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Ajoute que, rouillé depuis longtemps, mon talent s'engourdit et s'amoindrit. Le champ fertile que la charrue ne retourne pas assidûment ne produira plus que de mauvaises herbes mêlées d'épines. Le cheval qui sera resté trop longtemps au repos courra mal; lancé dans la carrière, il viendra le dernier après tous les autres. La barque qui aura été trop longtemps tenue loin des ondes coutumieres tombe en pourriture et s'ouvre de toutes parts. Moi aussi, qui n'ai jamais été autrefois qu'un pauvre écrivain, désespère de me voir redevenir égal à ce que j'étais (1).

Il ne faut pas s'étonner si mon ame s'amollit, si elle se liquétie, pareille à la neige qui se fond en eau. Comme le navire atteint gravenent est miné par les vers cachés, comme le roc est creusé par l'eau salée de la mer, comme le fer abandonné est rongé par la rouille mordante, comme un livre que l'on a renfermé est dévoré par les mites : ainsi mon cœur ressent les perpétuelles morsures des angoisses, et ces morsures le tortureront à jamais (2).

Tu vois comme l'oisiveté énerve le corps engourdi, comme les eaux se corrompent, si elles demeurent immobiles (3).

Contemporain d'Ovide, le poète que nous ne connaissons que sous le pseudonyme de Lygdamus a dù recevoir à l'école de déclamation les mêmes enseignements que le brillant élève d'Arellius Fuscus et de Porcius Latro, et, comme lui, mettre en vers les sententiae les plus célèbres des maîtres. Les poètes, sortis des classes des rhéteurs, ne dédaignaient pas de développer dans leurs pièces de vers les sujets de suasoriae qu'ils avaient autrefois traités en prose. Entre autres thèmes de composition qui étaient proposés aux scolastici, nous connaissons ce problème rappelé par Quintilien « Pourquoi admet-on que l'enfant Cupidon possède des ailes, est muni d'un flambeau et armé de flèches (4)? » E. Jullien fait observer que Properce a traité ce sujet dans une de ses Elégies (III, m, éd. Mueller) et qu' «Ovide, dans ses Fastes, nous a donné une longue suite de problèmes ainsi présentés et résolus (5) ». Properce, Ovide, après lui, et d'autres

(1) Tristes, V, xii, v. 21-30. (2) Pontiques, I, 1, v. 67-74.

(3) Pontiques, 1, v, v. 5-6.

(4) QUINTILIEN, Institution Oratoire, II, iv, 26.

(5) E. JULLIEN, Les Professeurs de Littérature dans l'ancienne Rome (thèse de Paris, 1886), p. 316.

poètes, sans doute, parmi lesquels Lygdamus, se plaisent à mettre en vers les matières de rhétorique qu'ils avaient traitées en prose, alors qu'ils étaient sur les bancs de l'école.

La longue liste qui a été donnée des rapprochements que l'on peut établir entre les œuvres de Lygdamus et d'Ovide ne comprend guère autre chose que des lieux communs qui sont la mise en vers de sententiae doctoralement énoncées quasi carmen par quelque maitre devant un auditoire de scolastici : Ovide et Lygdamus ne s'imitent pas l'un l'autre; suivant leur talent personnel et leurs réminiscences scolaires, ils accommodent au mètre de leurs vers élégiaques la prose des traits brillants qu'on leur proposait comme exemples des ornements à introduire dans leurs suasoriae et dans leurs controversiae.

A cette première et durable influence.de l'école de déclamation devait bientôt se joindre une autre influence qui allait s'exercer à son tour sur les deux jeunes étudiants, devenus des poètes qui faisaient leur entrée dans le monde littéraire.

