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Pucelle Jeanne. Ainsi je suis au moins des deux tiers plus sage que l'Arioste. Ces amusements sont les intermèdes de mes occupations. Je trouve qu'on a du temps pour tout quand on veut l'employer. Mon occupation principale est à présent ce beau Siècle de Louis XIV. Les batailles données, les révolutions des empires sont les moindres parties de ce dessin; des escadrons et des bataillons battants ou battus, des villes prises et reprises sont l'histoire de tous les temps; le siècle de Louis XIV, en fait de guerre et de politique, n'a aucun avantage par-dessus les autres. Il est même bien moins intéressant que le temps de la Ligue et celui de Charles-Quint. Otez les arts et les progrès de l'esprit à ce siècle, vous n'y trouverez plus rien de remarquable, et qui doive arrêter les regards de la postérité. Si donc, mon cher abbé, vous savez quelque source où je doive puiser quelques anecdotes touchant nos arts et nos artistes, de quelque genre que ce puisse être, indiquez-les-moi. Tout peut trouver sa place; j'ai déjà des matériaux pour ce graird édifice. Les Mémoires du père Nicéron et du père Desmolets sont mes moindres recueils. J'ai du plaisir même à préparer les instruments dont je dois me servir. La manière dont je recueille mes matériaux est un amusement agréable; il n'y a point de livre où je ne trouve des traits dont je peux faire usage. Vous savez qu'un peintre voit les objets d'une manière différente des autres hommes; il remarque des effets de lumière et des ombres qui échappent aux yeux non exercés. Voilà comme je suis je me suis établi le peintre du siècle de

Louis XIV, et tout ce qui se présente à moi est regardé dans cetie vue; je ressemble à La Flèche, qui fesait son profit de tout.

Savez-vous que j'ai fait jouer depuis peu, au collége d'Harcourt, une certaine Mort de César, tragédie de ma façon, où il n'y a point de femmes; mais il ya quelques vers tels qu'on en fesait il y a soixante ans. J'ai grande envie que vous voyiez cet ouvrage. Il y a de la férocité romaine. Nos jeunes femmes trouveraient cela horrible; on ne reconnaîtrait pas l'auteur de la tendre Zaïre. Mais

Ridetur chorda qui semper oberrat eádem.

Vale, scribe, ama.

237-A M. THIRIOT. «

A Cirey, 1er septembre.

Mon cher ami, il faut toujours que de près ou de Foin je reçoive quelque taloche de la fortune. J'a vais eu la condescendance de donner ma petite tragédie de Jules César à l'abbé Asselin, pour la faire jouer à son college, avec promesse de sa part que copie n'en serait point tirée; c'était une fidélité qu'on m'avait religieusement gardée à l'hôtel Sassenage. Je n'ai pas été aussi heureux au collége d'Harcourt. J'apprends que non-seulement on vient d'imprimer cet ouvrage, mais qu'on l'a honoré de plusieurs additions et corrections qu'un régent de collége y a faites. Je suis persuadé qu'on ne manquera pas encore de dire que c'est moi qui l'ai fait imprimer; ainsi me voilà calomnié et ridicule. Ne pourriez vous point me sauver une partie de l'op

probre, en publiant et en fesant mettre dans les journaux que je ne suis en aucune manière responsable, mais bien très affligé de cette misérable édition?

Autre misère, on m'envoie une Ramsaïde, maudite rapsodie, infâme calotte; et mon nom est à la tête. Dites-moi franchement, le monde est-il assez sot pour m'attribuer cet ouvrage? Consolez-moi en m'écrivant. Je croyais, en ayant renoncé au monde, avoir renoncé à ses tracasseries comme à ses pompes; mais il est dur de se voir d'un côté père putatif d'enfants supposés, et de l'autre, père malheureux d'enfants barbouillés,

Si je ne suis pas heureux en famille, au moins le suis-je en amis. Savez-vous bien, à propos d'amis, que notre Falkener est ambassadeur en Turquie ? Un marchand, homme d'esprit, est quelque chose, comme vous voyez, chez les Anglais; mais parmi nous ,il vend son drap et paye la capitation. Vale, scribe, ama.

que

238. AU MÊME.

A Cirey, le 11 septembre.

