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une très-petite île, sans communication et presque sans espérance d'en avoir avec leurs compatriotes, Pingré, le gouverneur et les Nègres se hâtent de semer du blé et du riz, afin de se suffire à eux-mêmes. Ils avaient hasardé de communiquer avec l'Ile-de-France, en construisant une chaloupe pontée, et elle était presque finie, lorsqu'on découvrit un vaisseau, et un vaisseau français. La joie fut vive dans la colonie; toutefois, ne voyant plus le pavillon de France, le capitaine du navire n'osait approcher de la côte; on alla au-devant de lui, dans une pirogue; on l'instruisit de ce qui s'était passé, et aussitôt, il fit la cérémonie de descendre dans l'île, l'épée à la main, et de la reprendre au nom de Louis xv. Ce bâtiment venait chercher des tortues à Rodrigue, mais, n'y en trouvant point, il ramena aux îles de France et de Bourbon le père Pingré, qui était resté près de trois mois et demi dans ce pays inculte et inhabité.

En repassant de ces îles en Europe, Pingré fut averti par les officiers du vaisseau qu'il montait, que le capitaine avait intérêt de le faire prendre par les Anglais, et qu'il serait pris infailliblement. En effet peu de temps après avoir passé la ligne, ce capitaine se porta dans des parages où l'on savait bien qu'il y avait des flottes

ennemies. Les ayant rencontrées, il fit semblant de fuir devant elles; on tira de part et d'autre quelques coups de canon. Dans la chasse, un coup de vent abattit le mât de hune du vaisseau anglais; les Français alors se crurent sauvés, et ils pouvaient facilement échapper; mais le capitaine porta si peu de voiles, et prit si bien ses mesures, que les Anglais, ayant réparé leurs navires, le poursuivirent, l'atteignirent, et s'en emparèrent.

On ne traita pas Pingré en prisonnier de guerre, son passe-port le garantissait; il ne fut ni fouillé, ni pillé; on lui laissa ses papiers, ses effets et ses instrumens. Les Anglais ne purent cependant résister à la tentation de lui enlever quelques morceaux rares d'histoire naturelle. Conduit à Lisbonne, il revint en France, en traversant l'Espagne.

D'autres voyages eurent encore lieu dans l'intérêt des sciences, tous glorieux pour la nation française; toutefois, voulant revenir aux principaux faits de la marine universelle, nous n'en parlerons que sommairement.

VOYAGE EN SIBÉRIE.

De tous les voyages entrepris pour l'observation du passage de Vénus, le plus difficile fut celui de l'abbé Chappe.

Parti de Paris dans le mois de novembre 1760, il arriva à Saint-Pétersbourg, et obtint d'Élisabeth (*) tout ce qu'il demanda pour voyager avec sûreté dans ses états.

Il descendit d'abord jusqu'à Moscou, courut long-temps sur le Volga, qui sert de grand chemin quand il est gelé, et s'enfonça dans la vaste forêt qui s'étend jusqu'aux confins de la Sibérie. A tous momens les traîneaux étaient renversés; quelquefois ils enfonçaient dans des cavités;

(*) Les qualités politiques d'Élisabeth ont égalé ses qualités bienfaisantes. On ne pouvait la voir sans l'aimer; le plaisir, les grâces souriaient avec elle; la douleur se calmait au son de sa voix; devant elle, le secret des infortunés venait se placer, comme malgré eux, sur leurs lèvres. Les larmes passaient dans son cœur : elle les diminuait par sa sensibilité, avant de les essuyer pour toujours. Combien doivent être heureux les peuples dont on peut faire un pareil éloge des souverains! Elle porta l'esprit de bienfaisance si loin, qu'elle abolit la peine de mort dans ses états, et rendit, malgré eux, les criminels utiles à leur patrie.

ANQUETIL.

un des chevaux même fut englouti en passant une rivière glacée, et il eût abîmé le traîneau qui portait l'abbé, si l'on n'en eût promptement coupé les traits.

Chappe n'avait pu quitter Pétersbourg que le 10 mars. On lui avait assuré que le dégel arriverait avant qu'il parvint à Tobolsk, et qu'alors il lui serait impossible de continuer sa route, ni hommes, ni voitures, ni chevaux ne pouvant courir sur une terre détrempée par la fonte de huit ou dix pieds de neige.

L'abbé n'avait d'autre espoir que de prévenir le dégel par la rapidité de sa course. Il voyageait, le thermomètre à la main, frémissant à toutes ses vicissitudes, et précipitant sa marche toutes les fois qu'il montait.

Les compagnons de Chappe, se lassant de courir nuit et jour, de braver les précipices, les gouffres, les tourbillons de neige, que le vent élève dans ces contrées, comme il en élève de sable en Arabie, et de poussière dans nos climats, témoignèrent de l'humeur, et demandèrent du repos : l'abbé les refusa.

S'étant endormi, quelque temps après, son traîneau fut dételé, et, à son reveil, il se trouva seul au milieu d'une plaine immense, couverte de neige, et terminée, dans le lointain, par les

bouleaux et les sapins de la forêt qu'il.traversait. Il était nuit : vainement il appelle; personne ne répond à ses cris. Toutes les pensées qui l'agitent à la fois, son trouble, son inquiétude, sa colère ne peuvent se peindre ni même se bien concevoir. Seul dans un désert de glace, sans vivres, à quatorze cents lieues de sa patrie, et loin de toute habitation humaine, il rentrait dans son traîneau, il en sortait, il marchait égaré, il suait à grosses gouttes, malgré l'horrible froid qui gelait tout ce qui l'entourait. Enfin il croit reconnaître un chemin; il revient à son traîneau, prend ses armes, marche, s'abîme dans un trou rempli de neige, et y reste enseveli jusqu'au menton.

Revenu de son étourdissement, il s'efforce d'en sortir; il se dégage, mais avec tant d'effort et de fatigue, qu'il tombe sur le bord de ce trou, la face sur la neige, et qu'il y reste accablé d'horreur et d'épuisement, désespérant de sa vie, n'attendant et ne désirant même que l'instant qui la terminerait.

Cet état d'affaissement, en le contraignant au repos, rétablit un peu ses forces : il reprend ses esprits, et, avec eux, il retrouve son courage. Il se lève, il regarde de tous côtés; apercevant dans le lointain une faible clarté, il s'avance à sa lueur douteuse, mais doucement, mais avec précau

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