On connait ce cercle de poètes dont M. Valerius Messalla Corvinus était le protecteur, et Tibulle, le personnage le plus éminent. On sait qu'Ovide, à ses débuts, fréquenta cette compagnie lettrée (1), et que Lygdamus, s'il n'est pas, comme le veut 0). Ribbeck, l'auteur de la pièce vi des Catalecta Vergilii, « Ad M. Valerium Messallam », fait tout au moins partie de ce groupe de littérateurs qui se réunissaient, pour lire leurs œuvres, dans des séances beaucoup plus intimes que ne l'étaient ces recitationes où Pollion convoquait le grand public (2). Lygdamus, l'un des membres les plus jeunes du cénacle, s'appliquait à imiter la manière de Tibulle, son ainé, déjà célèbre : telle est la conclusion la plus sûre que l'on puisse tirer de la thèse de L. Bolle.

Alors que les grands personnages de Rome, épris de littérature, se bornaient au rôle d'auditeurs, vers l'an 100 avant l'ère chrétienne, les Lucullus et les Catulus se plaisaient à entendre le poète Archias reproduire dans ses distiques élégiaques la même idée diversement retournée, eamdem rem dicere commutatis verbis (3). Soixante-quinze ou quatre-vingts ans plus tard, il est

(1) Cf. G. GRAEBER, Quaestionum Ovidianarum Pars Prior, Elberfeldae, 1881, P. XVI-XVII. R. EHWALD, Ad historiam carminum Ovidianorum recensionem Symbolae, p. 6.

(2) Cf. J. VALETON, M. Valerius Messalla Corvinus, Groningae, 1871, p. 109. (3) CICERON, Pro Archia, vi, 18.

probable que les membres du cercle poétique de Messalla s'exerçaient eux-mêmes à exécuter des variations sur un thème poétique donné; le cénacle jugeait. C'est ainsi qu'au XVIe siècle les beaux esprits devaient provoquer et apprécier les deux sonnets rivaux de Voiture et de Malleville sur La Belle Matineuse.

La critique de cet intime collegium poetarum, où Lygdamus et Ovide sont admis tout jeunes, affine la traduction en vers des sententiae apprises à l'école de déclamation, qui font l'ornement d'un petit poème composé à la manière d'une suasoria. Et la double marque de l'enseignement reçu du rhéteur et des conseils ou des exemples de poètes plus àgés se retrouvera dans des œuvres qui ne seront pas faites spécialement pour être discutées par un cercle de lettrés. Les débutants acquièrent un vocabulaire qui ne leur appartient pas en propre, une manière de disposer les mots dans le vers, qui est celle des confrères qui les précèdent et qui les guident. Lygdamus et Ovide se ressemblent par toutes les habitudes, toutes les élégances de style et de versification qu'ils doivent à l'école et au cénacle et qui deviennent la propriété commune des versificateurs qui ont reçu la même éducation littéraire (1). Lygdamus, qui a composé tout jeune ses élégies, se dégage beaucoup moins de ces influences qu'Ovide à qui un talent naturel, la fréquentation successive de divers milieux littéraires et une longue pratique donnent peu à peu une personnalité véritable.

Il est facile d'expliquer la présence du vers Cum cecidit fato consul uterque pari, à la fois dans une pièce de Lygdamus et dans une pièce d'Ovide. Si la fameuse sententia versifiée, Primus in orbe deos fecit timor, qui se trouve dans un poème de Pétrone et, longtemps après, dans la Thébaïde de Stace, est évidemment un lieu commun qui doit avoir été utilisé par d'autres que par Pétrone et par Stace (2), ne semble-t-il pas tout naturel que le vers sur l'année terrible de Rome, composé dans le cénacle de Messalla, soit devenu comme la propriété de tous ceux dont il indiquait la

(1) Cf. BAEHRENS, Poet. Lat. Min., vol. I, p. 101: ... cum multas locutiones multosque orationis flosculos non ex ejus vatis, apud quem primum nunc quidem leguntur, ingenio provenisse, sed quasi commune bonum a multis tum poetis frequentatos esse veri sit simillimum.

