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1735.

vous l'ai dit, une traduction affez fidelle de la dernière fcène du Jules- Céfar de Shakespeare. Ce morceau devient par là un morceau fingulier et affez intéreffant dans la république des lettres. Voilà le point de vue dans lequel un journaliste devait examiner ma tragédie. Elle donne une véri table idée du goût des Anglais. Ce n'eft pas en traduifant des poëtes en profe qu'on fait connaître le génie poétique d'une nation, mais en imitant en vers leur goût et leur manière. Une differtation fur ce goût, fi différent du nôtre, était ce qu'on devait attendre de l'abbé Desfontaines. Il fait l'anglais; il doit avoir lu Shakespeare, il était à portée de donner fur cela des lumières au public. Si, au lieu de s'écrier, en parlant de ma pièce, que de mauvais vers! que de vers durs! il avait voulu diftinguer entre l'éditeur et moi, et s'attacher à faire voir en critique fage les différences qui fe trouvent entre le goût des nations, il aurait rendu un service aux lettres, et ne m'aurait point offenfé. Je me connais affez en vers, quoique je n'en faffe plus, pour affurer que cette tragédie, telle qu'on l'imprime à préfent en Hollande, eft l'ouvrage le plus fortement verfifié que j'aye fait. Tous les étrangers, qui retrouvent d'ailleurs dans cette pièce les hardieffes qu'on prend en Italie et à Londres, et qu'on prenait autrefois à Athènes, me rendent un peu plus de juftice que l'abbé Desfontaines et mes ennemis ne m'en ont rendu. Ils diftinguent entre le goût des nations et celui des Français; ils favent par coeur une partie de ces vers que l'abbé Desfontaines trouve fi durs

et fi faibles; ils difent que Brutus doit parler en Brutus, ils favent que ce romain a écrit à Cicéron $735. et à Antoine, qu'il aurait tué fon père pour le falut de l'Etat; ils ne me reprochent point un tutoiement qui eft fi noble en poéfie, que c'eft la feule manière dont on parle à DIEU; ils ne traitent point de controverfe l'admirable scène de Shakespeare, dont on n'a joué chez vous qu'une petite partie, et qu'on a imprimée fi ridiculement. Quand ils voient des vers tels que celui-ci :

A vos tyrans Brutus ne parle qu'au Sénat.

ils favent bien , pour peu qu'ils aient de connaiffance de la langue françaife, qu'un tel vers ne peut être de moi.

Je pardonne de tout mon cœur à l'abbé Desfon taines fi, dans les chofes défagréables qu'i a femés contre moi dans vingt de fes feuilles, il n'a point eu l'intention de m'outrager. Cepen dant, Monfieur, je vous enverrai, fi vous voulez, vingt lettres de mes amis qui me parlent de fon procédé avec beaucoup plus de chaleur que je n'en ai parlé moi-même. Enfin, Monfieur, quei qu'il en fuit, j'oublierai tout. Les difputes des =gens de lettres ne fervent qu'à faire rire les fots aux dépens des gens d'efprit, et à déshonorer les talens qu'on devrait rendre refpectables. Je puis vous affurer qu'il y a plus d'un ennemi de l'abbé Desfontaines qui m'a écrit pour me proposer des vengeances que j'ai rejetées. Je fouhaite qu'il revienne à moi avec l'amitié que j'avais droic d'attendre de lui; mon amitié ne fera pas altérée

par la différence de nos opinions. Vous pouvez 1735 lui communiquer cette lettre.

Je vous fuis attaché pour toute ma vie avec bien de la reconnaiffance.

LETTRE CLIX.

A L'ABBÉ DESFONTAINES,

Sur une rétractation de ce journaliste.
A Cirey, le 14 novembre.

