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JUSTIFICATION DE LA GUERRE; GRAND ET MAGNIFIQUE SPECTACLE
QU'ELLE OFFRE. CRUAUTÉ AMBITION DE JULES-CÉSAR SA
PRÉTENDUE CLÉmemce. SUPERIORITÉ des soldats ROMAINS SUR
LES NÔTRES; Ses causes. — BELLES LEÇONS POUR LES DÉPOSITAIRES
DE L'AUTORITÉ.
·VÉRITABLES CAUSES DE LA DÉFAITE de pompÉE

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SUR LE SUICIDE DE CATON.

Octobre 1788, page 243.

(Commentaires de César, avec des notes historiques critiques et militaires, par Mr. le comte Turpin de Crissé, lieutenant-général des armées du roi, commandeur de l'ordre royal et militaire de St. Louis, gouverneur du fort de Scarpe etc. Nouvelle édition. A Amsterdam 1787, 3 vol. in-8°. )

Peu d'ouvrages, parmi ceux de l'antiquité, sont plus connus, et admirés et ont été plus souvent commentés que les Commentaires de César; mais jamais peut-être ils n'ont été présen. tés au public sous une forme plus utile que celle que leur donnée M. le comte Turpin de Crissé. Il en a fait un fond d'instruction, où les philosophes, les politiques, les guerriers, les rois, trouveront des leçons aussi importantes que fortement et clairement raisonnées. L'histoire de César est particulièrement propre à donner un développement heureux à toutes sortes d'observations. Le héros en est si connu,

est si pénétrante au milieu des pompes de la vanité, sous le dais de l'opulence, qui couvre encore de son faste l'orgueilleuse proie que la mort lui arrache, quelle impression doit-elle produire dans des lieux où toutes les misères et toutes les horreurs sont rassemblées ! voilà ce que bravent le zèle et le courage pastoral. La nature, l'amitié, les ressources de l'art, le ministre de la religion remplace tout; seul au milieu des gémissemens et des pleurs, livré lui-même à l'activité du poison qui dévore tout à ses yeux, il l'affoiblit, il le détourne; ce qu'il ne peut sauver, il le console, il le porte jusque dans le sein de Dieu; nuls témoins, nuls spectateurs, rien ne le soutient, ni la gloire, ni le préjugé, ni l'amour de la renommée, ces grandes foiblesses de la nature auxquelles on doit tant de vertus. Son ame, ses principes, le ciel qui l'observe, voilà sa force et sa récompense. L'état, cet ingrat qu'il faut plaindre et servir, ne le connoît pas; s'occupe-t-il, hélas! d'un citoyen utile qui n'a d'autre mérite que celui de vivre dans l'habitude d'un héroisme ignoré ?

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ses actions si éclatantes, les monumens qu'il a laissés, en si grand nombre, et répandus dans une si vaste étendue pays, que tout ce qui le concerne est d'un intérêt marqué pour les lecteurs de toutes les nations. « Depuis dix-huit cents ans, l'Europe est occupée de ses exploits : tous les livres en sont pleins, tous les hommes en parlent, il y a une sorte de honte à les ignorer. On observe la place de ses camps, on suit la marche de ses armées, on montre les villes qu'il a prises, les fleuves qu'il a traversés, les champs où il a vaincu. Combien de François connoissent à peine le nom des guerriers qui ont défendu leur pays, et savent tout ce qu'a fait César pour l'asservir? Tant de siècles écoulés ne peuvent nous séparer de lui. On diroit qu'il est encore sur les bords du Rhin, de la Seine ou de la Tamise. Le temps n'a détruit que la terreur attachée à ses pas; et cet ennemi de tous les peuples, qui fit couler autrefois tant de sang, semble être devenu le compatriote de toutes les nations, et le contemporain de tous les âges »

