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⚫ces. Ils en auront cette fois-ci, je vous jure, et ce ne sera pas de la galanterie. Je veux qu'il n'y ait rien de si turc, de si chrétien, de si amoureux, de si ten dre, de si furieux, que ce que je versifie à présent pour leur plaire. J'ai déjà l'honneur d'en avoir fait un acte. Ou je suis fort trompé, ou ce sera la pièce la plus singulière que nous ayons au théâtre. Les noms de Montmorency, de Saint-Louis, de Saladin, de Jésus et de Mahomet s'y trouveront. On y parlera de la Seine et du Jourdain, de Paris et de Jérusalem. On aimera, on baptisera,on tuera, etje vous enverrai l'esquisse dès qu'elle sera brochée.

On m'a parlé hier d'une petite pièce bachique du jeune Bernard, poëte et homme aimable. Dès que je l'aurai je vous l'enverrai. Il paraît ici des cou plets contre tout le monde; mais ils sont assez comme presque tous les hommes d'aujourd'hui, malins et médiocres. La fureur de jouer la comédie partout continue toujours, et la fureur de la jouer très mal dure toujours aux comédiens français. Nous attendons l'opéra des cinq ou six Sens; la musique est de Destouches, les paroles. de Roy, qui se cache de peur que son nom ne lui nuise. Nous aurons aussi les Serments indiscrets de Marivaux, où j'espère que je n'entendrai rien. Pour des nouvelles du parlement, ea cura quietum non me sollicitat. Je ne connais et ne veux de ma vie connaî tre que les belles-lettres, et aimer que des personnes comme vous, si par bonheur il s'en rencon

tre.

Adieu, je vous suis attaché pour toute ma vie.

maître. Il me paraît digne de toute la fortune qu'il n'a pas. Mais si les mœurs aimables, l'esprit et les talents peuvent conduire à la fortune, ilfaudra bien qu'il en fasse une. Il vous aime de tout son cœur; nous parlons de vous quand nous nous rencontrons. Nous souhaitons de passer notre vie avec vous à Paris. Que dites-vous de nos conseillers de la colue des enquetes (1), qui ont fait vou de n'aller ni aux spectacles, ni aux Tuileries, jusqu'à ce que le roi leur rende les appels comme d'abus ? Qu'a donc de commun la comédie avec celle du jansénisme? Mais, Dieu merci, tout cela va s'accommoder, et je me flatte d'avoir un nombre honnête de conseillers au parlement, à la première représentation de ma tragédie turco-chrétienne (2).

Ådieu, mon cher ami, je retourne à Éryphile dans le moment; je vous écrirai de longues lettres quand je ne ferai plus de tragédies.

106. A M. DE FORMONT.

Paris, juillet.

Je ne comptais vous écrire, mon cher ami, qu'en vous envoyant Éryphile et Zaïre. J'espère que vous les aurez incessamment. En attendant, il faut que je me disculpe un peu sur l'édition de mes OEuvres, soi-disant complètes, qui vient de paraître en Hollande. Je n'ai pu me dispenser de fournir quelques corrections et quelques changements au libraire qui avait déjà mes ouvrages, et qui les imprimait malgré moi sur les copies défectueuses qui

(1) Expression du cardinal de Retz.

(z) Zaïre.

seau;