Si l'amitié vous a dicté, Monfieur, ce que j'ai lu
dans la feuille trente-quatrième que vous m'avez
envoyée, mon cœur en eft bien plus touché que
mon amour - propre n'avait été bleffé des feuilles
précédentes. Je ne me plaignais pas de vous
comme d'un critique, mais comme d'un ami,
car mes ouvrages méritent beaucoup de cenfure;
mais moi je ne méritais pas la perte de votre amitié.
Vous avez dû juger à l'amertume avec laquelle je
m'étais plaint à vous-même, combien vos pro-
cédés m'avaient affligé; et vous avez vu, par mon
filence fur toutes les autres critiques, à quel point
j'y fuis infenfible. J'avais envoyé à Paris à plufieurs
perfonnes la dernière fcène traduite de Shakef
peare, dont j'avais retranché quelque chofe pour
la représentation d'Harcourt, et que l'on a encore
beaucoup tronquée dans l'impreffion. Cette fcène
était accompagnée de quelques réflexions fur vos
critiques. Je ne fais fi mes amis les feront im-
primer ou non; mais je fais que quoique ces

réflexions aient été faites dans la chaleur de mon reffentiment, elles n'en étaient pas moins 1735. modérées. Je crois que M. l'abbé Asselin les a ;

il peut vous les montrer, mais il faut regarder tout cela comme non avenu.

Il importe peu au public que la Mort de Céfar foit une bonne ou une méchante pièce; mais il me femble que les amateurs des lettres auraient été bien aifes de voir quelques differtations inftruo tives fur cette efpèce de tragédie qui eft fi étrangère à notre théâtre vous en avez parlé et jugé comme fi elle avait été deflinée aux comédiens français. Je ne crois pas que vous ayez voulu en cela flatter l'envie et la malignité de ceux qui travaillent dans ce genre; je crois plutôt que, rempli de l'idée de notre théâtre, vous m'avez jugé fur les modèles que vous connaiffez. Je fuis = perfuadé que vous auriez rendu un fervice aux = belles lettres fi, au lieu de parler en peu de mots de cette tragédie comme d'une pièce ordinaire, vous aviez faifi l'occafion d'examiner le théâtre anglais et même le théâtre d'Italie, dont elle peut donner quelque idée. La dernière fcène et quelques morceaux traduits mot pour mot de Shakespeare, ouvraient une affez grande carrière à votre érudition et à votre goût. Le Giulio-Céfare de l'abbé Conti; noble vénitien, imprimé à Paris il y a quelques années, pouvait vous fournir beaucoup. La France n'eft pas le feul pays où l'on faffe des tragédies; et notre goût, ou plutôt notre habitude de ne mettre fur le théâtre que de longues converfations d'amour, ne plaît pas

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chez les autres nations. Notre théâtre eft vide d'ac 1735. tion et de grands intérêts, pour l'ordinaire. Ce qui fait qu'il manque d'action, c'eft que le théâtre eft offufqué par nos petits-maîtres; et ce qui fait que les grands intérêts en font bannis, c'est que notre nation ne les connaît point. La politique plaifait du temps de Corneille, parce qu'on était tout rempli des guerres de la fronde; mais aujourd'hui on ne va plus à fes pièces. Si vous aviez vu jouer la scène entière de Shakespeare telle que je l'ai vue et telle que je l'ai à peu - près traduite, nos déclarations d'amour et nos con fidentes vous paraîtraient de pauvres chofes auprès. Vous devez connaître à la manière dont j'infifte fur cet article , que je fuis revenu à vous de bonne foi, et que mon cœur, fans fiel et fans rancune fe livre au plaifir de vous fervir autant qu'à l'amour de la vérité. Donnez-moi donc des preuves de votre fenfibilité et de la bonté de votre caractère; écrivez-moi ce que vous penfez et ce que l'on penfe fur les chofes dont vous m'avez dit un mot dans votre dernière lettre. La pé nitence que je vous impofe eft de m'écrire au long ce que vous croyez qu'il y ait à corriger dans mes ouvrages dont on prépare en Hollande une trèsbelle édition. Je veux avoir votre fentiment et celui de vos amis. Faites votre pénitence avec le zèle d'un homme bien converti, et fongez que je mérite par mes fentimens, par ma franchise, par la vérité et la tendreffe, qui font naturellement dans mon cœur, que vous vouliez goûter avec moi les douceurs de l'amitié et celles de la littérature.

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