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que

prit, qui n'ont de ressemblance avec celles d'or et d'argent que par l'extrême avidité de se procurer ces dernières ; un déluge de livres qui ne fera que passer, et dont il ne demeurera qu'un abus de papier qu'on auroit pu employer à des usages plus utiles. C'est donc-là notre situation en littérature disons-le hardiment, c'est-là cet état de foiblesse et de langueur qu'on voudroit en vain se déguiser. Quelles en sont les causes? Parmi le grand nombre de celles qui existent, nous nous contenterons d'en indiquer une des principales, qui n'est qui n'est pas, il est vrai, trop facile de détruire dans les circonstances actuelles, et qui ne nous laisse peut-être des espérances que pour des temps plus heureux. Ce n'est pas sans raison les poètes de l'antiquité ont feint que les Muses et Apollon habitoient les montagnes n'ont-ils pas voulu faire entendre, par cette allégorie ingénieuse, qu'il n'est pas donné à tout le monde d'atteindre ces hauteurs? Les anciens avoient compris cette vérité, et ils avoient fait éclater un jugement sain et appuyé du goût, lorsqu'ils renfermèrent les sciences dans une espèce de nuage. A l'exemple des prêtres égyptiens, ils en avoient fait, pour ainsi dire, des mystères, des initiations, où n'étoient admis que des disciples éprouvés. C'étoit alors qu'on ne connoissoit de savans que ceux qui avoient été jugés dignes de ce titre éminent, et qui pouvoient l'honorer par leurs dispositions heureuses, leurs connoissances profondes, leurs talens reconnus. Parmi les modernes, le feu sacré des arts, si l'on peut s'exprimer ainsi, s'est conservé dans toute sa vivacité et sa pureté, lorsque les aspirans ont eu assez de force et de courage pour surmonter tous les obstacles, pour braver tous les dégoûts dont les premiers efforts sont environnés (c'est le rameau d'or de la Sybille qui ne cède qu'à la main capable de l'arracher); lorsqu'il falloit aller chercher les trésors épars de cette science dans des ouvrages volumineux, dans les difficultés pénibles des langues anciennes et étrangères. Les gens de lettres étoient alors des espèces d'alchymistes, qui n'acquéroient quelques connoissances dans le grand-œuvre, qu'au prix de leurs travaux obstinés, que poussés par une sorte de vocation irrésistible. Voilà à quels traits marqués se distingue le

savant, l'homme de génie; c'est alors que la république des lettres est un vaste foyer d'où jaillissent des vérités utiles, où s'entretient un feu conservateur. Mais aujourd'hui, d'où vient cette révolution malheureuse, qui énerve les arts, les détruit, les profane? De cette multiplicité sans bornes de livres élémentaires, de dictionnaires, d'abrégés, de méthodes mises à la portée de tout le monde. On lit le soir quelques-unes de ces brochures illusoires, et l'on se réveille le lendemain bel-esprit, savant, philosophe, poète, artiste : c'est une espèce de magie qui fait éprouver ses prodigieux effets à quiconque conçoit seulement la velléité de passer pour un homme de lettres. Qui ne raisonne présentement sur le théâtre, sur les arts? Qui ne se croit éclairé du flambeau de la philosophie? Quelle est la femme qui n'imagine entendre J. J. Rousseau, divers systèmes, ses brillans paradoxes? Quel est l'écolier qui ne prenne un ton magistral, et ne juge avec une sorte d'audace sacrilège ces grands hommes qui ont fait la gloire des beaux jours de la Grèce, de Rome et de la France? A peine est-il échappé de l'école, qu'il ose barbouiller des tragédies, des comédies, qu'il met à la tête de ses foibles essais des préfaces orgueilleuses où il discute en docteur les matières les plus difficiles, et où il prononce sans appel.

ses

Rempli de la même présomption, d'un ton décisif, tranchant et contempteur, un médecin s'empresse d'embarrasser la marche de la nature dans un livre systématique, qui contredit l'observation, et qui peut-être n'est qu'une espèce d'affiche pour publier son nom et son exis tence médicale; un chymiste fait valoir des expériences puisées dans quelques bouquins oubliés, et s'égare dès les premiers aperçus; un naturaliste croit être un Linné, parce qu'il a produit un catalogue décharné des trois règnes; un romancier présente avec un styie blasé des aventures triviales ou indécentes: un historien verse à grands flots l'ennui le plus fastidieux par ses plates maximes, et ses sermons pédantesques; un philosophe s'enfonce avec intrépidité dans un océan de sophismes, de paradoxes et de hardiesses coupables, etc., etc., etc. Enfin toutes les têtes paroissent être agitées d'une espèce de vertige littéraire ou scientifique tout le monde a des prétentions, tout le

monde veut écrire; c'est une manie, une rage que l'éner gique Juvenal appeloit scribendi cacoethes; et si je puis franciser le mot, cette cacoethe est une épidémie universelle qui affecte presque toutes les classes de la société. — On a dit depuis long-temps que l'esprit, parmi nous, a gagné en superficie ce qu'il a perdu en profondeur; mais on doit ajouter que le terrain littéraire est devenu une terre légère; et l'on sait que ces sortes de terres sont de peu de rapport. On doit dire encore que cette tourbe d'écrivailleurs, qui dévorent nos presses par leur insatiable avidité de gloriole, se jetant dans la carrière sans connoissances, sans études préliminaires, ne font qu'obstruer la route des sciences, au lieu de la faciliter, les couvrant de nuages épais, au lieu d'en découvrir la splendeur. Quelques observations bien faites, quelques expériences certaines, quelques vérités utiles, quelques traits brillans dispersés dans une mer d'erreurs et de superfluités, peuvent, il est vrai, exciter le curieux empressement de l'homme instruit et impartial; et c'est assez peut-être pour que la postérité fasse grâce à notre siècle. Mais qu'on sache que cette postérité vengeresse fera aussi justice; ou plutôt elle ne connoîtra pas cette multitude immense de livres, dont nous sommes aujourd'hui accablés. Le temps, ce père de toutes les révolutions, le temps fera l'office de juge suprême : il les engloutira dans les abîmes de l'oubli, et s'il est permis d'employer cette figure poétique, il ne portera sur les aîles aux siècles à venir que les ouvrages marqués au sceau du vrai, du beau, de l'utile et de l'agréable.