étaient entre ses mains. Mais ne sachant pas précisément quelles pièces fugitives il avait de noi, je n'ai pu les corriger toutes. Non-seulement je ne réponds point de l'édition, mais j'empêcherai qu'elle n'entre en France. Nous en aurons bientôt une corrigée avec plus de soin et plus complète. Je doute que dans cette édition que je médite, je change beaucoup de choses dans l'épître à M. de La Faye. Il est vrai que j'y parle un peu durement de Rousmais lui ai-je fait tant d'injustice? n'ai-je pas loué la plupart de ses épigrammes et de ses psau mes? J'ai seulement oublié les odes; mais c'est, je crois, une faute du libraire; j'ai rendu justice à ce qu'il y a de bon dans ses épîtres, et j'ai dit mon sentiment librement sur tous ses ouvrages en général. Serez-vous donc d'un autre avis que moi, quand je vous dirai que, dans tous ses ouvrages raisonnés, il n'y a nulle raison; qu'il n'a jamais un dessein fixe, et qu'il prouve toujours malce qu'il veut prouver? Dans ses allégories, surtout dans les nouvelles, a-t-il la moindre étincelle d'imagination? et ne ramène t-il pas perpétuellement sur la scène, en vers souvent forcés, la description de l'âge d'or et de l'âge de fer, et les vices masqués en vertus, que M. Despreaux avait introduits auparavant en vers coulants et naturels? Pour la personne de Rousseau, je ne lui dois aucuns égards; je n'ai seulement qu'à le remercier d'avoir fait contre moi une épigramme si mauvaise qu'elle est inconnue, quoique impri

mée.

Le petit abbé Linant va faire une tragédie: je l'y ai encouragé. C'est envoyer un homme à la tran

chée; mais c'est un cadet qui a besoin de faire fortune, et de tout risquer pour cela. M. de Nesle m'avait promis de le prendre, mais il ne lui donne encore qu'à dîner. La première année sera peut-être rude à passer pour ce pauvre Linant. Heureusement il me paraît sage et d'une vertu douce. Avec cela,il est impossible qu'il ne perce pas à la longue. Adieu. Quand reviendrai je à Rouen, et quand reviendrezvous à Paris?

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J'étais si pressé, messieurs mes juges, quand je fis le paquet, que je vous envoyai une leçon de Zaïre qui n'est pas tout-à-fait la bonne. Mais figurez-vous que la dernière scène du troisième acte ct la dernière du quatrième, entre Orosmane et Zaïre, sont comme il faut; imaginez-vous qu' 'Orosmane n'a plus le billet entre les mains, et l'a déjà fait donner à un esclave, quand il se trouve avec Zaïre à qui il a toujours envie de tout montrer. Croyez qu'il y a bien des vers corrigés, et que si je n'étais pas aussi pressé que je le suis, vous auriez de moi des lettres de dix pages.

108. AU MÊME.

25 d'auguste.

Mrs chers et aimables critiques, je voudrais que

vous puissiez être témoins du succès de Zaïre; vous verriez que vos avis ne m'ont pas été inutiles, et qu'il y en a peu dont je n'aie profité. Souffrez, mon cher Cideville, que je me livre avec vous, en liberté, au plaisir de voir réussir ce que vous avez approuvé. Ma satisfaction augmente en vous la communiquant. Jamais pièce ne fut si bien jouée que Zaïre la quatrième représentation. Je vous souhaítais bien là: vous auriez vu que le public ne hait pas votre ami. Je parus dans une loge, et tout le parterre me battit des mains. Je rougissais, je me cachais, mais je serais un fripon si je ne vous avouais pas que j'étais sensiblement touché. Il est doux de n'être pas honni dans son pays; je suis sûr que vous m'en aimerez davantage. Mais, messieurs, renvoyez-moi donc Éryphile dont je ne peux me passer, et qu'on va jouer à Fontainebleau. Mon Dieu! ce que c'est que de choisir un sujet intéressant! Éryphile est bien mieux écrite que Zaïre;mais tous les ornements, tout l'esprit, et toute la force de la poésie ne valeut pas, à ce qu'on dit, un trait de sentiment. Adieu, mes chers Cideville et For

mont.

Quod si me tragicis vatibus inseres,
Sublimi feriam sidera vertice.

Je vous embrasse bien tendrement.

P. S. J'oubliais de vous dire que j'ai parlé de vous, mon cher Cideville, deux bonnes heures, au clair de lune, avec madame de La Rivaudaye, dans ce même jardin où M. de Formont m'a vu si impitoyablement sans me parler. Je suis bien aise que

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