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le sein même de ce gouvernement que se trouvait l'homme destiné à préparer sa ruine, Sieyès, un des membres les plus influens de la première assemblée nationale, qu'on avait rappelé de l'ambassade de Prusse, pour venir occuper le fauteuil directorial.

Le gouvernement, à cette époque, était divisé en deux factions très-distinctes, l'une voulant un chef avec la république, l'autre la république sans ce chef. Sieyès jette les yeux sur Bonaparte : c'est le seul qui puisse être choisi pour l'exécution du grand projet qu'on veut mener à fin; sa gloire éclipse la gloire des autres généraux, et, de plus, il exerce une influence électrique, non-seulement sur l'armée, mais encore sur tous les citoyens.

Une association d'intérêts réciproques s'établit donc entre les deux hommes les plus ambitieux et les plus rusés de la république; mais nous verrons bientôt comment le futur consul trompa l'ex-chanoine de Chartres, qui, pour employer ses propres expressions, mit un clou là où il ne croyait placer qu'une cheville.

En se contentant en apparence du rôle d'agent principal, Bonaparte s'était promis de recueillir exclusivement le bénéfice de l'intrigue, et Sieyès, espérant trouver dans son confident l'appui qui

lui était nécessaire, ne vit point qu'il devenait lui-même l'instrument politique dont le général allait se servir pour donner le plus grand essor à son ambition.

Tout est prêt, les acteurs sont là, les rôles sont déjà distribués. Gohier et Moulins seront sacrifiés; Barras s'est décidé pour une làche neutralité, et le conseil des anciens, au nom et avec les formes de la constitution qu'on allait abolir, a pris une résolution qui transférait le corps législatif à Saint-Cloud, sous le prétexte qu'une grande conspiration compromettait la sûreté des deux conseils dans la capitale. Cette résolution mettait à la disposition de Bonaparte la garde du corps législatif et toutes les troupes de la dix-septième division militaire, dont Paris était le chef-lieu.

Bonaparte a passé en revue, au Champ-deMars, les troupes mises à sa disposition, et les a réparties à Boulogne, à Sèvres et dans les villages environnans. Frappés de stupeur, Gohier et Moulins, au lieu de montrer quelque énergie, alors qu'il s'agissait moins de leur sûreté personnelle que du salut public, se sont humiliés devant l'homme auquel les conjurés venaient de conférer la dictature, et le secrétaire de Barras, envoyé près de Bonaparte pour traiter avec

lui, n'en a rapporté que cette réponse foudroyante:

Qu'a fait le directoire de cette France que je lui avais laissée si brillante? Je lui avais laissé la paix, j'ai retrouvé la guerre; je lui avais laissé des victoires, et j'ai trouvé des lois spoliatrices, la misère. Qu'a-t-il fait de cent mille Français, tous mes compagnons de gloire? Ils sont

morts. >>

Les deux conseils se sont rendus à Saint-Cloud, et Bonaparte, introduit dans celui des anciens, accompagné de plusieurs généraux et de ses aides-de-camp, demande et obtient sur-le-champ la parole. «< Représentans du peuple, dit-il, vous n'êtes point dans des circonstances ordinaires, vous êtes sur un volcan. » Nous ne rapporterons point son discours, trop long pour trouver place ici, mais nous dirons, avec Buffon, que si le style est tout l'homme, jamais l'application de ce principe n'a pu mieux être faite; que l'âme du général s'est montrée à nu dans les phrases éloquentes qu'il a débitées, et qu'on apercevait même déjà l'intention de franchir les degrés du trône.

Bonaparte avait quitté le conseil des anciens, où on l'avait souvent interrompu, en prononçant ces mots : « Vous trouverez toujours mon bras pour faire exécuter vos résolutions; » et il

s'était rendu au conseil des cinq-cents, qui va, dans l'instant, nous offrir un spectacle bien autrement tumultueux.

Gaudin ouvre la séance par un discours étudié, et s'efforce de donner une tournure favorable aux changemens prêts à s'opérer. Delbrel se lève et s'écrie : « La constitution d'abord; la constitution, ou la mort!... les baïonnettes ne nous effraient pas; nous sommes libres ici!..... » D'autres voix répondent à l'unisson : «Point de dictature! à bas le dictateur!» Pendant une heure le trouble et la confusion règnent dans la salle; tous les membres se précipitent à la tribune, tous veulent se faire entendre à la fois. Grandmaison a la parole, et propose « de faire tous, et par appel nominal, le serment de s'opposer au rétablissement de toute espèce de tyrannie. »

Ce serment est prêté, et l'on s'occupe de mesures réglementaires, lorsqu'une des portes de l'assemblée, s'ouvrant tout-à-coup, offre aux regards étonnés Bonaparte, la tête nue, et accompagné de quatre grenadiers. Il entre.

A cet aspect, l'assemblée entière, entraînée par un mouvement spontané, se trouve debout. Le tumulte est à son comble; c'est un bruit pareil à celui des tempêtes, et de nombreux députés s'écrient avec l'accent de la fureur : « Des

sabres ici! des hommes armés!... A bas le dictateur! le Cromwell!... Hors la loi! hors la loi !... »

<<< Il semblait, dit une relation contemporaine, que César fût au milieu du sénat qui devait l'égorger. »

Une foule de membres se précipitent au milieu de la salle, s'avancent sur Bonaparte, l'entourent et le pressent. Aréna tire un poignard et veut l'en frapper. Le grenadier Thomé détourne l'arme, et reçoit dans le bras droit le coup destiné au général. Une épaulette d'officier sera plus tard le dictame appliqué sur sa blessure, et lui fera obtenir une pension que lui contestera dans la suite le côté droit de la chambre des députés des départemens.

Averti de ce qui se passe, Lefebvre pénètre dans la salle, à la tête d'un piquet de grenadiers, écarte, disperse la foule, et parvient à enlever Bonaparte des mains de ces législateurs qui voulaient faire du vainqueur de l'Italie un nouveau Romulus. S'ils eussent réussi dans leur dessein, la France n'aurait pas été si long-temps veuve de ses rois; le joug impérial lui eût été inconnu, et elle ignorerait ce grand nombre d'abus, fils du despotisme, qui ont pesé sur elle.

Toutefois l'absence du général ne rétablit point le calme dans le conseil, justement irrité

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