Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

et s'en fervir pour fe tirer du labyrinthe où il s'eft 1735 engagé. Il n'appartient point à un prêtre d'écrire l'hiftoire; il faut être défintéreffé fur tout, et un prêtre ne l'eft fur rien.

J'aimerais prefque autant l'hiftoire des papillons et des chenilles que M. de Réaumur nous donne, que l'hiftoire des hommes dont on nous ennuie tous les jours; d'ailleurs, je fuis dans un pays où il y a bien moins d'hommes que de chenilles. Il y a long-temps que je n'ai rien vu qui reffemble à l'efpèce humaine, et je commence à oublier ces animaux-là. Exceptez-en un très-petit nombre à la tête defquels vous êtes, je ne fais pas grand cas de mes confrères les humains; mais j'en use avec vous à peu près comme DIEU avec Sodôme. Ce bon Dieu voulait pardonner à ces... là, s'il avait trouvé cinq honnêtes gens dans le pays; vous êtes affurément un de ces cinq ou fix qui me font encore aimer la France. Cideville eft de cette demi-douzaine; il m'écrit toujours de jolie profe et de jolis vers.

LETTRE CXX X I.

A M. DESFORGES-MAILLARD.
A Vaffi en Champagne, le... février.

Dona puer folvit quæ fœmina voverat Iphis.

VOTRE changement de fexe, Monfieur, n'a rien altéré de mon eftime pour vous. La plaifanterie que vous avez faite eft un des bons tours dont on fe foit avifé, et cela feul ferait auprès de moi un grand mérite. Mais vous en avez d'autres

que celui d'attraper le monde; vous avez celuide plaire, foit en homme, foit en femme. Vous 1739. êtes actuellement fur les bords du Lignon, et de nymphe de la mer vous voilà devenu berger d'A trée. Si ce pays-là vous infpire quelques vers, je vous prie de m'en faire part; pour moi j'ai un peu abandonné la poéfie dans la campagne où je fuis: Non eadem ætas, non vis.

Olim poteram cantando ducere noctes;

Mais à préfent je fonge à vivre :

Quid verum atque decens curo et rogo, et omnis in hoc fum. Un peu de philofophie, l'hiftoire, la conver fation partagent mes jours.

Duco follicita jucunda oblivia vita.

Cette vie fera plus heureuse encore fi vous me donnez part des fruits de votre loifir. Je fuis fâché que la Champagne foit fi loin du Lignon; mais c'eft véritablement vivre ensemble que de fe communiquer les productions de fon efprit et les fentimens de fon ame.

LETTRE CXXXII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

JE

A Cirey, I mars.

E profite, mon cher et refpectable ami, du voyage de M. le marquis du Châtelet, pour répandre mon cœur dans le vôtre avec liberté. Je n'ai ofé vous écrire depuis que je fuis à Cirey, et

vous croyez bien que je n'ai écrit à perfonne. 1735. Vous fentez, fans doute, combien il en coûte de garder le filence avec quelqu'un à qui je voudrais parler toute ma vie de ma tendre reconnaiffance.

Je n'ai pu reconnaître toutes vos bontés qu'en fuivant vos ordres à la lettre lorfque j'étais en Hollande. Je trouvai en arrivant une cabale établie par Rouleau contre moi, et une foule de libelles imprimés depuis long-temps pour me noircir, de forte que je me voyais à la fois perfécuté en France et calomnié dans toute l'Europe. Je ne pris d'autre parti que de vivre affez retiré, et de chercher des confolations dans l'étude et dans la fociété de quel ques amis que je m'attirai malgré les efforts de mes ennemis. Le hafard me fit connaître une ou deux de ces perfonnes que Rouffeau avait animées contre moi. J'eus le bonheur de les voir détrompées en peu de temps. Loin de vouloir continuer cette malheureufe guerre d'injures, je retranchai de l'édition qu'on fait de mes ouvrages tout ce qui fe trouve contre Rouffeau:

Je vous envoie la lettre d'un homme de lettres d'Amfterdam, qui vous inftruira mieux de tout cela que je ne pourrais faire, et qui vous fera voir en même temps ce que c'eft que Rouffeau. Je vous prie de lire cette lettre d'Amfterdam, et la copie de l'écrit qu'elle contient. Je crois qu'il eft bon que ce nouveau crime de Rouffeau foit public. Peut-être ceux qu'il anime à me perfécuter en France rougiront-ils de prendre fon parti, et imiteront ceux qu'il avait féduits en Hollande, qui font tous revenus à moi, et m'aiment autant qu'ils le déteftent.

