dans la tragédie, le comique fait un mauvais effet, le tragique n'en fait pas un meilleur dans la comédie : ainsi des autres espèces de poésies. Le ton de chacune est marqué, et les connaisseurs ne s'y trompent point. Mais, dans l'art oratoire, lorsqu'on dira que ceux-ci ont de la noblesse, de la force, de l'abondance, que ceux-là se bornent à la simplicité, à l'exactitude, à la précision, et qu'enfin il y en a qui tiennent comme le milieu entre ces deux caractères; ce sont là des différences qui portent, non sur l'art même, mais sur ceux qui le cultivent. On dit des orateurs ce qu'ils sont; mais à l'égard de l'éloquence, il sagit de savoir ce qu'elle doit être.

20. Un orateur parfait, c'est celui qui sait instruire son auditeur, lui plaire et le toucher. Instruire est d'obligation; plaire est de surérogation; toucher est de toute nécessité. Que les uns remplissent mieux ces devoirs, et les autres moins bien, cela dit inégalité de mérite, mais dans un même genre. Ainsi, l'orateur est parfait, ou médiocre, ou mauvais, selon qu'il remplit ses devoirs parfaitement, médiocrement ou mal. Tous ont le titre d'orateurs, comme le plus misérable peintre est appelé peintre. Ce n'est point l'art qui met de la différence entre eux, c'est le talent. Aussi n'y a-t-il point d'orateur qui ne voulût ressembler à Démosthènes. Mais Ménandre n'a point voulu ressembler à Homère: il travaillait dans un autre genre. Voilà ce qui n'est point vrai des orateurs. Si l'un, sous prétexte qu'il cherche à mettre de la force dans son discours, néglige la précision; si l'autre, pour être plus serré, ne s'attache point aux ornements; quoique l'un et l'autre se fassent supporter, on ne dira d'aucun d'eux qu'il soit parfait, car la perfection est l'assemblage de toutes les bonnes qualités.

21. Je crois pouvoir dire avec vérité que la poésie est celi de tous les beaux-arts où l'on a le moins de chefs-d'œuvre; et ce

pendant, à examiner ce que Rome et la Grèce ont produit dans ce genre-là même où il est si rare d'exceller, on verra qu'il y a encore bien moins de bons orateurs que de bons poëtes.

22. Mais ce qui augmente encore ici la surprise, c'est que, pour les autres sciences, il faut chercher au loin et creuser profondé– ment, au lieu que l'orateur n'emploie que des raisons et des expressions qui appartiennent à tout le monde; tellement que ce qu'on admire le plus dans les autres sciences, c'est ce qui est le moins à la portée des ignorants et le moins intelligible; qu'en matière d'éloquence, au contraire, le plus insigne défaut est de ne pas parler comme les autres, et pour se faire entendre de

tous.

23. Avoir un ami, c'est avoir un autre soi-même. Quand l'un est absent, l'autre le remplace. Si l'un est riche, l'autre ne manque de rien; si l'un est faible, l'autre lui donne ses forces. Et, pour dire quelque chose de plus, celui qui meurt le premier renaît dans la constante estime, dans le souvenir tendre, dans les continuels regrets de l'autre. Pour le mort, il semble que ce soit une douceur, et pour le survivant un mérite.

24. On est obligeant et généreux, non pour avoir du retour, mais parce qu'on se livre à son penchant naturel. Un bienfait et l'usure ne vont pas ensemble. Aussi doiton, tout intérêt à part, ne chercher dans l'amitié que ce qui provient d'elle, l'avantage d'aimer et d'être aimé.

25. Rien au monde n'est reconnu généralement pour utile que l'amitié. Plusieurs, contents de peu et qui ne connaissent ni bonne chère, ni luxe, ne font nul cas des richesses. Pour une infinité d'autres, rien de si frivole, rien de si vain que ces mêmes honneurs qui ont tant d'appas pour certaines gens; ainsi de tout le reste. Ce qui enchante les uns, est néant aux yeux des autres. Mais sur l'amitié il n'y a qu'une voix ; et ceux qui gouvernent les affaires publiques, et ceux qui se livrent par goût à l'étude, et ceux enfin que le plaisir occupe uniquement; tous, sans exception, trouvent que vivre sans amis, c'est ne pas vivre, si l'on veut tenir de l'honnête homme par quelque endroit.

26. Oui, c'est la vertu qui fait naître l'amitié, et c'est la vertu qui la rend durable.

27. Pour ceux qui n'ont point de ressource dans eux-mêmes, tout âge est difficile à passer. Mais, lorsqu'on tire de son propre fonds toute sa félicité, on ne trouve rien de fâcheux dans les ordres de la nature. Appliquons cela surtout à la vieillesse. Tout le monde souhaite d'y parvenir, et quand on y est arrivé, tout le monde s'en plaint, tant il y a d'inconstance et d'injustice dans les hommes qui ne raisonnent pas. La vieillesse, disent-ils, est venue à eux sourdement et bien plus vite qu'ils ne s'y attendaient. Mais, s'ils ont mal supputé, à qui la faute? Car la vieillesse s'est-elle

plus vite glissée après la jeunesse, que la jeunesse après l'enfance? Mais, de plus, leur serait-elle moins onéreuse, au bout de huit cents ans, qu'elle ne l'est au bout de quatre-vingts ans? Tout le passé, quelque fong qu'il fût, ne pourrait, étant passé, consoler une folle vieillesse et l'adoucir.

