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force qui subjugue l'intelligence, dicte nos jugemens et les rend indépendans de toute discussion.... Cet instinct est dans vous, il y est malgré vous; il est dans tous les hommes. Connoissez son auteur dans le Dieu qui n'a pas voulu même vous laisser ici le choix de la lumière ou des ténèbres et remerciez sa bonté infinie, au lieu de disputer sur ses moyens. Connoissez un Dieu sage, qui vous débarrassant de tout cet appareil de principes, de longs raisonnemens, d'inductions, de conséquences, fait faire en un instant briller la vérité d'un éclat qui ne laisse pas même lieu au doute; qui décide également le jeune homme et le vieillard, l'ignorant et le savant, le dernier des citoyens et le plus éclairé des magistrats. Quel seroit votre état et quel seroit celui de la société, si pour tendre la main à ce frère qui tombe, pour arrêter le glaive qui menace un ami, pour éteindre le feu qui dévore son habitation, pour réprimer la calomnie qui outrage un bienfaiteur, il falloit consulter et mes sens, et la loi, et mes réflexions, peser dans la balance et le pour et le contre, délibérer sur l'honnête et l'utile, juger mon intérêt et celui du public, ne parvenir à la pratique que par les longs circuits d'une longue et pénible théorie? Non non; il faut agir, le secours est pressant; la vérité n'arrive point à pas comptés; volez, elle a déjà frappé, sollicité; principes, conséquences, devoirs, tout est vu dans l'instant: agissez, la lumière vous inonde toutes vos réflexions n'ajouteront pas à son éclat. Laissezlà et Socrate et Platon, votre cœur vaut mieux que leur école. Il a vu le besoin, il vous a dit la loi, et montré la vertu toute entière, tandis qu'ils sont encore à la chercher. Voilà ce que j'appelle instinct moral. Vous ne le sentez pas; je vous plains, je ne conteste pas; j'aime mieux le suivre qu'argumenter; il m'en coûteroit trop de résister; je ne veux pas sur-tout d'une philosophie qui l'étouffe. »

On sait que c'est particulièrement J. J. Rousseau qui a établi comme un principe fondamental que l'homme est naturellement bon, aimant la justice et l'ordre. Mais en cela, comme dans presque toute ses assertions les plus favorites, il n'a pas manqué de se réfuter vigoureusement. « L'homme, dit-il, qui ne connoît pas la douleur, ne connoît ni l'attendrissement de l'humanité, ni la douceur de T. III.

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la commisération. Son cœur ne seroit ému de rien, il ne seroit pas sociable, il seroit un monstre pour ses semblables.» Emile L. 2 et 4. Donc il faut que l'homme ait souffert avant que d'être bon; donc, avant que d'avoir souffert, il est très-naturellement méchant, et même un monstre pour ses semblables. D'ailleurs, « on ne plaint jamais dans autrui que les maux dont on ne se croit pas soi-même exempt. » C'est pour cela que « les rois sont sans pitié pour leurs sujets, que les riches sont durs envers les pauvres. »

Helvétius voyant dans les écrits de Jean-Jacques cette double opinion, accuse encore ce philosophe de se combattre lui-même. La preuve du contraire sera qu'Helvétius assurément ne pense pas s'être aussi combattu lui-même; et cependant qu'on lise ce qui suit. « Malheur au prince qui se fie à la bonté originelle des caractères! Rousseau la suppose, l'expérience la dément. Qui la consulte, apprend que l'enfant noie des mouches, bat son chien, étousse son moineau, et que sans humanité, l'enfant a tous les vices de l'homme.... Le puissant est souvent injuste ; l'enfant l'est de même..... La manière uniforme d'agir de ces deux âges a fait dire à M. de la Mothe: c'est que déjà l'enfant est homme, et que l'homme est encore enfant. L'homme de la nature est son propre boucher.... L'homme policé lui-même n'est-il pas retenu par la crainte ? Il devient cruel, barbare. » Helv. de l'Homme t. 2, sect. 5. ch. 3 et 4, etc.

