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LETTRE XCI

A M. DECIDEVILLE.

15 Septembre.

EH bien, mon cher ami, vous n'avez donc

encore ni opéra, ni Adélaïle, ni petites pièces fugitiv s; et vous ne m'avez point envoyé votre allegorie, et Linant m'a quitté fans avoir achevé une fcène de fa tragédie.

Jore devrait étre déjà parti avec un ballot de vers de ma part; mais le pauvre diable eft actuellement cache dans un galetas, efpérant peu en DIEU et craignant fort les exempts. Un nommé Vanneroux, la terreur des janfénistes, et auffi renommé que Defgrets, eft parti pour aller fureter dans Rouen, et pour voir fi Jøre n'aurait point imprimé certaines Lettres anglaifes, que l'on croit ici un ouvrage du malin. Jore jure qu'il eft innocent, qu'il ne fait ce que c'est que tout cela, et qu'on ne trouvera rien. Je ne fais pas li je le verrai avant le départ clandeftin qu'il médite pour revenir voir fa très chère patrie. Je vous prie, quand vous le reverrez, de lui recommarder extrêmement la crainte du garde des fceaux et de Vanneroux. S'il fait paraitre un feul exemplaire de cet ouvrage, affurement il fera perdu, lui et toute fa famille. Qu'il ne le hate point; le temps amene tout. Il eft convaincu de ce qu'il doit faire; mais ce n'eft pas affez d'avoir la foi, fi vous ne le confirmez dans la pratique des bonnes œuvies. J'ai vu enfin la prefidente de Bernières. Ef

1733.

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poffible que nous ayons dit adieu pour toujours à la Rivière Bourdet? Qu'il ferait doux de nous y revoir! Ne pourrions- nous point mettre le préfi dent dans un couvent, et venir manger fes cane. tons chez lui?

Je reste conftamment dans mon hermitage, vis-à-vis Saint-Gervais, où je mène une vie philofophique, troublée quelquefois par des coliques et par la fainte inquifition qui eft à préfent fur la littérature. Il eft trifte de fouffrir, mais il eft plus dur encore de ne pouvoir penfer avec une hon. nête liberté, et que le plus beau privilége de l'humanité nous foit ravi: fari que fentiat. La vie d'un homme de lettres eft la liberté. Pourquoi faut-il fubir les rigueurs de l'efclavage dans le plus aimable pays de l'univers, que l'on ne peut quitter, et dans lequel il eft fi dangereux de vivre ?

Thiriot jouit en paix à Londres du fruit de mes travaux; et moi je fuis en tranfes à Paris: lau dantur ubi non funt, cruciantur ubi funt. Il n'y a guère de femaines où je ne reçoive des lettres des pays étrangers, par lefquelles on m'invite à quitter la France. J'envie fouvent à Defcartes fa folitude d'Egmont, quoique je ne lui envie point fes tourbillons et fa métaphyfique. Mais enfin je finirai par renoncer ou à mon pays, ou à la pas fion de penfer tout haut. C'est le parti le plus fage. Il ne faut fonger qu'à vivre avec foi-même et avec fes amis, et non à s'établir une feconde existence très-chimérique dans l'efprit des autres hommes. Le bonheur ou le malheur eft réel, et la réputation n'eft qu'un fonge.

Si

Si j'avais le bonheur de vivre avec un ami comme vous, je ne fouhaiterais plus rien; mais 1733. loin de vous, il faut que je me confole en travaillant; et quand un ouvrage eft fait, on a la rage de le montrer au public. Que tout cela n'empêche point Linant de nous faire une bonne tragédie, que je mette mes armes entre fes mains: oportet illum crefcere, me autem minui. Adieu, charmant ami.

LETTRE XCII.

A M. DE

CIDEVILLE.

Ce 26 Septembre."

