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il repassa en Europe sur un vaisseau espagnol qui le conduisit à Cadix. Enfin il revint à Paris, après une absence de onze ans et demi.

Dès le port de Lorient, où il devait s'embarquer, le P. Pingré éprouve des difficultés. Le directeur de la compagnie des Indes le reçoit mal et refuse d'embarquer ses ballots, prétendant qu'ils sont remplis de marchandises prohibées ils ne contenaient cependant que les instrumens nécessaires à son observation, et les hardes convenables à un religieux.

Le directeur et Pingré écrivent à Paris : un ordre arrive de faire embarquer le père, au plus tôt, avec ses effets, et de lui fournir, dans l'Inde, tout ce qu'il demandera, sans rien exiger de lui qu'un simple reçu, faveur dont ce savant était digne, et dont même il ne fit aucun usage.

Un autre désagrément l'attendait sur le vaisseau. Marion, qui le commandait, très-bon marin d'ailleurs, à force de pratique, n'avait aucune idée de la théorie; il était même prévenu contre elle et contre tous les savans qui ne connaissaient qu'elle. Il regarda Pingré comme un censeur incommode, qui n'était sur son bord que pour contrôler sa manoeuvre. Il le lui dit avec franchise, et tarda peu à être désabusé; dès lors ils furent amis. C'est ce même Marion,

qui, depuis, ayant été reconnaître ces îles de la Nouvelle-Zélande, dont le capitaine Cook a le premier fait le tour, fut pris par les farouches habitans de ces bords, et fut dévoré par eux.

Marion et Pingré furent à peine en pleine mer, qu'ils furent poursuivis par des vaisseaux anglais; une manoeuvre habile les sauva. Pingré avait demandé un passe-port à l'amirauté anglaise, et cette amirauté le lui avait envoyé, avec les égards que méritaient son savoir et son entreprise; mais ce passe-port ne garantissait point le vaisseau qui le portait.

Un peu au-delà du cap de Bonne-Espérance, ils rencontrèrent un vaisseau français. Blin, qui le commandait, était l'ancien de Marion, et il avait le droit de s'en faire obéir. Il lui ordonna de l'escorter jusqu'à l'Ile-de-France, où il allait. Marion allégua l'ordre qu'il avait de déposer Pingré à l'île Rodrigue; il ne put rien obtenir. L'astronome se plaignit, et remontra qu'en lui faisant perdre du temps on lui ferait manquer son observation. Blin répondit : « Qu'on le jette à l'eau. »

Desforges, gouverneur de l'île de France, réprimanda Blin; mais le mal était fait. Il fit armer promptement une petite corvette de six canons, pour conduire Pingré à Rodrigue.

Cette île n'est qu'à cent vingt lieues de l'Ile-deFrance; mais la direction du vent, toujours contraire, oblige à prendre un détour si long, qu'on emploie quelquefois six semaines pour y parvenir. Pingré n'était arrivé que le 6 mai à l'Ile-deFrance, et il en repartit le 8. Il n'y avait pas un mois jusqu'au jour de l'observation.

Le vent ne fut pas si contraire qu'on le craignait; on découvrit Rodrigue le 26, et soudain le calme arrêta le vaisseau : il fut deux jours sans pouvoir avancer. Qu'on se peigne l'impatience, l'ennui et le désespoir d'un astronome, dans une telle situation. Enfin ils abordèrent le 28, au coucher du soleil.

Rodrigue est une île de quatre lieues de long, sur deux de large; elle est déserte et sans culture. Dix ou douze esclaves nègres y ont été transportés. Un blanc, qui a le titre de commandant, les occupe à rassembler des tortues de terre dans un parc, des tortues de mer dans un autre, ou à veiller sur quelques bœufs et quelques vaches transportés des Indes ou d'Europe sur ce rocher, comme ces nègres l'ont été eux-mêmes des côtes d'Afrique.

Une grande cabane de planches mal jointes, qui laissaient circuler le vent de toutes parts, séparée par une cloison en deux parties, dont

la plus grande, pavée de pierres brutes, servait de salle à manger, et dont la plus petite servait de chambre à coucher au commandant, à sa femme et à son enfant, était le plus beau ou plutôt le seul bâtiment de l'île.

Un mât d'une hauteur prodigieuse surmonté d'un pavillon français était le seul monument royal qu'il y eût; quelques mauvais canons, pour saluer les vaisseaux qui abordaient, faisaient toute la défense de la côte.

Vainement Pingré chercha un lien plus commode pour faire son observation; les montagnes escarpées de l'île, et le peu de jours qui lui restaient ne lui permirent pas de s'en procurer un

autre.

Des pluies survinrent : la nuit qui précéda le jour de l'observation fut obscure; des nuages empêchèrent de voir entrer Vénus sur le disque du soleil; bientôt même ils devinrent assez rares pour que Pingré pût suivre le cours de cet astre sur ce globe. Il vit très-bien le commencement de la sortie de Vénus; un nuage survint, et lui déroba le moment où elle acheva de se détacher des bords de ce disque. En vérifiant ses calculs, il se trouva d'accord avec les autres observateurs. Ainsi, malgré les nuages, son observation fut bien faite.

Sur ces entrefaites les Anglais paraissent à la vue de l'île, s'avancent, et s'emparent du vaisseau qui avait amené l'académicien, et d'un autre qui se trouve à l'ancre dans le port. Cent coups de canon sont tirés; les boulets passent par-dessus la cabane du gouverneur, d'où Pingré les entend siffler sur sa tête. Bientôt les Anglais descendent, coupent le mât, emportent le pavillon français, enclouent l'artillerie, pillent les bœufs, les tortues de terre, celles de mer, la farine et surtout le vin. Mettant ensuite à terre les officiers des vaisseaux qu'ils ont pris, ils leur font jurer d'être dix-huit mois sans combattre, et ils brûlent les deux bâtimens. Les nègres s'étaient enfuis dans les montagnes et dans les bois.

Le gouverneur et Pingré furent traités avec égards, et de la manière la plus distinguée; les effets du Père furent respectés, et ses instrumens, qu'il préférait à tout, lui restèrent.

Neuf jours après, arrivent d'autres vaisseaux anglais; ils achèvent de piller ce que les premiers ont laissé; mais ils en agissent bien avec les Français, et surtout avec l'astronome; ils leur donnent même quelques sacs de blé, du riz et de l'eau-de-vie, et remettent à la voile.

Séparés du reste du monde par l'Océan, à quatre mille lieues de leur patrie, enfermés dans

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