28. Je n'ai jamais goûté ce vieux proverbe, qui est si commun, que, pour être longtemps vieux, il faut l'être de bonne heure. Pour moi, plutôt que de l'être avant terme, j'aime mieux l'être moins longtemps.

29. Roidissons-nous contre la vieillesse. Que l'attention redoublée de notre part compense les torts qu'elle peut avoir. Traitonsla comme une maladie contre iaquelle il faut lutter. Prenons soin de notre santé; faisons un exercice modéré; buvons et mangeons pour réparer nos forces seulement, et non jusqu'à les outrer; mais pourvoyons aux besoins de l'esprit autant et plus qu'à ceux du corps. C'est une lampe où il faut mettre de l'huile, sans quoi la vieillesse l'éteint. Car ces sots vieillards de comédies, ainsi que parle Cécilius, c'est-à-dire, qui sont crédules, oublieux, négligents, ce n'est point leur âge qui les rend tels, c'est leur paresse, c'est qu'ils ne savent rien faire, c'est qu'ils ne fout que dormir.

30. J'aime que le jeune homme tienne un peu du vieillard, et que le vieillard tienne un peu du jeune homme. Observons cette règle, et notre corps pourra hien vieillir; mais notre esprit, non.

31. Quel est l'insensé qui tienne pour sûr, fût-il à la fleur de l'âge, qu'il vivra jusqu'au soir? Un jeune homme a même plus de risques à courir que nous. C'est un âge où les maladies sont plus communes, plus aiguës, plus longues. Aussi voit-on peu de gens vieillir. On s'en trouverait bien mieux que cela fût autrement; car le bon sens et la prudence n'appartiennent qu'aux vieillards.

32. Rien de ce qui doit finir ne me paraît long. Quand la fin est venue, alors tout ce qui a précédé n'est plus. Il n'en restera que ce que la vertu et les bonnes actions vous auront mérité. Les heures, les jours, les mois, les années s'écoulent; le temps passé ne revient jamais, et il n'est pas possible de savoir ce qui suivra.

33. Peut-on donner dans ce préjugé ridicule, qu'il est bien triste de mourir avant le temps? et de quel temps veut-on parler? De celui que la nature a fixé? mais elle nous donne la vie comme on prête de l'argent, sans fixer le terme du remboursement. Pourquoi trouver étrange qu'elle la reprenne quand il lui plaît ? Vous ne l'avez reçue qu'à cette condition.

34. Quoiqu'à toute heure mille accidents nous menacent de la mort, et que même sans accidents, elle ne puisse jamais être bien éloignée, vu la brièveté de nos jours, cependant elle n'empêche pas le sage de porter ses vues le plus loin qu'il peut dans l'avenir, et de regarder l'avenir comme étant à lui, en tant que la patrie et les

siens y sont intéressés. Tout mortel qu'il se croit, il travaille pour l'éternité, et le motif qui l'anime, ce n'est pas la gloire, car il sait qu'après sa mort il y sera insensible; mais c'est la vertu dont sa gloire est toujours une suite nécessaire, sans que l'on y ait même pensé.

35. Un effet singulier de la nature, et de cette raison qu'elle a donnée en partage à l'homme, c'est qu'il est de tous les animaux le seul qui ait une idée de l'ordre, de la décence, d'une règle à observer dans les actions ef dans les discours. Aussi est-il le seul qui, dans les objets dont les sens peuvent juger, soit touché du beau, et sache ce que c'est que justesse des proportions. Et ces mêmes idées dont ses yeux sont frappés, sa raison les lui fait appliquer aux opérations de l'âme. Il conçoit que la beauté, la règle, l'ordre, sont encore bien plus à ménager dans ses projets, dans ses démarches; et, attentif à n'oublier jamais la décence, à ne montrer aucune faiblesse, il ne se permet de rien penser, de rien faire d'irrégulier.

36. « Je ne suis jamais moins seul qu'étant seul, ni plus occupé que quand je n'ai rien à faire, » disait souvent celui des Scipions qui le premier a porté le nom d'Africain on lit cela dans Caton. Pour ces belles paroles, si dignes d'un grand homme sage, on voit que Scipion, ne connaissant point l'oisiveté, employait son loisir à méditer des projets; et se parlant à lui-même, n'avait pas besoin de compagnie pour avoir de l'entretien. Ainsi le manque d'occupation, et la solitude, deux choses qui rendent les autres paresseux, étaient un aiguillon pour lui.

37. Pour nous déterminer avec sagesse, nous avons premièrement à consulter nos dispositions naturelles; et secondement, la situation de notre fortune. Mais nos dispositions surtout, car elles sont bien moins capables de changer.

38. Respectons les hommes, et non seuicment les honnêtes gens, mais le public en général. Pour mépriser ce qu'il pense de nous, il faut plus que de l'orgueil, il faut ne conserver pas un reste de probité et d'honneur.

39. Pour arriver à la gloire par le plus court chemin, appliquons-nous, disait très bien Socrate, à être réellement ce que nous avons envie de paraître. On se trompe fort, si l'on se flatte de pouvoir constamment mériter l'estime des hommes par de vains dehors, par un masque de vertu, par un air, par un langage étudié. Tout ce qui n'est qu'apparent dure peu: ce sont ces fleurs qui, à peine écloses, tombent de l'arbre; mais la véritable gloire tient à de profondes racines, et croît toujours.

40. On est bien malheureux de concevoir des projets criminels; et le comble du malheur, ce n'est pas de manquer l'exécution, c'est de goûter le projet.

41. Trouve-t-on beaucoup de philosophes dont les mœurs, dont la façon de penser, dont la conduite soient conforme à la raison?

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