J'AIME fort Linant pour vous et pour lui; mais, àparler férieufement, il n'eft pas bien fûr encore qu'il ait un de ces talens marqués, fans qui la poéfie eft un bien méchant métier; il ferait bien malheureux s'il n'avait qu'un peu de génie avec beaucoup de pareffe. Exhortez-le à travailler et à s'inftruire des chofes qui pourront lui être utiles, quelque parti qu'il embraffe. Il voulait être précepteur, et à peine fait-il le latin. Si vous l'aimez, mon cher Cideville, prenez garde de gâter, par trop de louanges et de careffes, un jeune homme qui, parmi fes befoins doit compter le befoin qu'il a de travailler beaucoup, et de mettre à profit un temps qu'il ne retrouvera plus. S'il avait du bien, je lui donnerais d'autres conseils, ou plutôt, je ne lui en donnerais point du tout; mais il y a une différence fi immenfe entre celui qui a T. 79. Corresp. générale. T. I. P

1733.

fa fortune toute faite et celui qui la doit faire, que ce ne font pas deux créatures de la même espèce,

Vale, amice,

LETTRE XCIII,

A M. BERGER,

Octobre,

Je fuis très- fâché, Monfieur, que vous ayez connu comme moi le prix de la fanté par les maladies. Je ne fuis point de ces malheureux qui ai ment à avoir des compagnons. Comptez que le plaifir eft le meilleur des remèdes. J'attends de grands foulagemens de celui que me feront vos lettres. Y a-t-il quelque chofe de nouveau fur le Parnaffe qui mérite d'être connu par vous? Comment va l'opéra de Rameau (18)? Soyez

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(18) Hyppolite et Aricie. L'Abbé Pellegrin, auteur du Poëme, fe défiant des talens du muficien, en avait exigé une obligation de 500 liv., en cas de non fuccès; mais à la première répétition il courut embraffer Rameau, et déchira le billet, en s'écriant qu'un tel muficien n'avait pas befoin de caution. Rameau n'était alors connu que par quelques motets, des cantates, des pièces de clavecin, et par fon traité de l'harmonie. M. de voltaire, plus pénétrant que Pellegrin, avait donné à Rameau fa tragédie de Samfon, en 1732. Leurs ennemis en firent défendre la représentation, fous prétexte que le fujet était facré, quoiqu'on eût donné à l'opéra Jephté, aux français Athalie, et qu'on eût permis à Romagnef de travestir en arlequinade ce même fujet au théâtre italien. On verra dans les années fuivantes que M. de Voltaire efpéra long-temps d'obtenir juftice; mais ce fut en vain. Rameau alors employa une grande partie de la mufique de Samfon dans l'acte des Incas et dans Zoroaftre,

donc un peu avec votre ancien ami le nouvellifte des arts et des plaifirs, et comptez fur les mêmes fentimens que j'ai toujours eus pour vous.

LETTRE XCIV.

A M. DE CIDEVILLE.
A Paris, le 14 octobre.

1733.

Mais quand pourrai-je donc, mon très-cher ami, vous être aufli utile à Paris que vous me l'êtes à Rouen? Vous paffez douze mois de l'année à me rendre des fervices; vous m'écrivez de plus des vers charmans, et je fuis comme une bégueule qui me laiffe aimer. Non, mon cher Cideville, je ne fuis pas fi bégueule; je vous aime de tout mon cœur, je travaille pour vous, j'ai retouché deux actes d'Adélaïde, je raccommode mon opéra tous les jours, et le tout pour vous plaire, car vous me valez tout un public:

C'eft à de tels lecteurs que j'offre mes écrits.

A l'égard de ma perfonne, à laquelle vous daignez vous intéreffer avec tant de bonté, je fuis obligé de vous dire en confcience que je ne fuis pas fi malheureux que vous le pe fez. Je crois Vous avoir déjà dit en vers d'Horace :

Non tumidis agimur velis aquilone fecundo;
Non tamen adverfis ætatem ducimus auftris,
Viribus, ingenio, Specie, virtutë, loco, re
Extremi primerum, extremis ufque priores.

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