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lontiers ceux qui ne sont pas les serviles adorateurs du fait, mais qui aiment à savoir d'où viennent les choses et comment elles sont parvenues jusqu'à nous, cette question nous nous la sommes adressée, et nous avons tenté de la résoudre. Nos origines médicales ont été l'objet de patientes recherches; des esprits exercés à tous les labeurs de l'érudition la plus savante et la plus sévère ont remonté bien haut dans la nuit des temps pour découvrir les rudiments de cette science, contemporaine du berceau des nations, et nous n'avons pas la prétention de leur enseigner de nouvelles routes pour arriver à la vérité. Mais à côté des travaux qui ont illustré plusieurs de nos maitres, il y a place pour des œuvres moins sérieuses, d'une moindre portée peut-être, et cependant dignes d'intérêt, car elles contribuent à jeter un peu de lumière sur des questions que les plus éminents critiques n'ont pu résoudre entièrement.

La médecine, telle qu'elle existe aujourd'hui, est évidemment grecque, elle a sa source dans la collection hippocratique, elle est et sera l'éternel honneur du vieillard de Cos, et les observateurs modernes les plus attachés à la constatation des faits matériels qui constituent pour eux la maladie, ne répudieront jamais, il faut l'espérer, ce noble héritage. d'un passé que tant de siècles ont presque divinisé.

Mais avant les écrits d'Hippocrate il y avait, non-seulement dans la mémoire des peuples mais encore dans l'enseignement oral des philosophes, dans les récits des poètes, des historiens, une médecine vulgaire, fruit direct de l'observation, qui ne prit le caractère de science réglée que quand le génie des Asclepiades s'en fut emparé. Homère, Hésiode, Sapho, Ésope, Anacréon, Eschyle, Pindare, Sophocle, ces enfants de la muse primitive, ont parlé des maladies et de leurs remèdes; Solon, Thalès, Pythagore, Hérodote, Thucydide, historiens et législateurs, ont protégé la santé des peuples et raconté les épidémies meurtrières qui ravagèrent les nations; Socrate, qui s'occupait surtout des infirmités de l'âme, les comparait à celles du corps, et

enseignait le moyen de les guérir en usant de procédés presque médicaux. Tous ces hommes ont vécu avant le vieillard de Cos, tous ont connu cette science qu'Hippocrate désignait déjà de son temps sous le nom de prisca medicina, et bientôt, peut-être, nous sera-t-il permis de faire voir que les plus anciens monuments de la littérature grecque contiennent en foule des notions médicales trop négligées jusqu'ici.

Peut-on dire la même chose des ouvrages latins? Trouverons-nous dans les rares écrits antérieurs au siècle d'Auguste, la trace de cette médecine qui a précédé les traités didactiques des hommes de l'art? C'est ce que nous avons voulu vérifier : nous avons essayé de recueillir les témoignages précieux de l'existence des idées médicales au milieu d'une nation qui se vantait presque de ne pas avoir de médecins, nous avons poursuivi cette recherche jusqu'à l'époque où la science régulière signala sa présence à Rome par des œuvres restées classiques, et où des hommes justement autorisés firent école en propageant ou en modifiant les doctrines hippocratiques. Il nous a semblé utile de voir ce qu'était cette médecine sans médecins; de constater l'importance du rôle qu'elle remplissait dans une société d'abord si dédaigneuse des lettres et des arts; de montrer comment la science s'est constituée peu à peu, à l'insu des hommes qui affectaient de la mépriser; d'indiquer ses progrès, sa diffusion, et enfin la place qu'elle tenait dans le langage de la foule, dans les drames qu'on représentait sur le théâtre, dans les poèmes qui racontaient les antiques traditions du Latium, en un mot, dans cette littérature populaire confiée à la mémoire de tous, que l'on récite, que l'on chante avant de l'écrire, et qui renferme les meilleurs documents de l'histoire primitive des peuples.

Lorsque, à propos d'une nouvelle traduction en vers de Juvénal, nous publiâmes dans la Gazette médicale de Paris une série d'articles destinés à montrer quelle place tenait la médecine dans les œuvres des poètes latins, nous cé