(2) Voir les diverses explications proposées pour la présence commune de ce fragment d'hexametre chez Pétrone et chez Stace dans l'Étude sur Petrone de COLLIGNON, page 365.

date de naissance, en particulier des deux jeunes poètes qui pouvaient l'utiliser dans leurs œuvres?

Peu importe que ce vers soit la création d'Ovide, de Lygdamus, ou de quelqu'un de leurs ainés, Tibulle ou un autre. Il devenait un vers formule, comme le célèbre hémistiche de Victor Hugo: « Ce siècle avait deux ans... » Lygdamus l'a placé dans ses poésies de jeunesse; et, longtemps après, Ovide la repris pour l'insérer dans l'autobiographie qu'il rédigeait en exil.

En dernière analyse, il semble qu'on puisse admettre les conclusions suivantes : le poète que nous connaissons sous le pseudonyme de Lygdamus est né en 710 ou en 711; après l'école de déclamation, il a fréquenté le cercle de Messalla et il a publié des élégies qui sont bien l'oeuvre d'un jeune homme, encore soumis aux influences de l'école et du milieu, peu maître encore de la forme littéraire et incapable d'exprimer d'une manière personnelle une passion réelle dont il a vraiment souffert. Vers le même temps, Ovide publiait la première édition des Amours, qui comprenait cinq livres; plus tard, il devait donner en trois livres une édition corrigée qui perdait peut-être en sincérité ce qu'elle gagnait en perfection poétique. On peut se faire une idée approchée de ce que devaient être les pièces des Amours qui ont disparu de la deuxième édition par les Élégies de Lygdamus, ce poète probablement mort jeune, dont les essais ont été pieusement rassemblés avec les pièces de Tibulle et de quelques poetae minores du cercle de Messalla dans un recueil collectif qui est parvenu jusqu'à nous, comme une galerie où, à côté des tableaux du maître se trouvent les ébauches de quelques élèves favoris.

LES SANCTUAIRES DE LA GRÈCE

NOTES DE VOYAGE

PAR

Le Dr W. LERMANN (Munich).

La première pensée de ce travail est née en Grèce, au cours d'un voyage que j'y fis, en partie seul, en partie avec des amis et sous la direction de M. le professeur Dörpfeld, premier secrétaire de l'Institut archéologique allemand d'Athènes. Au cours de nos péré. grinations et de nos croisières à travers les territoires et les mers de la Grèce, la visite des sanctuaires antiques ne tarda pas à passer décidément à l'avant-plan de notre programme, et le sentiment très vif de leur haute importance s'imposa bientôt à chacun de nous. Celui qui connaît les liens intimes qui unissent l'histoire des villes et des États de la Grèce à celle de leurs cultes, et qui sait que c'est de leurs cultes que ces États tirent, en dernière analyse, toute leur raison d'être, comprendra aussi quelle place importante occupent les sanctuaires dans la vie et la civilisation des anciens Grecs. Les temples sont ici tout à la fois des banques, des maisons de santé, des bureaux de renseignements, des centres de réunions sportives et des lieux d'agrément. La vie privée et publique ne pouvait se passer de la protection personnelle et de la surveillance tutélaire de la divinité. Prier en commun les dieux, comme l'avaient fait ses . ancêtres de génération en génération, les consulter dans les circonstances ordinaires de la vie de chaque jour, comme sur les grands intérêts de l'État, c'était là un besoin profondément ancré dans le cœur de tout Grec. Mais les sanctuaires n'étaient pas seulement des centres de vie religieuse, ils étaient aussi, dans la conception des anciens, des centres politiques dont le rôle était de maintenir la cohésion d'un État et souvent de tout un canton. C'est ainsi que la réunion de plusieurs móλeç en une grande móλiç commençait toujours par le choix d'un sanctuaire commun, lorsque celui-ci n'existait pas déjà. Les sanctuaires étaient comme les points d'attache qui maintenaient l'unité nationale malgré les divergences de caractère si accentuées des peuples de la Grèce et l'antagonisme de leurs

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