à ce que l'idée religieuse se maintienne, parce que sans religion, ou avec l'irréligion, il n'y a plus aucune garantie de moralité; on aboutit à une civilisation purement matérielle, ce qui, comme le dit Portalis, est une vraie barbarie, barbarie civilisée pire que la barbarie sauvage, car la première est une marque certaine de décadence, tandis que l'autre a au moins des germes d'avenir. Or, le mal de l'époque moderne n'est-il pas précisément l'absence de moralité, une civilisation sans âme, sans foi? Ce mal n'est-il pas surtout celui qui mine la France? Nous n'oserions poser cette question redoutable, si nous ne trouvions la réponse dans des écrivains contemporains de la Révolution. En 1789, l'auteur des Révolutions de Paris s'écrie: « Les mœurs? nous n'en avons plus! IL N'Y A POINT DE NATION PLUS IMMORALE! » Loustalot ajoute que ce spectacle n'est point fait pour regretter le passé. La religion, en apparence, était florissante, malgré l'incrédulité des hautes classes; en réalité, elle manquait de ressort, puisqu'elle n'assurait point la morale publique (1). Tel était l'état des mœurs quand la Révolution éclata. La passion de la liberté tint lieu de foi aux hommes de 89 et de 93; mais des chutes fameuses attestent que l'amour de la liberté est un frein insuffisant pour les mauvais instincts, et qu'il manque de garantie, là où il n'y a pas de moralité. Le cri d'alarme jeté par Loustalot était un cri prophétique. La fièvre révolutionnaire passa, et la France se jeta corps perdu, et âme perdue, dans les bras d'un soldat. Elle s'est relevée, puis elle est retombée. Ces défaillances trop fréquentes ne tiennentelles point à l'immoralité signalée dès 89, par un écrivain qui avait le génie de la liberté? La liberté elle-même est donc intéressée à ce qu'il y ait une religion. Mais il faut que cette religion soit compatible avec la liberté, et le catholicisme en est l'ennemi mortel. N'est-ce pas une raison, diront les démocrates, pour maudire le concordat? Les démocrates se trompent en croyant que le principe du mal est dans le concordat; il est dans le catholicisme ultramontain. Le christianisme gallican, tel que Napoléon le rétablit, s'il n'est pas enthousiaste de liberté, l'accepte du moins, et il peut se concilier avec elle l'Église constitutionnelle en est une preuve. (4) Les Révolutions de Paris, introduction, pag. 10. Avant de condamner le concordat, il faut donc voir ce que la religion serait devenue en France, si Napoléon avait abandonné les sectes à leur rivalité. Il est plus que probable que les orthodoxes l'auraient emporté, car ils avaient pour eux le génie de l'unité, si puissant en France. Or, qu'est-ce que cette orthodoxie? C'est la religion romaine, l'ultramontanisme. L'Église catholique, quand elle est libre, abandonnée à elle-même, devient nécessairement ultramontaine, puisqu'à défaut de l'appui qu'elle trouvait dans l'État, elle recherchera celui de la papauté. Le concordat arrêta les progrès de l'ultramontanisme, en rattachant de nouveau l'Église à l'État, et cela sous un régime qui tenait au gallicanisme, comme à une base de son existence. Si l'empire avait duré, jamais l'ultramontanisme ne l'eût emporté. S'il a envahi la France, c'est grâce à la faiblesse des gouvernements, intéressés à ménager le clergé. Quoiqu'il en soit, l'ultramontanisme a fini par dominer dans la patrie de Bossuet. Est-ce une victoire ? L'unité est un élément de force qui pourrait le nier? Mais il faut voir ce que c'est que l'unité romaine. Les gallicans disaient au dix-septième siècle, que le gallicanisme avait sauvé la religion catholique en France, parce qu'il donne satisfaction au besoin de liberté et d'indépendance des nations. Ce besoin est allé croissant, depuis que la Révolution a transporté la souveraineté, des rois aux peuples. Si les princes ont été si jaloux de leur pouvoir, qu'ils ont pris l'initiative du schisme plutôt que de courber la tête sous le joug de Rome, croit-on que les peuples se soucieront moins de leurs droits? Il faut être aveugle pour ne pas voir que ce qui éloigne de l'Église la plupart de ceux qui la désertent, c'est précisément ce besoin d'indépendance que la société laïque éprouve. Or, s'il y a une doctrine inalliable avec la souveraineté de l'État, et avec la liberté de l'individu, c'est l'ultramontanisme. On dirait que la papauté, frappée de démence, tient à mettre au grand jour cette incompatibilité qui lui donnera le coup de mort. L'Europe a vu, en plein dix-neuvième siècle, un pape que l'on disait libéral, proclamer que l'Église ne peut et ne doit point transiger avec le libéralisme, c'est à dire avec la liberté à laquelle les hommes tiennent plus qu'à la vie. Et on dit que l'ultramontanisme est un triomphe pour la religion catholique! L'histoire à la main, nous prouverons que le catholicisme périra par l'excès de ses prétentions. Qui donc est vainqueur? La libre pensée. Cette liberté de penser n'est pas incompatible avec le christianisme : les sectes réformées en sont une preuve vivante. Il faut que le catholicisme entre dans la même voie de réformation. Ce n'est qu'à cette condition que s'accomplira l'alliance de la liberté et de la religion. |