Ces incertitudes et ces contradictions s'évanouissent à la lumière de la religion et à celle de l'expérience. « Le désir de contrarier nos dogmes religieux peut seul évidemment rendre cette question problématique. Je laisse ici à nos théologiens le soin de nous dire à quel point ce doute seul les blesse, nous n'avons pas même besoin de leurs lumières pour le résoudre. » Cat. phil. t. 3, no 449 et suiv.

Que seroit-ce en effet qu'un être naturellement bon et vertueux ? Pour lui donner ce titre, j'exigerois au moins qu'il eût pour la vertu un penchant si bien décidé qu'il en coûtât toujours quelque violence pour se livrer au vice; que jamais son plaisir ne se trouvât que dans son devoir même, et son penchant que dans la loi. Est-ce là ce que

nous observons dans la nature de l'homme ? (dans les enfans et la jeunesse sur-tout?).... Et certes, si le vice contrarioit les penchans de l'homme, la plus foible tentation, le plus vil intérêt, le plus léger plaisir l'entraîneroient-ils donc si souvent dans le vice, tandis que les exhortations les plus fréquentes, les motifs les plus pressans, les résolutions les plus fortes suffisent à peine pour en retenir un petit nombre dans les voies de la vertu ? Serions-nous donc sans cesse obligés d'opposer un frein à la jeunesse, et d'exhorter nos vieillards endurcis à revenir au bien? En coûteroit-il tant de corriger des habitudes? Les contracterions-nous si aisément ? Nous y livrerions-nous par le seul plaisir de contrarier des penchans primitifs et naturels pour la vertu? Faudroit-il tant de soins pour prévenir le vice par une heureuse éducation? Faudroit-il aux puissances, des lois et des bourreaux, à l'Eglise un enfer pour arrêter les crimes, en diminuer au moins le nombre, s'ils n'avoient pas leur source dans les penchans de l'homme? Ah! malheureusement la question n'est que trop décidée. Nos prétendus sages ne l'auroient pas même proposée, s'ils n'avoient fait serment de se trouver sans cesse en opposition avec la vérité et la religion.

DÉRAISONNEMENS PHILOSOPHIQUES SUR LA VERTU ET LES PASSIONS LEUR VRAIE DÉFINITION. L'ÉGOÏSME ET L'INTÉRÊT PERSONEL

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SEUL GUIDE DE LA PHILOSOPHIE MODERNE. cons REMARQUES SUR
LE SUICIDE, SUR LE MOT FANATISME ET SUR LA POPULATION.

Décembre 1789, page 487.

(Méme ouvrage.)

SECOND EXTRÁIT,

Les philosophes qui n'ont pas regardé la vertu comme une chose tout-à-fait chimérique, en ont fait un être si bizarre, si léger, si mobile, si dépendant tantôt de la fortune et de la destinée, tantôt des caprices et des extravagances humaines, que l'on ne peut sans une pitié profonde entendre nos prétendus grands hommes raisonner sur cet objet. Nous avons parlé en rendant compte des

volumes précédens, du Bathlam ou hôpital qui renfermoit une multitude de raisonneurs fameux parmi les physiciens et les métaphysiciens du jour. C'est encore là que se débitent les plus étranges imaginations sur la morale. « Je me souviens, dit la baronne, que, où je visitai aussi la cour et quelques loges de nos moralistes modernes, je trouvai un malade qui me donna mot pour mot la leçon suivante : (Helv. de l'Esprit.) Veux-tu savoir si tu es vertueux, vois d'abord si tu te portes bien, si tu dors bien, si tu as bien de quoi fournir ta table; vois si tu es heureux. Je voudrois bien, lui dis-je, être à la fois l'un et l'autre ; mais.... Mais, reprit-il aussi-tót, mais si la vertu ne te rend pas heureux, apprends de nos grands hommes que c'est là le cas de t'écrier: On VERTU! TU N'ES qu'un vain

