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differens endroits, mais quelquefois dans un même endroit. Si vous les expliquez toûjours de la même maniere, fous prétexte d'être Interprête exact, vous ferez tout le contraire, & vous vous exprimerez d'une maniere impropre, & fouvent inintelligible. Le mot Grec, par exemple, qui fignifie ordinairement justice, fe prend fouvent dans le N. T., tantôt, pour la mifericorde, tantôt, pour l'équité qui modere la rigueur de la juftice, par la confideration des circonstances, quelquefois pour la pieté & la fainteté, & enfin pour la justice, proprement ainfi nommée. St. Paul employe le mot de foi en plufieurs fens fort differens, ou pour la perfuafion, ou pour la confiance, ou pour l'objet de la foi qui eft l'Evangile. Comme ce font-là des idées fort diftinctes, les regles de la bonne Traduction demanderoient qu'en chaque endroit, on donnât aux mots, de justice, & de foi, la fignification qui leur convient, fuivant leur fituation. Si on ne l'a pas toûjours fait, c'eft par une retenue qui peut-être eft plus à blâmer qu'à approuver.

4. On fait que dans la Langue Hébraïque, fur laquelle le Grec du N. T. a été prefque tout formé, comme on l'a fouvent remarqué, il y a certaines particules fuperfluës qui pouvoient avoir leur grace dans cette Langue, ou qui n'avoient pas au moins le même desagrément que dans la nôtre. * Telle eft la particule conjonctive, Et, qui fouvent dans le N. T. fert moins à lier le difcours qu'à le commencer. Delà vient qu'on y trouve des, Et, par centaines, qui ne fignifient rien du tout, & qui font un très-mauvais effet dans les Langues vivantes. On a vû quelquefois des gens affez éclairez qui voyant quantité de ces particules retranchées dans notre Verfion levoient les épaules, & fecouoient la tête, comme fi on les eût retranchées au St. Efprit lui-même. L'adverbe voici eft de même nature. Souvent il a fon fens, & fa force, alors il faut le conferver, mais pour la plupart du tems, ce n'est qu'un pur Hébraïfme, qui nè fignifie rien de particulier. Dans les Langues qui ne font pas parvenuës à leur perfection, comme la plûpart des anciennes Langues, il y a de femblables fuperfluitez, & cela fe remarque même encore dans le langage du Peuple, & dans celui des Provinces, fuperfluitez que n'employent pas ceux qui parlent bien. On n'a point fait de difficulté de fupprimer cet Adverbe en bien des occafions. Peut-être que par ce retranchement £f 3

on

* Nos Verfions fourmillent de ces Et, ce qui les rend très-desagréables, & embaraffe fouvent le fens.

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on épargnera à bien des Prédicateurs la tentation de faire de longues reflexions fur voici.

*

5. A l'égard des autres particules, telles que font, comme, car, mais, or, donc, &c. les Critiques ont fort bien remarqué, il y a long-tems, qu'elles n'ont pas de fignifications bien fixes dans le Nouveau Teftament, & qu'on fe tromperoit souvent, fi on les expliquoit toûjours de la même maniere. Il faut donc juger du fens, par la liaifon du difcours, & leur donner la fignification qu'exige l'endroit, où elles fe trouvent. Ces divers fens d'une même particule, dans le Grec du N. T. viennent encore de la Langue Hébraïque dont les particules varient extremement dans leur fignification, mais on peut éprouver à peu près la même chose dans la lecture des Auteurs Grecs profanes, & même des Latins.

6. Comme on a preffenti que plufieurs trouveroient étrange qu'on eut changé dans cette Verfion le Toi, en Vous, lors qu'il fe trouve des perfonnes qui s'entretiennent ensemble, & en quelques autres occalions, il eft bon de lever ce fcrupule. Il ne peut avoir que deux fources; l'une eft l'habitude, & l'accoutumance, & l'autre, c'eft que les Traducteurs modernes d'entre les Catholiques Romains en usent ainsi dans leurs Versions. A l'égard de la coûtume, elle ne doit jamais prescrire contre la raifon, & rien n'est plus raisonnable que de ne pas parler un ftile barbare, dans un fiècle, & dans une Langue qui ne l'eft point du tout. Ceux qui ont ce fcrupule ne font pas attention, ou ils ignorent que les Langues Hébraïque, Grecque, & Latine †, n'ayant point de vous, au fingulier, il étoit impoffible que les Ecrivains Sacrez parlassent autrement. La prétendue dignité que l'on trouve au toi dans l'Evangile fe rencontroit dans tous les difcours, & dans tous les Livres de ce tems-là, parce que l'on ne pouvoit s'entretenir d'une autre maniere. Mais aujourd'hui que le vous eft employé au fingulier, quand on veut parler dignement, & que le toi eft du dernier incivil, ou de la plus étroite familiarité, & de la plus basse fubordination, on ne voit aucune raifon de laiffer cette barbarie dans nos Versions. Si l'on entendoit parmi nous J. C. & la Samaritaine s'entretenir, & fe dire toi, comme ils firent alors, on ne manqueroit pas de juger que c'eft un Juif, & une Samaritaine, qui fe querellent, parce qu'on fait que ces Peuples fe haïffoient