Vos lettres me font un plaisir extrême. Je vois l'amitié vous donne des forces. Vous écrivez des dix pages à votre ami, d'une main tremblante. Vous me traitez comme le vin de Champagne, dont Vous buvez beaucoup avec un estomac faible,

Puisses-tu, lorsque le destin,

Le soir, pour t'éprouver, l'engage
Chez la maîtresse ou ta catin,
Trouver en loi mème courage!

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Je vous envoie ma réponse au cardinal Alberoni, Elle m'avait échappée dernièrement dans mes paquets; je lui ai écrit, comme je fais à tout le monde, tout naturellement ce que je pense. Si celui qui demanda, quid est veritas, s'était adressé à moi, je lui aurais répondu: veritas est ce que j'aime. Ce style contraint et fardé, qui règne dans presque tous les livres qu'on fait depuis cinquante ans, est la marque des esprits faux, et porte un caractère de servitude que je déteste. Il y a long-temps que j'ai parcouru ces Mémoires du jeune d'Argens. Ce petit drôle là est libre; c'est déjà quelque chose; mais malheureusement cette bonne qualité, quand elle est seule, devient un furieux vice. Il me vient incessamment un ballot de Pour et Contre, d'observations, de petits libelles nouveaux; Vert-Vert y sera, mais j'attends cette cargaison sans impatience entre Émilie et le Siècle de Louis XIV, dont j'ai déjà fait trente années. Il n'y a rien dans tout ce siècle de si admirable qu'elle. Elle lit Virgile, Pope et l'algèbre comme on lit un roman. Je ne reviens point de la facilité avec laquelle elle lit les essais de Pope on man. C'est un ouvrage qui donne quelquefois de la peine aux lecteurs anglais. Sí je n'étais pas auprès d'elle, je serais auprès de vous, mon cher ami. Il est ridicule que nous soyons heureux si loin l'un de l'autre. Vraiment je suis charmé que Pollion de La Poplinière pense un peu favorablement de moi.

C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits.

Je suis toujours très indigné de l'édition de Jules-César; je ne l'ai point encore vuc.

I On dit que dans les Indes l'opéra de Rameau (1) pourrait réussir. Je crois que la profusion de ses doubles croches peut révolter les lullistes; mais à la longue, il faudra bien que le goût de Rameau devienne le goût dominant de la nation, à mesure qu'elle sera plus savante. Les oreilles se forment petit à petit. Trois ou quatre générations changent les organes d'une nation. Lulli nous a donné le sens de l'ouïe que nous n'avions point; mais les Rameau le perfectionneront. Vous m'en direz des nouvelles dans cent cinquante ans d'ici. Adieu; j'ai cent lettres à écrire.

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A Cirey, le 24 septembre. DEPUIS que je vous ai écrit, mon cher ami, j'ai lu force fadaises nouvelles; une cargaison de petites pièces comiques, d'opéras, de feuilles volantes m'est venue. Ah! mon ami, quelle barbarie, et quelle misère! la nature est épuisée. Le siècle de Louis XIV a tout pris pour lui. Vergimus ad feces. Je suis si ennuyé que je n'ai pas la force de m'indigner contre l'abbé Desfontaines. Mais vous, qui avez de l'amitié pour moi, et qui savez ce que j'ai fait pour lui, pouvez-vous souffrir la manière pleine d'ingratitude et d'injustice dont il parle de moi dans des feuilles? Je n'avais pas lu ses impertinences hebdomadaires quand je le priai, il y a quelques jours, de vouloir bien me rendre un petit service: c'était au sujet de cette misérable édition de la Mort de César. Je le priai d'avertir le public que non-seulement je n'ai aucune part à (1) Les Indes galantes.

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