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On renouvelait en Espagne les immenses préparatifs de la campagne précédente. D'Estaing y avait été appelé par le roi Charles, qui le nomma généralissime de ses troupes de terre et de mer; et une armée de débarquement était toujours stationnée sur les côtes de Flandre, de Normandie et de Bretagne. Toutefois, ce ne fut encore qu'un épouvantail, et soixante-trois vaisseaux de ligne, espagnols et français, sortis de Cadix, n'eurent d'autre destination que de ramener dans les ports de France la riche flotte marchande de Saint-Domingue. Peut-être, au reste, ne fallait-il pas moins que cette formidable escorte, pour la soustraire à la capture de quarante-cinq

seaux délabrés, dont trois étaient en carène, lorsqu'une flotte de vingt-six voiles, qui se trouvait poursuivie, dans le canal de Sainte-Lucie, par quatorze vaisseaux, aux ordres de l'amiral Hyde-Parker, fut signalée par les vigies. L'Annibal seul était prêt à mettre à la voile. La Motte-Piquet appareille sans hésiter, engage le combat le plus inégal, et débarrasse quelques bâtimens. Une heure après, soutenu par les deux autres vaisseaux, qui, pour faire plus de diligence, s'étaient donné à peine le temps de recevoir la moitié de leurs équipages, il manœuvre avec tant d'art et de bonheur, qu'il sauve dix-sept navires et la frégate qui les escortait. L'amiral anglais ne put s'empêcher d'admirer hautement les grands talens de son adversaire, et de lui en adresser une lettre de félicitation.

vaisseaux de ligne, qui l'épiaient, et que l'amiral Darby promenait, à cet effet, de croisières en croisières.

Clinton, en Amérique, et l'amiral Arbuthnot avaient fait, au printemps, l'importante conquête de Charles-Town, capitale de la Caroline méridionale, et ils dominaient dans cette province et dans la Géorgie, avec une férocité dont les Anglais donnèrent trop d'exemples dans le cours de cette guerre. Impolitiquement, à la vé rité, quelques provinces avaient formé des listes des proscrits, dont les biens furent confisqués, dont la vie même était menacée, s'ils venaient à rompre leur exil; et à la tête de ces listes se trouvait inscrit le nom de Henri Clinton. Le congrès autorisa des représailles qui, heureusement pour l'humanité, n'eurent point d'exécution.

A ces progrès de l'Angleterre dans le midi du continent américain, la France opposa une diversion dans le nord. Rochambeau fut porté par Ternay, avec six mille hommes de débarquement, à Rhode-Island, et, peu après, il reçut un nouveau renfort de six mille hommes, que lui amena Latouche-Tréville. Clinton, qui dut se repentir alors de l'évacuation de ce poste, se concerta avec Arbuthnot pour le reprendre; mais la résistance qu'on leur opposa, et un mouvement

de Washington sur New-Yorck, demeuré sans défense, les fit presque aussitôt renoncer à leur projet. Les Espagnols, de leur côté, obtenaient des succès dans le Yucatan, et chassaient les Anglais de leurs établissemens de Campêche. Ils s'emparaient, en même temps, dans la Floride occidentale, du fort Mobile et de Pensacola.

Ce fut durant cette campagne qu'eut lieu la défection d'Arnold, l'un des généraux américains les plus estimés. Soupçonné d'avoir détourné, à son profit, une partie du butin fait sur l'ennemi, il avait perdu la confiance du congrès. Il s'en aperçut, et résolut de s'en venger en désertant la cause de la liberté, dont il avait été jusque là l'un des plus chauds apôtres.

gage

Clinton accueillit le traître, mais il exigea, pour de son changement, qu'il lui livrât le fort où il commandait. Le major André, jeune officier anglais de la plus grande espérance, dépêché vers lui pour concerter les dispositions nécessaires à l'exécution de ce projet, est arrêté déguisé en paysan, et les preuves de l'intelligence sont saisies dans ses bottes.

Instruit, par hasard, de cet événement, Arnold s'échappe (*), et l'infortuné major, tout en

(*) Arnold servit depuis contre ses compatriotes, et pensa

pénétrant ses juges du plus vif intérêt, est condamné à mort (*), comme espion.

Luttant avec peine contre la marine réunie de France et d'Espagne, l'Angleterre réclamait, depuis long-temps, en vertu de traités antérieurs, l'assistance de la Hollande, partagée alors en deux factions, celle des républicains, qui refusait de se commettre avec la France, et celle du Stathouder, dévoué à la Grande-Bretagne,

étre fait prisonnier dans une action. « Qu'eussiez-vous fait de moi, demanda-t-il à un Américain, si vous m'eussiez pris? — Nous aurions séparé de ton corps, répondit celui-ci, cette jambe qui fut blessée pour le service de la patrie, et nous aurions pendu le reste. » ANQUETIL.

(*) Instruit de son sort, le jeune Anglais ne fit pas éclater, à l'approche du trépas, ce mépris qui n'est souvent que dissimulation ou abrutissement, ni cette faiblesse qui est le propre des hommes efféminés ou coupables, mais cette fermeté, noble apanage de l'homme vertueux et fort. Il regrettait la vie, mais il gémissait bien plus de la manière dont il fallait la perdre. Il eût voulu mourir en militaire, c'està-dire être fusillé; mais on lui destinait la peine des espions et des malfaiteurs, l'infâme supplice de la corde, en usage dans la philanthropique Grande-Bretagne.

Cette idée le pénétrait d'horreur; il la peignit avec force à la cour martiale, qui ne lui fit point de réponse, ne voulant point accéder à sa demande, et regardant comme une cruauté de lui signifier un refus formel.

par ses alliances avec la maison de Brunswick, qui le gouvernait. La première prévalut, et répondit par un silence obstiné aux demandes du cabinet de Saint-James.

De nouvelles réclamations, et des plaintes sur l'asile donné à des corsaires américains, n'eurent

:

Deux autres causes de désespoir ajoutaient aux angoisses du malheureux André l'une était la crainte que sa mort ne livrât à la misère une mère et trois sœurs qu'il aimait tendrement; l'autre que la voix publique n'accusât le général Clinton de l'avoir précipité, par ses ordres, dans l'affreuse situation où il était réduit. Il ne pouvait songer, sans les regrets les plus amers, que l'on pourrait imputer sa mort à l'homme qu'il aimait et respectait le plus. Il obtint la permission de lui écrire, et il n'en fit usage, que pour lui recommander sa mère et ses sœurs, et encore, pour attester que c'était non-seulement contre ses intentions, mais même contre ses ordres positifs qu'il s'était introduit dans le camp des Américains, et avait pris un déguisement.

Conduit au pied du gibet, il dit : « Est-ce donc ainsi que je dois mourir?» On lui répondit que l'on n'avait pu faire autrement. Il ne dissimula point sa profonde douleur. Enfin, après avoir prié quelques instans, il prononça ces paroles, qui furent les dernières : Soyez témoins que je meurs

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comme un homme de cœur doit mourir. »

Telle fut la fin, juste peut-être, mais trop affreuse, d'un jeune homme digne, à tant de titres, d'une meilleure destinée. Amis, ennemis, tous ressentirent une tristesse profonde.

BOTTA.

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