* On peut voir là-deffus l'Ouvrage de Chrif

Au moins dans la bonne & dans l'ancien

tian Noldius, intitulé, Concordances des parti- ne Latinité. cules du N. T.

foient mutuellement. Il n'y a rien de plus choquant que d'entendre les Difciples dire toi à leur Maître, & J. C. parler à fes Dif ciples, comme on parle à des Valets.

de la

A l'égard de l'autre raifon, elle ne peut pas être alleguée avec bien-feance. C'eft outrer l'éloignement, pour une Communion, que de le porter jusqu'à un ufage indifferent, fur tout quand il eft raifonnable, comme on vient de prouver que celui-ci l'eft. Les Catholiques n'ont jamais fait difficulté de prendre ce qu'il y a de bon dans nos Verfions, dans des chofes beaucoup plus importantes, que ne l'eft la difference du toi, au vous. Le Pere Veron dont on parloit tout à l'heure ne fit point de difficulté de tirer du N. T. de Cafaubon, les diverfes leçons que ce dernier y avoit ramaffées (a). Quand il s'agit de chofes effentielles, il faut fuivre (a) Pref. conftamment les mouvemens de fa confcience, & les lumiéres de la Verf. de foi, fans aucun égard à la coûtume, à l'ufage, à la politeffe, à la Veron. bien-feance, ni à aucune confideration humaine. Mais c'eft se montrer de trop mauvaise humeur que de s'éloigner d'un certain ftile, & de certains tours, parce que des Auteurs de Religion contraire s'en font fervis. Il y a plus. C'eft qu'on n'a point prétendu imiter en cela les Traducteurs de la Communion de Rome (b). On a changé le toi, en, vous, parce qu'il falloit le fai- (b) Les re, & qu'il y a une indécence, & une barbarie infupportable à fai- Verfions re parler les Interlocuteurs qui fe trouvent dans le N. T., comme des Cath. les Matelots, & les Harangéres. Si les Catholiques Romains ne nous avoient pas dévancé à cet égard, il auroit fallu leur en don-comme ner l'exemple, & on eft perfuadé qu'ils n'auroient fait aucune dif. celle de ficulté de le suivre.

anciennes

Rom. ont

le toi,

Veron.

Il n'en eft pas tout-à-fait de même quand on parle à Dieu, que quand les hommes parlent entre-eux. Dieu eft un Etre infiniment fuperieur aux régles de notre civilité, & de notre bien-seance, & comme les entretiens que les Fidèles ont avec cet Etre Suprême, font d'un ordre tout furnaturel, il eft bon que le langage en tienne quelque chofe. Dans ces occafions le Stile Oriental a une cer- C'eft le taine fublimité, qui fe fait mieux fentir qu'elle ne peut s'exprimer. fentiment Et fi lors qu'on parle aux Rois dans le Stile Héroïque, on trouve Godeau que toi a quelque chofe de plus noble, de plus grand, & de plus dans la refpectueux, à plus forte raifon faut-il en juger ainfi quand on prefe parle au Roi des Rois. C'eft ce qu'on a pratiqué dans cette Ver- N. T. fion. quoique, peut-être, il se trouvera quelques endroits où l'uniformité n'eft pas bien gardée à cet égard.

7. Dans.

de Mr.