Dans le discours préliminaire, l'auteur défend l'art militaire contre les déclamations d'une froide philosophie qui tendent à le ravaler et à le rendre odieux. La guerre est un grand mal sans doute; entreprise dans des vues d'ambition et d'agrandissement ou par les petites jalousies qui règnent dans les cours, elle est détestable et digne de la haine des hommes vertueux. Mais elle n'en est pas moins souvent le salut des peuples, on lui doit l'honneur et la conservation des empires. Elle est dans l'ordre général des choses humaines, bonne ou mauvaise selon l'objet auquel elle sert. Mr. de Crissé s'arrête à nous la représenter comme riche en grands et magnifiques spectacles. Il prouve que quoique les arts et les vertus de la paix soient très-estimables, les talens de la guerre ont un prix plus grand, excitent une admiration plus réfléchie, plus soutenue. « Pour produire dans l'ame, dit Mr. Turpin, ces agitations rapides et profondes, il faut de grands intérêts, des idées vastes, des images terribles. Un vallon arrosé d'une onde pure, une prairie émaillée de fleurs frappent et attachent moins notre pensée qu'une montagne aride dont les flancs brûlés, la cîme ouverte et noircie attestent les feux qu'elle a vomis. Voulez-vous être étonné, agité, enlevé

à vous-même ? Venez sur un champ de bataille; voyez ces légions couvrir la terre qui va s'abreuver de leur sang; voyez ces masses s'ébranler, s'avancer, se séparer et se joindre, se presser et s'étendre, heurter d'autres masses aussi redoutables, les pousser et les écraser de leurs poids. Une seule intelligence fait mouvoir ces grands corps; tant de milliers d'hommes n'ont que la volonté d'un seul homme. Tranquille dans le tumulte et les horreurs de la mêlée, maître de lui comme de tout ce qui l'environne, d'un coup d'œil il embrasse et dirige tout. Il fait disparoître les dangers, détruit les obstacles, corrige les revers, décide les succès et contraint la fortune à lui obéir. Dispositions savantes, manœuvres hardies, mouvemens inattendus, tout émane de lui. Son génie plane sur ces vastes champs, et comme le Jupiter d'Homère, il envoie aux uns la victoire, aux autres la fuite et la mort. »

Il ne faut pas croire qu'en commentant César et faisant saillir ses talens militaires par de sages observations, M. de Crissé en fasse un continuel panégyrique. Il n'est pas possible de circonscrire l'éloge et le blâme avec plus de justesse. « Défendre, dit-il, la gloire militaire, c'est défendre celle de César. Tel est le dessein que je me suis proposé; mais je n'ai point prétendu justifier ses ravages, ni son usurpation. Je loue les qualités sublimes qui le rendirent maître du monde, je déteste l'ambition effrénée qui lui fit égorger un million d'hommes et réduire un peuple libre à la condition d'esclave. Je ne sais en lisant ses Commentaires, quel sentiment l'emporte dans mon ame, ou l'horreur que m'inspirent ses crimes, ou l'admiration que je ne puis refuser à son génie. Je n'aperçois jamais le héros sans découvrir le tyran. Celui-ci m'irrite et m'indigne; je crois le voir tout couvert de sang appésantir sur ma tête le joug dont il a accablé sa patrie. L'autre m'élève et m'énorgueillit, il me donne une plus haute idée de l'homme. »

M. de Crissé s'élève avec force contre les historiens qui', pour ne pas déroger à la gloire de César, ont dissimulé ce qui marquoit en lui une ame sanguinaire et féroce. Plutarque ne dit pas un mot de cette expédition de César en Bretagne, ni du meurtre des sénateurs de Vannes; il

