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ÉTUDES

SUR VIRGILE.

LIVRE IX.

La fréquente répétition des mêmes incidens, la variété qui leur manque trop souvent au fond et dans la forme, suffiraient pour prouver que Virgile a été surpris par la mort avant d'avoir pu mettre la dernière main à son ouvrage. En le retouchant, il aurait certainement corrigé la trop parfaite identité des situations de Turnus et d'Énée, l'un en présence de Vénus, l'autre devant Iris. C'est pour la troisième fois qu'Iris nous apparaît. A Carthage, elle remplit un ministère plein de charme et de grâce. En Sicile, la brillante déesse joue un rôle odieux et peu convenable à sa jeunesse et sa beauté; cachée sous les traits de la vieille Béroë, elle excite les Troyennes à brûler les vaisseaux d'Énée. Ici, lorsque la circonstance est encore plus pressante qu'au septième livre, et au début du huitième, elle vient redire assez froidement ce que la première des Furies a exprimé avec des paroles de feu, et trahir ainsi l'embarras du poète. Les paroles du héros à la déesse qui remonte vers l'Olympe ouvert pour la recevoir, joignent la richesse de la poésie d'images à la vérité de l'accent.

Rien de plus animé que l'attitude guerrière de Turnus devant les remparts des Troyens. La comparaison de ce prince avec un loup dévorant qui rôde autour d'une bergerie étincelle de poésic et de vérité; cependant pourquoi mettre les anciens compagnons d'Hector en parallèle avec de faibles agneaux, qui bêlent en sûreté sous les mamelles de leurs mères?

C'est dans Homère que Virgiłe a puisé le célèbre épisode de ce

livre. Nous en connaissons les deux héros par les jeux funèbres du cinquième livre, mais ils y ont jeté peu d'éclat. Nisus, jusqu'alors ignoré, s'est borné à une fraude qui prépare le triomphe de son ami. Euryale n'a fait que ravir injustement le prix de la course; aussi Virgile a-t-il eu besoin de toute la magie du talent pour excuser à nos yeux le jeune amant de la gloire, que protègent la faveur publique, la grâce des larines généreuses, et la vertu naissante plus aimable encore dans la compagnie de la beauté. Le poète reprend avec amour le portrait de l'enfant chéri; il en fait le plus beau des guerriers qui portent les armes troyennes. La première jeunesse va succéder à l'adolescence sur le front d'Euryale.

Dans le discours de Nisus, les mots : « ou chacun se fait-il un dieu de son violent désir? » se rapportent assez bien à un passage des Troyennes d'Euripide. Hélène, voulant se justifier devant Ménélas, rejette son crime sur Vénus, qui commande à tous les -êtres et même au roi de l'Olympe; mais Hécube, armée de l'éloquence de la passion et de la vérité, répond à la coupable épouse: << Mon fils avait reçu en partage la beauté suprême; tu le vis, et ton cœur devint la Vénus qui triompha de toi; car toutes les folles passions des mortels sont pour eux autant de Vénus. » La réponse d'Euryale est d'un jeune héros en qui les deux passions de la gloire et de l'amitié vont de pair. Ses paroles sortent d'un cœur vrai, brûlant, qui ne promet que ce qu'il pourra tenir. Euryale ne tardera point à prouver son mépris pour la vie et à payer au prix de son sang l'honneur de partager les dangers d'un ami.

Heureux Virgile, si dans la peinture des massacres il eût imité le bon sens d'Homère! Ulysse et Diomède ne font rien au-delà de ce qui importe à leur but; et quand le fils de Tydée, qui frappe seul, va se laisser emporter par la soif du sang, Minerve réprime cette ardeur insensée, et renvoie ses deux favoris au camp avec leur utile et glorieuse conquête. Dans l'Énéide, le long et inutile carnage exécuté de compagnie, et avec une espèce de rivalité, par Nisus et Euryale sur des ennemis endormis, occupe trop d'espace; les détails même auxquels le poète latin se complait, en ôtant la

rapidité nécessaire au récit de l'action, donne quelque chose de froidement cruel à la fureur des Troyens.

