Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

SUR

ORDERIC VITAL.

De tous les ouvrages publiés dans notre Collec

tion, celui d'Orderic Vital est le plus étendu, symptôme assuré qu'il mérite une attention particulière. La sécheresse et la brièveté sont le caractère presque général des écrits de cette époque: il semble que l'esprit de l'auteur, inactif et stérile, se soit contenté de recevoir les faits qui se présentaient à lui, sans éprouver nul besoin de s'en rendre compte, ni de les rattacher à d'autres faits, ni d'y ajouter des réflexions propres à les classer dans un autre ordre que celui des dates. Dans ces temps d'isolement et de ténèbres, la vie de l'homme est si étroite et sa vue si courte que la curiosité même semble éteinte; une situation très-élevée ou une destinée trèsagitée parviennent seules à étendre l'horizon intellectuel, à susciter un vif besoin de savoir: mais ceux que le hasard place ou jette dans cette chance singulière dévouent à l'action leur temps et leur force, et tout occupés de jouer un rôle dans l'histoire, ne s'inquiètent guères de la ra

a

conter. Parmi les hommes élevés en dignité, dans les siècles dont nous recueillons ici les monumens, deux évêques, deux évêques, Grégoire de Tours et Guillaume de Tyr, sont les seuls à qui leur loisir ait permis de nous laisser un long récit des événemens où leur situation les avait appelés à pénétrer; et leurs histoires, les plus étendues que nous ayons encore publiées, sont aussi, proportion gardée de la différence des temps, les plus intéressantes, les plus utiles, les plus riches en détails précieux. Orderic Vital possède, sinon au même degré, du moins le même genre de supériorité entre les écrivains de son siècle : d'autant plus remarquable en ceci qu'aucune circonstance extérieure, aucun avantage de situation n'a contribué à éveiller ou à soutenir l'activité de son esprit; et que, simple moine au fond des forêts les plus reculées de la Normandie, c'est en lui seul, dans l'ardeur naturelle de son goût pour le savoir, dans la patience de ses recherches, qu'il a pu trouver les motifs et les moyens de rassembler les matériaux de son vaste travail.

Orderic était né le 15 février 1075, en Angleterre, à Attingham sur les bords de la Saverne; là vivait son père Odelir, natif d'Orléans, mais qui, au moment de la conquête de l'Angleterre

par les Normands, avait suivi Roger de Mont-Gomery, devenu ensuite comte de Shrewsbury, et lui était resté attaché à titre de conseiller. Orderic prit son nom de son parrain, prêtre saxon et curé du lieu, qui le baptisa en même temps qu'il le tint sur les fonts. A cinq ans, on l'envoya à l'école de Shrewsbury où, sous un maìtre nommé Siegward, il apprit à écrire, la grammaire et le chant d'église. Son père, à ce qu'il semble, ne manquait pas d'instruction; il était même clerc et prêtre, qualité qui alors, surtout en Angleterre, n'excluait pas absolument le mariage. On connaissait cependant un état plus parfait, et Odelir, devenu veuf, crut devoir, non-seulement renoncer pour lui-même à tout attachement terrestre, mais y faire aussi renoncer son fils aîné Orderic, âgé de dix ans. Il le consacra donc, comme lui-même, à la vie religieuse, et se retira dans un monastère de la Grande-Bretagne. Mais bientôt, troublé par l'idée des obstacles que devaient apporter au salut les affections de famille, il pensa que ni le sien ni celui de son fils ne serait assuré s'ils demeuraient dans le même cloître, et pour rendre la séparation plus complète et plus irrévocable, il lui fit passer la mer, et, sous la conduite du moine Ragnold, l'envoya en Nor

a.

mandie où Orderic entra, avec une dot de trente marcs d'argent, dans l'abbaye d'Ouche, de l'ordre de saint Benoit, fondée par saint Evroul, saint Orléanais, auquel Odelir, en qualité de compatriote, portait une grande dévotion. Cette abbaye, qui prit plus tard le nom de son fondateur, était située dans la portion du diocèse de Lisieux qui fait maintenant partie du département de l'Orne. Cachée au fond des forêts, riche, dès le onzième siècle, d'une assez nombreuse bibliothèque, et habitée des moines amis de la science, l'abbaye par d'Ouche était un lieu très-propre à entretenir les dispositions studieuses qui, dit-on, se faisaient dès lors remarquer dans le jeune novice. Jean, sousprieur du monastère, fut chargé de son éducation, et conçut pour lui une vive amitié ; il gagna aussi la bienveillance des autres religieux, de Mainier entre autres, alors abbé de Saint-Evroul. Orderic était entré à l'abbaye en 1085. L'année suivante, le 22 septembre, jour de la Saint-Maurice, il reçut la tonsure et changea en même temps son nom saxon d'Orderic pour celui de Vital, l'un des compagnons du saint dont on célébrait en ce jour la fête. Le 15 mars 1091, Gilbert Maminot, évêque de Lisieux, lui conféra le sous-diaconat, à la demande de Serlon d'Orgères, alors abbé de Saint

Evroul; et, deux ans après, le 26 mars 1093, Serlon, devenu évêque de Séès, l'éleva au diaconat. Orderic avait alors dix-huit ans. Tous les documens de ces temps anciens nous apprennent avec quel pieux effroi les hommes vraiment religieux envisageaient alors les devoirs du sacerdoce; ils reculaient à les accepter, et souvent ne s'y soumettaient que sur l'ordre exprès de leurs supérieurs. Ce fut seulement quinze ans après, le 21 décembre 1107, que Guillaume Bonne-Ame, archevêque de Rouen, imposa à Orderic, comme il le dit lui-même, le fardeau de la prêtrise.

l'un

Tels sont les simples faits que fournissent, sur la vie d'Orderic, les écrits de ce bon religieux : étranger aux affaires du monde comme aux dignités de son état, on ne le voit sortir de sa retraite que pour assister au chapitre général de l'ordre de Saint-Benoit, convoqué par l'abbé de Cluny, Pierre-le-Vénérable, et pour deux voyages, à Worcester, l'autre à Cambrai, entrepris, selon toute apparence, dans le dessein de se procurer des renseignemens nécessaires à ses travaux. Ils furent l'unique emploi de sa vie, qu'il ne paraît pas avoir poussée jusqu'à l'extrême vieillesse ; il nous apprend lui-même à la fin de son livre que, parvenu à sa soixante-septième année, et à la

« ZurückWeiter »