NOM. »

« Passant de la dixième loge à l'onzième, toujours dans la cour des moralistes infirmes, je m'avisai de demander à un nouveau malade: Qu'est-ce que la vertu? Au lieu de me répondre directement, il m'interroge alors lui-même, et me demande : De quel pays es-tu? Il me vient dans l'esprit de répondre; du Congo.... Du Congo? Reprit-il; eh bien dans ton pays le vol est en honneur parce qu'il est utile (de l'Esprit. Disc. ch. 13); il est aussi la vertu du Congo. Si tu étois de Siam, continua mon malade, ce seroit autre chose. Les jeunes Siamoises portées dans les rues sur des palanquins, s'y présentent dans des attitudes très-lascives. Tu en ferois autant pour être vertueuse. Gar la reine Tyrada l'ordonna ainsi pour le bonheur des deux sexes; elle créa alors les vertus siamoises. »

« Je n'ose pas vous dire, chevalier, tout ce que mon malade ajouta sur les vertus de bien d'autres contrées, du Matamba, d'Angola, de Batimerą, de Babylonne, de Pekin, du Tunquin; sur ces vertus étranges qui consistent tantôt à tuer les enfans et les vieillards, tantôt à étrangler un malade pour l'arracher à la douleur, tantôt encore à se laver de ses péchés par des sacrifices à la déesse du plaisir; vous seriez un peu trop étonné des vertus de la reine Tyrada, et sur-tout de celles de la reine Banany (de l'Esprit, Disc. 2, c. 14); de ces vertus qui changeant toutes comme le climat et le législateur, subissent

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de plaisantes métamorphoses. L'essentiel est que toutes ces leçons reviennent précisément à celles d'Helvétius, et que leur première impression dure encore malgré moi, que je continue à n'y voir que les principes de nos frères malades, quoique je sache bien aujourd'hui de quelle école elles sont parties. »

On trouve ensuite un entretien curieux que .a baronne raconte avoir eu un jour avec son fils: c'est une mère qui instruit son enfant sur la morale philosophique; et l'enfant déjà imbu de leçons raisonnables et chrétiennes répond d'une manière très-embarrassante pour la mère.

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La baronne reconnoît que son fils est déjà trop avancé dans la morale chrétienne et vulgaire, pour être dûment initié à celle des philosophes; et la manière dont elle mène le chevalier, montre bien qu'elle n'y croit pas elle-même. Mais c'est toujours le provincial qui, reprenant les discours des autres, abat l'erreur d'une manière directe et décisive. Qu'elle est inconcevable, dit-il, cette erreur de nos faux sages, qui prétendent nous donner une morale humaine en avilissant l'homme, et en le flétrissant; une morale naturelle et raisonnable, en voulant nous faire renoncer à la voix de la nature et aux lumières de la raison; qui pour rendre la religion nulle dans la morale de l'homme, font taire la raison et la nature dans tout ce qu'elles ont d'essentiellement commun avec la religion !..... S'ils refusoient de recourir aux vérités émanées de cette religion ou de la révélation, que n'ont-ils au moins consulté la raison dont ils osent se dire les apôtres? Ils l'auroient vue aussi bien que l'école de la théologie, révoltée de cette mobilité, de cette dépendance qu'ils ont osé donner à la morale. Elle leur auroit dit que vous soyez blessés par les rayons du jour, ou que votre ceil supporte sa lumière sans en être offense; qu'il fatigue votre vue affoiblie, ou qu'il ne serve qu'à diriger vos pas, ce n'est pas vous qui faites la splendeur du soleil; il la tient de lui-même, et ce n'est pas son cours qu'il faut fléchir; c'est votre organe qu'il faut fortifier. Que la vertu vous conduise aux honneurs, aux richesses, au bien-être; ce n'est point de vos titres, de vos trésors, de vos plaisirs ou de vos sceptres qu'elle tient sa nature et sa beauté. Ce ne sont pas vos triomphes qui

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