Nisus et Euryale vont sortir du camp, ils sont sauvés, nous l'espérons avec joie. Mais voilà les Rutules! tout-à-coup, sous l'ombre transparente de la nuit luttant avec le jour, un rayon de lumière, réfléchi par le casque de Messape, a trahi l'imprudent Euryale. Volscens aperçoit les deux Troyens, et leur commande de s'arrêter. Point de réponse; sans bruit ils se jettent dans la forêt, et se confient à la nuit; puisse-t-elle les protéger de son ombre! Arrêté par le poids de son armure, par les ténèbres du lieu, Euryale s'égare, Nisus passe; il n'a pu, dans la rapidité de leur fuite commune, s'apercevoir que son compagnon reste en arrière; non vidit, non sensit. A peine hors de l'atteinte des Rutules, il cherche en vain de tous côtés son ami absent, et s'écrie: « Euryale! malheureux! où t'ai-je laissé? où te chercher?» De nouveau il se précipite dans les tortueux détours de la forêt perfide, en observant la trace de son premier passage, et s'avance, inquiet, au milieu du silence qui l'environne. Un cri parvient à son oreille. O dieux ! c'est Euryale! égaré par la nuit, accablé d'une attaque furieuse, il cède à la violence de la troupe qui l'entraîne malgré tous les efforts d'une courageuse résistance. Que faire? avec quelles armes, par quel coup hardi arracher de leurs mains son jeune ami? Nisus doit-il écouter son désespoir et courir à travers mille blessures, au-devant d'un glorieux trépas? Mais son premier mouvement ne va-t-il pas hâter la mort d'Euryale? Dans ce danger extrême, par une inspiration commune à tous les malheureux, il lève les yeux au ciel, et supplie la chaste Diane, au nom d'un père et d'un fils également religieux pour elle, de l'aider à dissiper ce groupe d'ennemis en dirigeant ses traits dans les airs.

Les actions de Nisus sont plus vives que ses paroles. A peine a-t-il prié, qu'un premier trait lancé sous les auspices de la déesse, et rapide comme l'éclair, va donner la mort à Sulmon et répandre la confusion dans le groupe ennemi. Un second trait a renversé Tagus. Inutile dévoùment! le glaive enfoncé avec force par la main

de Volscens, a ouvert la poitrine d'albâtre d'Euryale; la vie est si tendre chez lui, qu'il meurt au moment même. Son sang pur coule en un filet de pourpre sur ce beau corps, et sa tête appesantie retombe à jamais sur ses épaules. Rien de plus touchant que cette mort, Virgile le sait, et la rend plus touchante encore par une comparaison dont tous les termes sont si justes, qu'ils nous font plus vivement sentir la brièveté de la vie d'Euryale, la fragilité de notre existence, et le peu de temps qu'il faut pour mourir à tout âge. La charrue passe, la fleur tombe et n'est plus, mais elle brille encore d'un vif éclat pendant un moment. Aussitôt Euryale couché par terre, comme le jeune olivier d'Homère, Nisus s'empare de toute notre attention. S'élancer dans les rangs des Rutules, y chercher le seul meurtrier d'Euryale, écarter, avec une épée terrible comme la foudre, les nombreux soldats qui défendent Volscens, l'atteindre, le frapper, et, soi-même, en mourant, arracher la vie à un ennemi barbare, tout cela n'est pour Nisus que l'affaire d'un instant. Toute cette scène est de feu.

Virgile, avant de rentrer dans la lice des combats, n'a point été prendre le feu sacré sur les autels d'Homère. Attaqués froidement, les Troyens se défendent de même.

A travers quelques exploits, plus ou moins imités d'Homère, et qui de même que les précédens, attirent sur Turnus toute l'attention, tandis que ses généraux, comme les lieutenans d'Énée, restent confondus parmi la foule, ou n'en sortent que par des actions vulgaires, nous arrivons à un épisode destiné à mettre dans tout son jour le courage du petit-fils d'Anchise, qui nous est rendu ainsi après une longue éclipse:

Le discours de Numanus, si propre à provoquer la colère d'Ascagne, offre un de ces tableaux de mœurs où se complaît la poésie épique. Le courroux, la prière, l'action, la réponse d'Ascagne sont exprimés en très beaux vers, qui pourtant n'égalent point ceux d'Homère, dans la scène où Pandarus lance le trait fatal qui décida du sort d'Ilion.

Les Troyens, dans l'essor de la rage guerrière que Virgile leur

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