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15-A M. THIRIOT.

Ce 28 juillet.

Je reçois, ce mardi 28 juillet, votre lettre du 23. Premièrement, je me brouille avec vous à jamais, et vous m'outragez cruellement si vous me cachez ceux qui vous ont pu mander l'impertinente calom. nie dont vous parlez. Je ne veux pas assurément leur faire de reproche; je veux seulement les désa. buser. Il y va de mon honneur, et il est du vôtre de me dire à qui je dois m'adresser pour détruire ces lâches et infâmes faussetés (1).

Je n'ai point vu le garde des sceaux, mais j'apprends dans l'instant qu'il a écrit au premier président de Rouen, dans la fausse supposition que les Lettres anglaises s'impriment à Rouen. Je suis me nacé cruellement de tous les côtés. Si vous m'ai-mez, mon cher Thiriot, vous reculerez tant que vous pourrez l'édition française. Je suis perdu si elle paraît à présent. Ne rompez pas pour cela vos marchés; au contraire, faites-les meilleurs, et tirez quelque profit de mon ouvrage. Je vous jure que c'en est pour moi la plus flatteuse récompense. A Pégard du Temple da Goût, dites de ma part, mon cher ami, au tendre et passionné auteur de Manon Lescaut, que je suis de votre avis et du sien sur les retranchements faits au Temple du Goût. Ah! mon ami, mériterais-je votre estime, si j'avais, de gaîté de ceeur; retranché mademoiselle Le Couvreur et mon cher Maisons? Non, ce n'est assurément que malgré moi que j'avais sacrifié des sentiments qui (1) Voyez la lettre du 5 auguste.

me scront toujours si chers. Ce n'était que pour obéir aux ordres du ministère; et après avoir obéi, après avoir gâté en cela mon ouvrage, on en a suspendul'édition à Paris, et pour combled'ignominie, on a permis dans le même temps que l'on jouât chez les farceurs italiens, une critique de mon ouvrage que le public a vue par malignité, et qu'il a méprisée par justice. Ce n'est pas tout; je ne suis pas sûr de ma liberté; on me persécute; on me fait tout craindre, et pourquoi? pour un ouvrage cent qui, un jour, sera regardé assurément d'un œil bien différent. On me rendra un jour justice, mais je serai mort, et j'aurai été accablé pendant ma vie dans un pays où je suis peut-être, de tous les gens de lettres qui paraissent depuis quelques années, le seul qui mette quelque prescription à la barbarie.

inno

Adieu, mon cher ami. C'est bien à présent que je dois dire,

Frange, miser, calamos, vigilataque carmina dele.

152. A M. DE CIDEVILLE.

Mardi au soir, 28 juillet.

Je reçois votre lettre, charmant ami ; j'avais déjà pris mes précautions pour l'Angleterre où tout doit être retardé. Je comptais que l'édition de Rouen était toute entière entre vos mains et en celles de Formont. Il y a deux jours que j'attends Jore à tous moments; il est à Paris, à ce que je viens d'apprendre; mais il n'a point couché cette nuit chez lui, et je ne l'ai point vu. J'ai bien peur qu'il n'ait couché Dans cet affreux château, palais de la vengeance, Qui renferme souvent le crime et l'innocence.

Cela est très vraisemblable. Cet étourdi-là devait bien au moins débarquer chez moi; jelui aurais dit de quoi il est question. S'il est où vous savez, il faudra que je déguerpisse, attendu que je n'aime pas les confrontations, et que j'ai de l'aversion pour les châteaux. Mandez-moi, mon cher ami, ce qu'est devenu le scandaleux magasin; et si vous savez quelques nouvelles du premier président et de Desforges, écrivez toujours à l'adresse ordinaire.

Je vais gronder notre Linant; mais en vérité, c'est l'homme du monde le moins propre à faire raccommoder un éventail. Dieu veuille qu'il se tire heureusement du très beau sujet que je lui ai donné! J'ai eu beaucoup de peine à le détacher de son Sabinus qui sortait de sa grotte pour venir se faire pendre à Rome. J'ai imaginé une fable bien plus intéressante à mon gré, et bien plus théâtrale, en ce qu'elle ouvre un champ bien plus vaste aux combats des passions. Je crois qu'il vous aura envoyé le plan: du moins il m'a dit qu'il n'y manquerait pas. Il vous doit, comme moi, un compte exact de ses pensées, et nous disputons tous deux à qui pense le plus tendrement pour vous.

