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tionale, était ce que vous aviez à faire. Eh! vous croyez l'avoir fait! Mais en organisant les deux pouvoirs, la force et le succès de la constitution dépendent de leur équilibre. Vous n'aviez à vous défendre que contre la pente actuelle des idées. Vous deviez voir que, dans l'opinion, le pouvoir des rois décline et que les droits des peuples s'accroissent: ainsi, en affaiblissant sans mesure ce qui tend naturellement à s'effacer, en fortifiant dans la source ce qni tend naturellement à s'accroître, vous arrivez forcément à ce triste résultat: un roi sans autorité, un peuple sans frein. C'est en vous livrant aux écarts des opinions, que vous avez, favorisé l'influence de la multitude, et multiplié à l'infini les élections populaires.

>N'auriez-vous pas oublié que les fréquentes élections, que les élections sans cesse renouvelées et le peu de durée des pouvoirs, sont une source de relâchement dans les ressorts politiques? N'auriez-vous pas oublié que la forme du gouvernement doit être en raison de ceux qu'il doit soutenir ou qu'il doit protéger? Vous avez conservé le nom de roi; mais dans votre constitution il n'est plus utile et il est encore dangereux vous avez réduit son influence à celle que la corruption peut usurper; vous l'avez, pour ainsi dire, invité à combattre une constitution qui lui montre sans cesse ce qu'il n'est pas et ce qu'il pourrait être. Voilà déjà un vice inhérent à votre constitution, un vice qui la détruira si vous ou vos successeurs ne vous hâtez de l'extirper.

>Je ne vous parlerai point des fautes qui peuvent être attribuées aux circonstances, vous les appercevez vous-mêmes; mais le mal que vous pouvez détruire, comment le laisseriez-vous subsister? Comment, après avoir déclaré le dogme de la liberté des opinions. religieuses, souffrez-vous que des prêtres soient accablés de persécutions et d'outrages? (Un mouvement d'indignation se manifeste dans la partie gauche.) Comment après avoir consacré les principes de la liberte individuelle, souffrez-vous qu'il existe dans votre sein une institution qui serve de modèle et de prétexte à toutes les inquisitions subalternes qu'une inquiétude factieuse a semées dans toutes les parties de l'empire? Comment n'êtes-vous

pas épouvantés de l'audace et du succès des écrivains qui profanent le nom de patriote? Vous avez un gouvernement monarchique, et ils le font détester; vous voulez la liberté du peuple, et ils veulent faire du peuple le tyran le plus féroce. Vous voulez régénérer les mœurs, et ils commandent le triomphe du vice et l'impunité des crimes. Je ne vous parlerai pas de vos opérations de finance. A Dieu ne plaise que je veuille augmenter les inquiétudes ou diminuer les espérances. La fortune publique est encore dans vos mains, mais croyez bien qu'il n'y a ni impôts, ni crédit, ni recette, ni dépense assurée, là où le gouvernement n'est ni puissant, ni respecté. Quelle sorte de gouvernement pourrait résister à cette domination des clubs? Vous avez détruit les corporations, et la plus colossale de toutes les agrégations s'élève sur vos têtes, et menace de dissoudre tous les pouvoirs. La France entière présente deux tribus très-prononcées; celle des gens de bien, des esprits modérés, classe d'hommes muets et consternés maintenant, tandis que des hommes violens s'électrisent, se serrent, et forment un volcan redoutable qui vomit des torrens de laves capables de tout engloutir. Vous avez fait une déclaration de droits, et cette déclaration est parfaite si vous la dégagez des abstractions métaphysiques qui ne tendent qu'à répandre dans l'empire français des germes de désorganisation et de désordres. Sans cesse hésitant entre les principes qu'on vous empêche de modifier, et les circonstances qui vous arrachent des exceptions, vous faites toujours trop peu pour l'utilité publique, et trop pour votre doctrine. Vous êtes souvent inconstans et impolitiques au moment où vous voulez n'être ni l'un ni l'autre. Vous voyez qu'aucune de ces observations n'échappe aux amis de la liberté. Ils vous redemandent le dépôt de l'opinion publique, dont vous n'êtes que les organes; l'Europe étonnée vous regarde; l'Europe qui peut être ébranlée jusque dans ses fondemens par la propagation de vos principes, s'indigne de leur exagération. Le silence de ses princes est peut être celui de l'effroi. Eh! n'aspirez pas au funeste honneur de vous rendre redoutables par des innovations immodérées, aussi dangereuses pour vous-mêmes

que pour vos voisins! Ouvrez encore une fois les annales du monde, appelez à votre aide la sagesse des siècles! Voyez com bien d'empires ont péri par l'anarchie.

> Il est temps de faire cesser celle qui nous désole, d'arrêter les vengeances, les séditions et les émeutes, de nous rendre enfin la paix et la confiance Pour arriver à ce but salutaire, vous n'avez qu'un moyen, et ce moyen serait, en révisant vos décrets, de réunir et de renforcer des pouvoirs affaiblis par leur dispersion, de confier au roi toute la force nécessaire pour assurer la puissance des lois, de veiller surtout à la liberté des assemblées primaires, dont les factions ont éloigné tous les citoyens vertueux et sages. (On applaudit et l'on murmure.) Croyez-vous que le rétablissement du pouvoir exécutif puisse être l'ouvrage de vos successeurs? Non, ils arriveront avec moins de forces que vous n'en avez; ils auront à conquérir cette opinion populaire dont vous avez disposé. Vous pouvez seuls recréer ce que vous avez détruit, ou laissé détruire. Vous avez posé les bases de cette constitution raisonnable, en assurant au peuple le droit de faire des lois, et de statuer sur l'impôt. L'anarchie anéantira ces droits eux-mêmes, si vous ne les mettez sous la garde d'un gouvernement actif et vigoureux, et le despotisme vous attend si vous ne le prévenez par la protection tutélaire de l'autorité royale.

