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1726.

LETTRE XXXI.

A MADAME

LA PRESIDENTE DE BERNIERES.

A Londres, 16 octobre.

Je n'ai reçu qu'hier, Madame, votre lettre du

E

3 de feptembre dernier. Les maux viennent bien vite, et les confolations bien tard. C'en est une pour moi très - touchante que votre fouvenir: la profonde folitude où je fuis retiré ne m'a pas permis de la recevoir plutôt. Je viens à Londres pour un moment; je profite de cet inftant pour avoir le plaifir de vous écrire, et je m'en retourne fur le champ dans ma retraite.

Je vous fouhaite du fond de ma tanière une vie heureuse et tranquille, des affaires en bon ordre, un petit nombre d'amis, de la fanté, et un profond mépris pour ce qu'on appelle vanité. Je vous pardonne d'avoir été à l'opéra avec le chevalier de Roban, pourvu que vous en ayez fenti quelque confufion.

Réjouiffez-vous le plus que vous pourrez à la campagne et à la ville. Souvenez-vous quelquefois de moi avec vos amis, et mettez la conftance dans l'amitié au nombre de vos vertus. Peut-être que ma destiné: me rapprochera un jour de vous. Laiffez-moi efpérer que l'abfence ne m'aura point entièrement effacé dans votre idée, et que je pourrai retrouver dans votre cœur une pitié pour mes ma heurs, qui du moins reffemblera à l'amitié.

La

La plupart des femmes ne connaiffent que les passions ou l'indolence, mais je crois vous con. 1726. naitre affez pour efpérer de vous de l'amitié.

Je pourrai bien revenir à Londres inceffamment, et m'y fixer. Je ne l'ai encore vu qu'en pallant. Si à mon arrivée j'y trouve une lettre de vous, je m'imagine que j'y pafferai l'hiver avec plaifir, fi pourtant ce mot de plaifir eft fait pour être prononcé par un malheureux comme moi. C'était à ma fœur à vivre, et à moi à mourir; c'eft une méprise de la destinée. Je fuis douloureufement affligé de fa perte: vous connaissez mon cœur, vous favez que j'avais de l'amitié pour elle. Je croyais bien que ce ferait elle qui porterait le deuil de moi. Hélas! Madame, je fuis plus mort qu'elle pour le monde, et peut-être pour vous. Reffouvenezvous du moins que j'ai vécu avec vous. Oubliez tout de moi, hors les moment où vous m'avez affuré que vous me conferveriez toujours de l'amitié. Mettez ceux où j'ai pu vous mécontenter au nombre de mes malheurs, et aimez moi par générofité, fi vous ne pouvez plus m'aimer par goût.

Mon adreffe chez milord Bolingbroke, Londres.

T. 79. Correfp. générale. T. I. F

LETTRE XXXII

A M. ***. (7)

DANS ce pays-ci comme ailleurs il y a beau 1727. Coup de cette folie humaine qui confifte en contradictions. Je comprends dans ce mot les ufages reçus tout contraires à des lois qu'on révère. Il femble que, chez la plupart des peuples, les lois foient précisément comme ces meubles antiques et précieux que l'on conferve avec foin, mais dont il y aurait du ridicule à fe fervir.

Il n'y a, je crois, nul pays au monde où l'on trouve tant de contradictions qu'en France. Ail leurs les rangs font réglés, et il n'y a point de place honorable fans des fonctions qui lui foient attachées. Mais en France un duc et pair ne fait pas feulement la place qu'il a dans le parlement. Le préfident eft méprifé à la cour, précisément parce qu'il poffède une charge qui fait fa grandeur à la ville. Un évêque prêche l'humilité (fi tant eft qu'il prêche), mais il vous refufe fa porte fi vous ne l'appelez pas Monseigneur. Un Maréchal de France, qui commande cent mille hom mes, et qui a peut-être autant de vanité que l'évêque, fe contente du titre de Monfieur. Le chan celier n'a pas l'honneur de manger avec le roi, mais il précède tous les pairs du royaume.

(7) Ce fragment femble avoir fait partie d'une lettre écrite d'Angleterre.

Le roi donne des gages aux comédiens, et le curé les excommunie. Le magiftrat de la police a 1727. grand foin d'encourager le peuple à célébrer le carnaval; à peine a-t-il ordonné les réjouiffances qu'on fait des prières publiques, et toutes les religieufes fe donnent le fouet pour en demander pardon à DIEU. Il eft défendu aux bouchers de vendre de la viande les jours maigres, les rôtiffeurs en vendent tant qu'ils veulent. On peut acheter des eftampes, le dimanche, mais non des tableaux. Les jours de la Vierge on n'a point de fpectacles, on les repréfente tous les dimanches.

On lit dévotement à l'églife les chapitres de Salomon, où il dit formellement que l'ame eft mortelle, et qu'il n'y a rien de bon que de boire et de fe réjouir.

On fait brûler Vanini, et on traduit Lucrèce pour monfieur le dauphin, et on fait apprendre. par coeur aux écoliers, formofum paftor Corydon, etc. On fe moque du polythéisme, et on admet le trithéisme et les faints.

En Angleterre les ducs font appelés princes. La communion anglicane eft oppofée au gouver nement qui la tolère; la liberté, et les matelots enrôlés par force; défense d'injurier perfonne, mais permis de mettre la première lettre du nom,

etc.

Fa

1728.

LETTRE XXXIII.

A M. THIRIOT.

A Londres, 4 augufte.

Vorer qui vous furprendra, mon cher Thiriot,

c'eft une lettre en français. Il me paraît que vous n'aimez pas affez la langue anglaife pour que je continue mon chiffre avec vous. Recevez donc en langue vulgaire les tendres affurances de ma conf tante amitié. Je fuis bien aife d'ailleurs de vous dire intelligiblement que fi on a fait en France des recherches de la Henriade chez les libraires, ce n'a été qu'à ma follicitation. J'écrivis, il y a quelque temps, à M. le garde des fceaux et à M. le lieutenant de Police de Paris, pour les fupplier de fupprimer les éditions étrangères de mon livre, et fur tout celle où l'on trouverait cette misérable critique dont vous me parlez dans vos lettres. L'auteur eft un réfugié connu à Londres, et qui ne fe cache point de l'avoir écrite. Il n'y a que Paris au monde où l'on puiffe me foupçonner de cette guenille; mais odi profanum vulgus, et ar

o; et les fots jugemens et les folles opinions du vulgaire ne rendront point malheureux un homme qui a appris a fupporter des malheurs réels; et qui méprife les grands peut bien méprifer les fots. Je fuis dans la réfolution de faire inceffamment une édition correcte du poëme auquel je travaille toujours dans ma retraite. J'aurais voulu, mon cher Thiriot, que vous euffiez pu vous en charger pour votre avantage et pour mon

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