Préface

de fon

7. Dans cette Traduction on a uniquement eu en vue la pensée de l'Ecrivain Sacré indépendamment des explications & des applications particulieres des Théologiens. Les Syftemes & les Dogmes de la Religion doivent fe régler fur l'Ecriture Sainte, & non l'Ecriture Sainte fur ces Syftemes & fur ces Dogmes. Prouver un Dogme par un paffage qui, expliqué felon fon fens naturel, ne le prouve pas, ou ne le fait que par des explications forcées, c'est trahir en même tems & l'Ecriture Sainte, & le Dogme même. Les Théologiens qui en usent ainfi commettent tout ensemble & la Religion Chrétienne en général, & leurs propres principes. Dans chaque Communion on eft obligé de s'attacher aux principes qui y font reçûs, mais il doit toûjours être libre d'interprêter l'Ecriture felon les Regles qu'il faut fuivre pour expliquer quelque Livre que ce foit. D'ailleurs quand une verité eft prouvée par plufieurs paffages formels, ou même par un feul, c'est une infidélité ou une fraude pieuse fort criminelle ou au moins un entêtement & une ignorance, qui ne fauroit faire honneur à quelque parti que ce foit, que de vouloir la prouver par des paffages où il s'agit de toute autre chofe. Calvin a été le Théologien le plus Orthodoxe, & un des principaux Miniftres dont Dieu s'eft fervi pour reformer la Théologie. Mais il a defavoué avec candeur & les Anciens & les Modernes, quand pour prouver quelques mystères, ils ont allegué des paffages où il croyoit que ces mystères n'étoient point établis. On a crié contre lui au Socinien, au Sabellien, à l'Héretique. Ce font des raifonnemens qu'il faut laiffer faire, & s'en rapporter au jugement des plus fages & des plus éclairez en attendant celui de Dieu. Cependant nous n'avons pas pris tant de liberté que ce grand homme, & fans refuter aucune explication particuliere on s'eft fait feulement une Loi de repréfenter le Texte tel qu'il eft, & de laiffer à chacun la liberté de juger des veritez qu'il contient.

8. Il y a de deux fortes d'Hébraïfmes dans le Nouveau Teftament. Il y en a que tout le monde entend, parce qu'on y eft accoûtumé, mais il y en a d'autres qui ne feroient pas intelligibles, fi on ne les expliquoit. On a laiffé les premiers pour conserver à la Verfion un air original, qui eft effentiel à une bonne Traduction. A l'égard des autres on leur a donné un tour François, & on a marqué l'Hébraïsme dans la Note. Par exemple, comme il eft affez ordinaire dans toutes les Langues auffibien que dans l'Hébraïque d'appeller les Disciples de quelcun fes

enfans,

XII. 1.

enfans, on a laissé cette phrafe où JESUS-CHRIST dit aux Pha- Matt.XII. riliens, Par qui vos enfans les chaffent-ils? C'eft ainsi qu'on a laif. 27. fé Matt. XI. 19. les enfans de la Sageffe, pour les Amateurs & les Disciples de la Sageffe. Mais comme il n'eft pas auffi ordinaire d'appeller enfans de l'Epoux, les Paranymphes, ou ceux qui accompagnent l'Epoux, on a changé la phrafe, & on en a averti dans la Note. Quoi que par les enfans du Royaume, il faille entendre proprement ceux à qui le Royaume étoit destiné, on a pourtant confervé la phrase, parce qu'elle n'eft pas obfcure. Tout de même les Hébreux difent manger le Pain, pour dire, manger Matth. abfolument & prendre fon repas. On ne pouvoit conferver cet Hébraïfme fans laiffer une équivoque dans l'efprit de ceux qui n'y font pas accoûtumez. Pour dire le trenchant de l'épée, ils difent la bouche de l'épée, ce qui feroit inintelligible en François. Ils fe fervent fouvent du mot Grec qui fignifie bois, pour dire, un arbre, du mot corne, pour marquer une perfonne puiffante & illuftre dans une famille; du mot fémence, pour exprimer la pofterité; du mot parole, pour défigner une chofe ou une affaire, du mot répondre, pour commencer un difcours, fans que perfonne ait parlé auparavant. Il eft clair que dans toutes ces occafions & dans une infinité d'autres, il faut fubftituer d'autres Phrafes à ces Hébraïfmes, & qu'il faut exprimer la pensée de l'Auteur, & non fes propres paroles. Par exemple, cette fentence de JESUS-CHRIST n'aura point de fens, ou fera au moins obfcure, & ne répondra pas à fa pensée, fi on traduit mot à mot, l'homme ne vivra pas de pain feulement, mais de toute parole * qui vient de la bouche de Dieu. Au lieu que fi l'on traduit de tout ce qu'ordonne. la bouche de Dieu, le fens eft clair & beau, cela veut dire, qu'à défaut de la nourriture ordinaire, Dieu peut, quand il lui plait, employer des moyens extraordinaires pour nourrir les hommes. Afin de laiffer au Nouveau Teftament un certain tour Oriental, qui lui eft naturel, on en a confervé foigneufement toutes les figures autant que la clarté du fens & la pureté du langage l'ont pû permettre. Il y a, par exemple, de frequentes Ellipfes, c'est-àdire de mots fuppofez & non exprimez. Il a fallu neceffairement les fuppléer. Il y a auffi des Enallages ou changemens de tems & de perfonnes qu'on n'auroit pù imiter fans bar

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Parole dans cet endroit veut dire chofe. Voyez-en d'autres exemples Matt. XVIII. 16. XIX. 11. Marc IX. 32.

TOM. I.

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