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>J'ai recueilli mes forces pour vous parler le langage austère de la vérité, pardonnez à mon zèle et à mon amour pour la patrie ce que mes remontrances peuvent avoir de trop libre, et croyez à des vœux ardens pour votre gloire, autant qu'à mon profond respect.

Signé, GUILLAUME-THOMAS RAYNAL. ›

Vingt membres de la partie gauche entourent la tribune, et se disputent la parole.

M. Ræderer. M. le président, je demande la parole contre

vous.

M. Robespierre. J'ignore quelle impression a faite sur vos esprits la lettre dont vous venez d'entendre la lecture; quant à moi, l'assemblée ne m'a jamais paru autant au-dessus de ses ennemis

qu'au moment où je l'ai vue écouter avec une tranquillité si expressive, la censure la plus véhémente de sa conduite et de la révolution qu'elle a faite. (La partie gauche et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.) Je ne sais, mais cette lettre me paraît instructive dans un sens bien différent de celui où elle a été faite. En effet une réflexion m'a frappé pendant cette lecture. Cet homme célèbre qui, à côté de tant d'opinions qui furent accusées, jadis, de pécher par un excès d'exagération, a cependant publié des vérités utiles à la liberté; cet homme, depuis le commencement de la révolution, n'a point pris la plume pour éclairer ses concitoyens ni vous ; et dans quel moment rompt-il le silence? dans le moment où les ennemis de la révolution réunis-> sent leurs efforts pour l'arrêter dans son cours. (Les applaudissemens recommencent.) Je suis bien éloigné de vouloir diriger la sévérité, je ne dis pas de l'assemblée, mais de l'opinion publique, sur un homme qui conserve un grand nom. Je trouve pour lui une excuse suffisante dans une circonstance qu'il vous a rappelée, je veux dire son grand âge. (On applaudit.) Je pardonne même à ceux qui auraient pu, sinon contribuer à sa démarche, du moins à ceux qui sont tentés d'y applaudir, parce que je suis persuadé qu'elle produira dans le public un effet tout contraire à celui qu'on en attend. Elle est donc bien favorable au peuple, dirat-on; elle est donc bien funeste à la tyrannie, cette constitution, puisqu'on emploie des moyens si extraordinaires pour la décrier, puisque, pour y réussir, on se sert d'un homme qui, jusqu'à ce moment, n'était connu dans l'Europe que par son amour passionné pour la liberté, et qui était, jadis, accusé de licence par ceux qui le prennent aujourd'hui pour leur apôtre et leur héros; (nouveaux applaudissemens); et que sous son nom, on produit les opinions les plus contraires aux siennes, les absurdités même que l'on trouve dans la bouche des ennemis les plus déclarés de la révolution, non plus simplement ces reproches imbécilles prodigués contre ce que l'assemblée nationale a fait pour la liberté, mais contre la nation française tout entière, mais contre la liberté ellemême ; car n'est-ce pas attaquer la liberté que de dénoncer à l'u

nivers comme les crimes des Français, ce trouble, ce tiraillement qui est une crise si naturelle de la liberté, que sans cette crise le despotisme et la servitude seraient incurables? Nous ne nous livrerons point aux alarmes dont on veut nous environner.

C'est en ce moment où, par une démarche extraordinaire, on vous annonce clairement quelles sont les intentions manifestes, quel est l'acharnement des ennemis de l'assemblée et de la révolution; c'est en ce moment que je ne crains point de renouveler en votre nom le serment de suivre toujours les principes sacrés qui ont été la base de votre constitution, de ne jamais nous écarter de ces principes par une voie oblique, et tendant indirectement au despotisme, ce qui serait le seul moyen de ne laisser à nos successeurs et à la nation que troubles et anarchie. Je ne veux point m'occuper davantage de la lettre de M. l'abbé Raynal; l'assemblée s'est honorée en en entendant la lecture. Je demande qu'on passe à l'ordre du jour.

M. Robespierre descend de la tribune au milieu des applaudissemens de la partie gauche et de toutes les tribunes.

Cent voix s'élèvent dans la partie gauche. A l'ordre du jour. M. le président. Avant de mettre aux voix la motion de passer à l'ordre du jour, je demande que M. Roederer, qui désire parler contre moi, soit entendu. (Les cris recommencent: à l'ordre du jour.) La motion de passer à l'ordre du jour offre l'idée de ne pas délibérer ultérieurement sur la lettre de M. l'abbé Raynal. C'est en ce sens que je vais la mettre aux voix, en continuant à demander que l'on veuille entendre M. Roederer. Il aura la parole immédiatement après la délibération.

L'assemblée décide à la presque unanimité qu'elle passera à l'ordre du jour.

M. Ræderer. Je demande que M. le président soit rappelé à l'ordre.... (On applaudit dans la partie gauche et dans les tribunes.)

La partie droite demande à passer à l'ordre du jour.

M. le président quitte le fauteuil et paraît à la tribune. — Il

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