Vous n'ignorez peut-être pas qu'en dernier lieu ce fcélérat, croyant aplanir fon retour en France, 1735. a fait imprimer contre le vieux Saurin les calomnies les plus atroces. Vous favez que c'est lui qui écrivait et qui fefait écrire que j'étais venu prêcher l'athéifme en Hollande, que j'avais foutenu une thèse d'athéisme à Leyde contre M. 'Grave fende, qu'on m'avait chaffé de l'université, etc. Vous êtes inftruit de la lettre de M. s'Gravefende, dans laquelle cette indigne et abfurde calomnie eft fi pleinement confondue; l'original eft entre les mains de M. de Richelieu; je ne fais quel ufage ilen a fait; ni même s'il en doit faire ufage. Je fouhaiterais fort pourtant que M. de Maurepas en füt informé; ne pourrait-il pas dans l'occasion en parler au cardinal, et ne dois-je pas le fouhaiter?

Je vous avoue que fi l'amitié, plus forte que tous les autres fentimens, ne m'avait pas rappelé, j'aurais bien volontiers paffé le refte de mes jours dans un pays où du moins mes ennemis ne peuvent me nuire, et où le caprice, la fuperftition et l'autorité d'un miniftre ne font point à craindre. Un homme de lettres doit vivre dans un pays libre, ou fe réfoudre à mener la vie d'un esclave craintif, que d'autres efclaves jaloux accufent fans ceffe auprès du maître. Je n'ai à attendre en France que des perfécutions; ce fera là toute ma récompenfe. Je m'y verrais avec horreur, fi la tendreffe et toutes les grandes qualités de la perfonne qui m'y retient ne me fefaient oublier que j'y fuis. Je fens que je ferai toujours la victime du premier calomniateur. Hérault eft celui qui

1735.

m'a le plus nui auprès du cardinal. Faut-il qu'un homme qui penfe comme moi ait à craindre un homme comme Hérault! Eh, qui me répondra que m'ayant deffervi avec malice il ne me pour. fuive pas avec acharnement? J'ai beau me cacher dans l'obfcurité, j'ai beau n'écrire à perfonne, on faura où je fuis, et mon obftination à me ca cher rendra peut-être encore ma retraite coupable. Er.fin, je vis dans une crainte continuelle, fan's favoir comment je peux parer les coups qu'on me porte tous les jours. C'eft une chofe bien inouie que la manière dont on en use avec moi; mais enfin je la fouffre, je me fais efclave volontiers, pour vivre auprès de la perfonne auprès de qui tout doit difparaître. Il n'y a pas d'apparence que je revienne jamais à Paris m'expofer encore aux fureurs de la fuperftition et de l'envie. Je vivrai à Cirey ou dans un pays libre. Je vous l'ai tou jours dit: fi mon père, mon frère, ou mon fils était premier ministre dans un état defpotique, j'en fortirais demain ; jugez ce que je dois éprou ver de répugnance en m'y trouvant aujourd'hui. Mais enfin madame du Châtelet eft pour moi plus qu'un père, un frère et un fils.

Je ne demande qu'à vivre enfeveli dans les montagnes de Cirey, et je n'y défirerai jamais rien que de vous y voir. Adieu, les deux fières aimables; je vous embraffe tendrement. Voici une lettre pour M. de Maurepas, que vous don nerez, fi vous le jugez à propos; mais il faut qu'il fache d'où viennent les deux chevreuils.

« ZurückWeiter »