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passe encore sous silence les cruautés exercées après la prise de Cahors, et plusieurs autres traits qui démentent le caractère d'humanité qu'il donne à son héros il ne pouvoit cependant les ignorer, il les avoit lus dans l'ouvrage de César, et sans doute dans quelques autres his toriens perdus aujourd'hui, tel que ce Tanusius, qui ne flattoit point la mémoire de Jules, si l'on peut en juger par le trait que Plutarque même en rapporte. Je ne reconnois point à ce silence le philosophe de Chéronée. Qui osera reprendre les crimes des usurpateurs, les vices des tyrans, si les sages craignent d'élever leur voix, même lorsque ces fléaux de l'humanité ne sont plus ?... Il ne faut pas plus, dit-il ailleurs, s'en rapporter à Hirtius, sur ce qu'il dit, des sentimens patriotiques de César, que sur son caractère naturellement porté à la clémence. Ce Romain, ami de Jules, ayant entrepris de continuer ses mémoires, il étoit très naturel qu'il adoucît aux yeux de la postérité ses vues dangereuses et son ambition démesurée. Le jugement que Sylla, alors dictateur, avoit porté de César encore très-jeune, après l'avoir voulu faire mourir et s'être laissé vaincre à l'importunité et aux sollicitations de ses amis, prouve que son ambition, quoiqu'elle n'eût pas encore éclaté, se faisoit cependant apercevoir. Il leur dit qu'ils n'étoient pas eux-mêmes bien sages de ne pas voir dans cet enfant plusieurs Marius (Plutarq. Vie de César.) Cicéron en avoit porté le même jugement, quand il dit publiquement que, dans les projets et dans la conduite qu'il tenoit dans son gouvernement, César découvroit des vues toutes tyranniques (idem). Politique adroit, rien ne lui coûtoit pour parvenir à ses desseins. Catilina et ses complices sont prêts à renverser l'empire et à faire de Rome un monceau de cendres; César profite de ces troubles pour tâcher de régner sur les restes infortunés de sa patrie. Sa passion de dominer était si fortement enracinée dans son ame, que même, lorsqu'il paroissoit servir sa patrie par ses grands succès, c'étoit alors qu'il prenoit des mesures pour l'asservir. Il étoit cependant bon ami, généreux, avoit l'esprit vif, pénétrant et élevé; mais son ambition effaçoit toutes ses bonnes qualités, et dans tout le cours de sa vie, les vertus les plus sacrées ont cédé à

son insatiable passion de dominer, non-seulement sur les nations étrangères, mais encore sur ses propres concitoyens.... » La prétendue clémence de César est encore très-bien appréciée dans le passage suivant. « Il est bien difficile de se persuader que le penchant naturel de César le portât à la clémence; il pouvoit, dans la circonstance présente avoir raison de sévir rigoureusement contre Guturvatus. Il y a sans doute des occasions où il est nécessaire de faire des exemples terribles, et où la clémence dans le chef, est plutôt foiblesse que bonté, où l'impunité ne sert qu'à augmenter les coupables; mais tant de sang versé depus la première campagne contre les Suisses, jusqu'à la soumission totale des Gaules, pendant lequel temps il fit périr, lui ou ses lieutenans, plus d'un million d'hommes, de vieillards, de femmes et d'enfans, n'est certainement pas une preuve des sentimens d'humanité que lui prête Hirtius. Il est, sans doute, des circonstances où l'on est forcé malgré soi d'user de la plus grande rigueur; mais est-il juste de massacrer tout un peuple pour se venger de ses chefs, qui ne l'ont armé que par autorité ou par persuasion? D'ailleurs les vieillards, les femmes et les enfans pouvoient-ils être coupables? L'animosité de César contre Ambiorix le porte à dévaster son pays, à y mettre tout à feu et à sang, et à tuer les malheureux tranquilles dans leurs chaumières et sans aucune défense. Pourquoi, ne pouvant se saisir d'Ambiorix fugitif, fait-il tomber sa vengeance sur des infortunés désarmés ou incapables, par leur grand âge ou leur enfance, de pouvoir se défendre? S'il ne l'avoit fait tomber que sur des hommes armés contre lui, cela auroit été juste; mais il fut plus honteux pour lui de faire égorger des moribonds, des femmes et des enfans à la mamelle, que s'il eût perdu dix batailles. Si cette espèce de vengeance est l'action d'un homme dont le penchant est naturellement porté à la clémence, César méritoit, sans doute, l'apologie qu'en fait Hirtius. La dévastation du pays des Liégeois ne fut pas la seule que commit César; on en a vu d'autres dans le cours de huit campagnes, commises avec autant de barbarie, et qui, pour la plupart, furent sans aucune utilité pour la république. Il seroit injuste de refuser à César de très-grands

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