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INGRATITUDE DES ATHÉES.

PROVIDENCE FÉCONDANT ET NOURRIS-
IDENTITÉ ET IMMUTABILITÉ DE

SANT TOUT CE QUI EXISTE.

BEAUTÉ NATU

L'ESPÈCE HUMAINE ET DU GLOBE TERREstre.
RELLE DE LA TERRE INDÉPENDANTE DU TRAVAIL DE L

L'HOMME.
BERNARDIN DE SAINT PIERRE POUR LES
SYSTÈMES DE VOGUE EN PHYSIQUE ET ASTRONOMIE.

RÉPUGNANCE DE M.

Juin 1786, page 163.

Études de la Nature, par Jacques-Henri Bernardin de
Saint-Pierre. Paris 1785, 3 vol. in-12. - Premier
Extrait./

C'est avec raison que l'auteur de cet ouvrage savant, éloquent, judicieux, a pris pour épigraphe Miseris succurrere disco. Les vérités qu'il y a établies et qu'il exprime avec autant de grâce que d'énergie, sont effectivement le plus sûr et le plus doux secours qu'on puisse offrir à la pauvre humanité. Il répond d'abord aux objections faites contre la Providence: il examine ensuite l'existence de quelques sentimens qui sont communs à tous les hommes, et qui suffisent pour reconnoître dans tous les ouvrages de la Nature les lois de la sagesse et de la bonté divine. . Il fait enfin l'application de ces lois au globe, aux plantes, aux animaux et aux hommes. Tel est le plan géné ral de l'ouvrage.

L'auteur fait d'abord sur les athées une réflexion aussi juste que piquante. Avant de montrer en détail les erreurs de ces tristes spéculateurs, il en fait remarquer l'ingratitude et la met en contraste avec la disposition du peuple pauvre et laborieux. C'est une espèce de commentaire plein de justesse, d'énergie, d'idées vives et pittoresques, de ce passage de Moïse au chap. 32 du Deuteronome : Incrassatus, impinguatus, dilatatus dereliquit Deum factorem suum et recessit a Deo salutari suo. « Si ces murmures, dit M. de Saint-Pierre en parlant de ceux qui accusent la Providence, venoient de quelques pauvres matelots exposés sur la mer à toutes les révolutions de l'atmosphère, ou de quelque paysan accablé du mépris de la société qu'il nourrit, je ne m'en étonnerois pas. Mais

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nos athées sont pour l'ordinaire bien à l'abri des injures des élémens, et sur-tout de celles de la fortune. La plupart même d'entr'eux n'ont jamais voyagé. Quant aux maux de la société, ils ont bien tort de s'en plaindre, car ils jouissent de ses plus doux hommages, après en avoir rompu les liens par leurs opinions... C'est un phénomène moral, qui m'a paru long-temps inexplicable, de voir, dans tous les siècles, l'Athéisme naître chez tous les hommes qui ont le plus à se louer de la nature. C'est dans le luxe de la Grèce et de Rome, au sein des richesses de l'Indostan, du faste de la Perse, des voluptés de la Chine, et de l'abondance des capitales de l'Europe, qu'ont paru les premiers hommes qui ont osé nier la Divinité. Au contraire, les Tartares sans asyle, les sauvages de l'Amérique toujours affamés, les Nègres sans prévoyance et sans police; les habitans des rudes climats du Nord, comme les Lapons, les Esquimaux, les Groenlandois, voient les dieux par-tout, jusques dans les cailloux. Par tout pays les pauvres se lèvent matin, travaillent à la terre, vivent sous le ciel et dans les champs. Ils sont pénétrés de cette puissance active de la nature qui remplit l'univers. Mais leur raison affaissée par le malheur, et distraite par les besoins journaliers, n'en peut pas supporter l'éclat. Elle s'arrête, sans se généraliser, aux effets sensibles de cette cause invisible. Ils croient, par un sentiment naturel aux ames foibles, que les objets de leur culte seront à leur disposition dès qu'ils seront à leur portée.... Les riches, au contraire, prévenus dans tous leurs besoins par les hommes, n'attendent plus rien de Dieu. Ils passent leur vie dans leurs appartemens, où ils ne voient que des ouvrages de l'industrie humaine, des lustres, des bougies, des glaces, des sécretaires, des chiffonnières, des livres, de beaux-esprits. Ils viennent à perdre insensiblement de vue la nature, dont les productions d'ailleurs leur sont presque toujours présentées défigurées, ou à contresaison, et toujours comme des effets de l'art de leurs jardiniers ou de leurs artistes. »

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Mr. de St. Pierre écarte des études de la nature toutes les spéculations inutiles, les explications hypothétiques, ces combinaisons pénibles et pour l'ordinaire peu justes qui

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