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me M. Rameau, m'avait emporté. Je ne songeais qu'à son génie, et je ne m'apercevais pas que le mien (si tant est que j'en aie un ), n'est point fait du tout pour le genre lyrique. Aussi je lui mandais il y a quelque temps que j'aurais plutôt fait un poëme épique que je n'aurais rempli des canevas. Ce n'est pas assurément que je méprise ce genre d'ouvrage; il n'y en a aucun de méprisable; mais c'est un talent qui, je crois, me manque entièrement. Peut-être qu'avec de la tranquillité d'esprit, des soins et les conseils de mes amis, je pourrai parvenir à faire quelque chose de moins indigne de notre Orphée; mais je prévois qu'il faudra remettre l'exécution de cet opéra à l'hiver prochain. Il n'en vaudra que mieux et n'en sera que plus désiré du public. Notre grand musicien qui a sans doute des ennemis en proportion de son mérite, ne doit pas être fâché que ses rivaux passent avant lui. Le point n'est pas d'être joué bientôt, mais de réussir. Il vaut mieux être applaudi tard que c e d'être sifflé de bonne heure. Il n'y a que le plaisir de vous voir que je ne puis différer plus long-temps. Je me flatte que je vous embrasserai cet hiver. Le jour que je vous verrai sera ma première consolation,et l'empressement de vous obéir auprès de M. de Richelieu sera la seconde. Je vous prie de m'écrire souvent.

* 162.A M. DESADE.

Ce lundi....

VOLLA une fort mauvaise copie d'Adélaïde; mais je n'en ai pas d'autre. Vous n'aurez pas besoin de mes vers pour vous amuser en chemin. Votre ima

gination et votre compagne de voyage vous meneraient au bout du monde. Cependant, prenez toujours ce chiffon de tragédie pour les quarts d'heure où vous voudrez lire des choses inutiles. Si vous voulez en procurer une lecture au petit Gnome correspondant des savants, vous êtes le maître. Quand vous serez arrivé à Toulouse, voyez, je vous en prie, mon ami Daigueberre (1), conseiller au-parlement; je le crois au fond digne de vous, quoiqu'il n'ait pas de brillant. Vous lui ferez lire cette pièce, mais point de copie. Adieu. Bon voyage. Mille respects, tendre amitié.

163. A M. L'ABBÉ DE SADE.

A Paris, le 3 novembre.

Vous m'avez écrit, monsieur, en arrivant, et je me suis bien douté que vous n'auriez pas demeuré huit jours dans ce pays-là que vous n'écririez plus qu'à vos maîtresses. Je vous fais mon compliment sur le mariage de monsieur votre frère; mais j'aimerais encore mieux vous voir sacrer que de lui voir donner la bénédiction nuptiale. On s'est très souvent repenti du sacrement de mariage, et jamais de l'onction épiscopale.

Les petits vers sur le mariage de M. de Sade ne sont bons que pour votre trinité indulgente (2); je vous destinais des vers un peu plus ampoulés : c'est

(1) Auteur des Trois Spetacles, composés de Polixène, tragédie en un acte; du Vieillard amoureux, comédie en un acte, et de Pan et Doris, pastorale en un acte.

(2) Ils étaient trois frères. Voyez t. X de cette édtion, Odé Lie.

CorESPONDANce génér. Tome 1.

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une nouvelle édition de la Henriade. J'ai remis entre les mains de M. de Malijac un petit paquet contenant une Henriade pour vous et une pour M. de Caumont. Je vous remercie de tout mon cœur de m'avoir procuré l'honneur et l'agrément de son commerce; mais c'est à lui que je dois à présent m'adresser pour ne pas perdre le vôtre. Il semble que vous ayez voulu vous défaire de moi pour me donner à M. de Caumont, comme on donne savieil. le maîtresse à son ami. Je veux lui plaire, mais je vous ferai toujours des coquetteries. Je n'ai pu lui envoyer les Lettres en angiais, parce que je n'en ai qu'un exemplaire; ni en français, parce que je ne veux point être brûlé sitôt. Comment! M. de Caumont sait aussi l'anglais ! Vous devriez bien l'apprendre. Vous l'apprendrez sûrement, car madame du Châtelet l'a appris en quinze jours. Elle traduit déjà tout courant : elle n'a eu que cinq leçons d'un maître irlandais. En vérité madame du Châtelet est un prodige, et on est bien neuf à votre cour.