* 153. A M. LE COMTE DE CAYLUS.

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Juillet.

Je vais vous obéir avec exactitude, monsieur; et si l'on peut mettre un carton à l'édition d'Amsterdam, il sera mis, n'en doutez pas. Je préfère le plaisir de vous obéir à celui que j'avais de vous louer (1). Je n'ai pas cru qu'une louange si juste dût vous

(1) M. de Voltaire avait mis, dans sa première édition du

offenser. Vos ouvrages sont publics; ils honorent les cabinets des curieux; mes porte-feuilles en sont pleins; votre nom est à chacune de vos estampes: je ne pouvais deviner que vous fussiez fâché que des ouvrages publics, dont vous vous honorez, fussent loués publiquement.

Les noirceurs que j'ai essuyées sont aussi publiques et aussi incontestables que le reste; mais il est incontestable aussi que je ne les ai pas méritées, que je dois plaindre celui qui s'y abandonne et lui pardonner, puisqu'il a su s'honorer de vos bontés et vous cacher les scélératesses dont il est coupable. C'est pour la dernière fois que je parlerai de sapersonne: pour ses ouvrages, je n'en ai jamais parlé. Je souhaite qu'il devienne digne de votre bienveil lance. Il me semble qu'il n'y a que des hommes vertueux qui doivent être admis dans votre commerce: pour moi, j'oublierai les horreurs dont cet homme m'accable tous les jours, si je peux obtenir votre indulgence. J'ai l'honneur d'être, etc.

154.A M. DE CIDEVILLE.

a auguste.

Vous m'avez cru peut-être embastillé, mon cher Temple du Goût, quatre vers très flatteurs pour M. le comte de Caylus. La modestie du comte en fut blessée, et il en témoigna son mécontentement à l'auteur, l'invitant à suppri mer cet éloge dans les éditions suivantes. Voici les vers: Caylus, tous les arts te chérissent;

Je conduis tes brillants dessius,
Et les Raphaël s'applaudissent
De se voir gravés par tes mains.

A ces vers, M. de Voltaire substitua le suivant:

Chantes, Brassac; gravez, Caylus.

ami. J'étais bien pis; j'étais malade et je le suis encore. Il n'y a que vous dans le monde à qui je puisse écrire dans l'état où je suis.

Je vais me rendre tout entier à mon Adélaïde, dès que j'aurai un rayon de santé. Je n'ose vous envoyer mon Épître à Émilie sur la Calomnie, parce qu'Émilie me l'a défendu; et que si vous m'aviez défendu quelque chose, je vous obéirais assurément, Je lui demanderai la permission de faire une exception pour vous. Si elle vous connaissait, elle vous enverrait l'épître écrite de sa main; elle verrait bien que vous n'êtes fait pas pour être compris dans les règles générales; elle penserait sur vous comme moi.

Vous savez qu'on a imprimé le Temple du Goût en Hollande, de la nouvelle fabrique. Il ya quelques pierres du premier édifice que je regrette beaucoup: et un jour je compte bien faire de ces deux bâtiments un Temple régulier qu'on imprimera à la tête de mes petites pièces fugitives, lesquelles, par parenthèse, je fais actuellement transcrire pour vous et pour Formont. Jeles corrige à mesure; mais je regrettede mettre moins de temps à les corriger, que mon copiste à les écrire.

Paris est inondé d'ouvrages pour et contre le Temple, mais il n'y a en rien de passable. Notre abbé fait sur cela un petit ouvrage qui vaudra mieux que tout le reste, et qui, je crois, fera beaucoup d'honneur à son cœur et à son esprit. Nous allons le faire copier pour vous l'envoyer; car l'abbé et moi nous vous devons, mon cher Cideville, les prémices de tout ce que nous fesons. Il est bien mal logé chez

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