dions au plaisir de retrouver la trace de nos lectures de prédilection, de tirer parti de notes depuis longtemps oubliées, de réaliser enfin un programme qu'il nous paraissait important de remplir. Cette entreprise était-elle absolument neuve, personne jusqu'ici n'avait-il eu la pensée de demander à la pléiade poétique des enfants de la louve ce que leurs œuvres doivent à la médecine, ce qu'elles ont pu lui prêter, enfin, avait-on institué un commentaire médical des. poètes latins? Il est difficile d'avoir une idée nouvelle en matière d'érudition; dans les deux cents ans qui ont suivi l'invention de l'imprimerie, la littérature romaine a été remuée de fond en comble; une foule de savants dont la patience et le zèle étaient à toute épreuve ont creusé cette mine inépuisable, et les trésors qu'on leur doit forment le glorieux patrimoine des lettres modernes. Mais enfin, si quelques dissertations spéciales sur des maladies indiquées par les anciens poètes ont amusé la curiosité de certains amateurs, on peut affirmer qu'aucun travail d'ensemble n'a été entrepris sur le côté médical de ces sortes d'ouvrages, et nous espérons prouver qu'il y a eu quelque utilité à se charger de ce soin.

Un de nos savants confrères, le professeur Bouisson, de Montpellier, a publié en 1843 quelques articles pleins d'intérêt sur la médecine et les poètes latins. Ceux qui voudront étudier cet essai plein d'idées élevées, de vues ingénieuses et dont la forme élégante indique la source d'où elle émane, se convaincront sans peine que nos œuvres sont indépendantes l'une de l'autre, et que, à part quelques analogies toutes naturelles dans des travaux sur un sujet identique, chacun a suivi sa voie pour arriver à un but différent.

Il y a un grand plaisir à lire, à méditer les anciens livres, ceux-là surtout que l'admiration universelle des nations éclairées a placés dans toutes les bibliothèques, c'est-à-dire, dans les mains de tout le monde. Mais dans ce travail charmant, chacun apporte des goûts, des ins

tincts particuliers; chacun, éprouve une impression différente, en rapport avec la nature de son esprit, de son éducation, de sa profession. Est-il donc étonnant qu'un médecin qui consacre ses loisirs à une pareille récréation, soit frappé du grand nombre d'idées médicales répandues dans les œuvres des poètes? Ceux qui ont chanté les plaisirs ont très bien indiqué les maux qui naissent de l'abus des voluptés, ainsi que les maladies qui résultent des excès en tout genre que se permettaient les Épicuriens de profession. Notre science se retrouve à chaque page de ces poèmes, les lecteurs pourront facilement s'en convaincre, et peut-être nous sauront-ils gré d'avoir recueilli avec soin de sages préceptes revêtus d'une forme si séduisante.

Il y a des médecins, nous le savons, qui, grands partisans de l'utilité, et s'armant du principe hippocratique, vita brevis, ars longa, s'imaginent que toute excursion dans le domaine littéraire est interdite au médecin, et qui regardent comme entièrement perdues les heures consacrées à des amusements de ce genre. Nous leurs dirions volontiers, à ces confrères si rigides, que tout se tient dans l'intelligence humaine, que la musique influe heureusement sur le cerveau malade, que les beaux vers chassent la mélancolie, que l'aspect d'un paysage du Poussin fait rêver délicieusement, que les comédies de Plaute et de Molière font oublier, à force d'esprit, les attaques contre un certain art dont se moquent ces hommes divins. Permettez donc que l'on s'amuse en s'instruisant, qu'on rie un peu des travers de l'homme, de ses passions, de ses ridicules, des prétentions pédantesques de quelques confrères, de la vanité des Mondor de tous les temps, de la coquetterie des femmes, de la crédulité des amants, etc.

Si quelques médecins sont tentés de me trouver trop latiniste pour un desservant du temple d'Esculape, il ne manquera pas non plus de latinistes qui m'accuseront d'être trop médecin pour un érudit, et peut-être aura-t-on raison de part et d'autre. Le public m'appliquera sans doute un

mot de Plaute, à propos d'un pauvre animal tout prêt pour le sacrifice Inter sacrum saxumque stat, l'équivalent de notre dicton Il est entre l'enclume et le marteau; qu'y faire? En présence de ces tribunaux redoutables, il y a un coupable endurci, tout disposé à céder aux fantaisies d'un esprit indépendant. Il veut prendre son plaisir où il le trouve, il va où le mènent ses instincts, laissant à chacun le droit d'en agir à sa guise, et pour lui ne demandant pas autre chose. On peut dire de l'expérience: Cultor enim es juvenum, et ajouter avec Perse (satire ve), puryatas inseris aures fruge Cleanthea. L'âge dépose dans nos esprits le germe de la philosophie stoïcienne, et à force de voir la diversité des sentiments humains, on cède à ses propres inspirations quand elles sont légitimes, quand elles ont un but honnête, et surtout quand on n'oublie pas le précepte de Plaute, dans Trinumus:

Qui ipsus sibi satis placet, nec probus est, nec frugi bonæ.

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