Voulez-vous des nouvelles? le fort de Kehl vient d'être pris; la flotte d'Alicante est en Sicile; et tandis qu'on coupe les deux ailes de l'aigle impériale en Italie et en Allemagne, le roi Stanislas est plus empêché que jamais. Une grande moitié de sa petite armée l'a abandonné pour aller recevoir une payc plus forte de l'électeur-roi.

Cependant le roi de Prusse se fait faire la cour par tout le monde, et ne se déclare encore pour personne. Les Hollandais veulent être neutres, et vendre librement leur poivre et leur canelle. Les Anglais voudraient secourir l'empereur, et ils le feront trop tard.

Voilà la situation présente de l'Europe; mais à Paris on ne songe point à tout cela. On ne parle que du rossignol que chante mademoiselle Petit-Pas (1), et du procès qu'a Bernard avec Servandoni pour le payement de ses impertinentes magnificences.

Adieu; quand vous serez las de toute autre chose, souvenez-vous que Voltaire est à vous toute sa vie avec le dévouement le plus tendre et le plus inviolable.

164. A M. DECIDEVILLE.

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A Paris, le 6 novembre.

AIMABLE ami, aimable critique, aimable poëte, en vous remerciant tendrement de votre allégorie. Elle est pleine de très beaux vers, pleine de sens et d'harmonie; mon cœur, mon esprit, mes oreilles Vous ont la dernière obligation. Je me suis rencontré avec vous dans un vers que peut-être vous n'au rez point encore vu dans ma tragédie.

Toutes les passions sont en moi des fureurs.

Voici l'endroit tel que je l'ai corrigé en entier. C'est Vendôme, qui parle à Adélaïde, au second

acte:

Pardonne à ma fureur, toi seule en es la cause.

Ce que j'ai fait pour toi sans doute est peu de chose;
Non, tu ne me dois rien: dans tes fers arrêtés,
J'attends tout de toi seule, et n'ai rien mérité.
Te servir en esclave est ma grandeur suprême,
C'est moi qui te dois tout puisque c'est moi qui t'aime.
Tyran que j'idolâtre et que rien ne fléchit,
Cruel objet des pleurs dont mon orgueil rougit,

(1). Dans l'opéra d'Hippolyte et Aricie.

1

Qui, tu tiens dans tes mains les destins de ma vie,
Mes sentiments, ma gloire, et mon ignominie.
Ne fais point succéder ma haine à mes douleurs;
Toutes les passions sont en moi des fureurs.

Dans mes soumissions, crains-moi, crains ma colère.

Il y a encore bien d'autres endroits changés, et bien des corrections envoyées aux comédiens depuis que je vous ai fait tenir la pièce. Pour le fond, il est toujours le même; on ne peut élever de nouveaux fondements comme on peut changer une antichambre et un cabinet, et toutes les beautés de détail sont des ornements presque perdus au théâtre. Le succès est dans le sujet même. Si le sujet n'est pas intéressant, les vers de Virgile et de Racine, les éclairs et les raisonnements de Corneille ne feraient pas réussir l'ouvrage. Tous mes amis m'assurent que la pièce est touchante, mais je consulterai toujours votre cœur et votre esprit de préférence à tout le monde; c'est à eux à me parler: il n'y a point de vérité qui puisse déplaire quand c'est vous qui la dites.

Souffrez aussi, mon cher ami, que je vous dise avec cette même franchise que j'attends de vous, que je ne suis pas aussi content du fond de votre allégorie et de la tissure de l'ouvrage, que je le suis des beaux vers qui y sont répandus. Votre but est prouver qu'on se trouve bien dans la vieillesse d'avoir fait provision dans son printemps, et qu'il faut à vingt ans songer à habiller l'homme de cinquante. La longue description des âges de l'homme est donc inutile à ce but. Pourquoi étendre en tant de vers ce qu'Horace et Despréaux ont dit en

de

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