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-Ce fut à la séance du 31 mai que l'assemblée reçut communication de la lettre de l'abbé Raynal. Nous reproduisons cette séance parce qu'elle montre à quelle limite s'arrêteraient les partisans de la liberté, parce qu'elle nous découvre sous la plume même d'un des plus hardis philosophes du dernier siècle, la véritable portée que donnait à la révolution l'école de Voltaire.

SÉANCE DU 31 MAI.

[M. le président. Un homme également connu par son éloquence et sa philosophie, M. l'abbé Raynal, m'a fait l'honneur de passer chez moi ce matin, il m'a remis, en me priant de la présenter à l'assemblée nationale, une adresse de lui; elle est écrite avec toute la liberté qu'on lui connaît. En félicitant l'assemblée de ses travaux, il ne l'adule point sur les fautes qu'il croit qu'elle a commises. L'assemblée veut-elle en entendre la lecture.

M. Ricard, secrétaire, lit cette adresse.

En arrivant dans cette capitale, après une longue absence, mon cœur et mes regards se sont tournés vers vous. Vous m'auriez vu aux pieds de cette auguste assemblée, si mon âge et mes infirmités me permettaient de vous parler sans une trop vive émotion, des grandes choses que vous avez faites, et de tout ce qu'il faut faire pour fixer sur cette terre agitée, la paix, la liberté, le bonheur qu'il est dans votre intention de nous procurer. Ne croyez pas que tous ceux qui connaissent le zèle infatigable, les talens, les lumières et le courage que vous avez montrés dans vos immenses travaux, n'en soient pénétrés de reconnaissance; mais assez d'autres vous en ont entretenus, assez d'autres vous rappellent les titres que vous avez à l'estime de la nation. Pour moi, soit que vous me considériez comme un citoyen usant du droit de pétition, soit que, laissant un libre essor à ma reconnaissance, vous permettiez à un vieil ami de la liberté de vous rendre ce qu'il vous doit pour la protection dont vous l'avez honoré, je vous supplie de ne point repousser des vérités utiles.. J'ose depuis long-temps parler aux rois de leurs devoirs; souffrez qu'aujourd'hui je parle au peuple de ses er

reurs, et à ses représentans des dangers qui nous menacent. Je suis, je vous l'avoue, profondément attristé des crimes qui couvrent de deuil cet empire. Serait-il donc vrai qu'il fallût me rappeler avec effroi que je suis un de ceux qui, en éprouvant une indignation généreuse contre le pouvoir arbitraire, ont peut-être donné des armes à la licence? La religion, les lois, l'autorité royale, l'ordre public, redemandent-ils donc à la philosophie, à la raison, les liens qui les unissaient à cette grande société de la nation française, comme si, en poursuivant les abus, en rappelant les droits des peuples et les devoirs des princes, nos efforts criminels avaient rompu ces liens? mais non, jamais les conceptions hardies de la philosophie n'ont été présentées par nous comme la mesure rigoureuse des actes de la législation.

Vous ne pouvez nous attribuer,sans erreur, ce qui n'a pu résulter que d'une fausse interprétation de nos principes. Eh! cependant prêt à descendre dans la nuit du tombeau, prêt à quitter cette famille immense dont j'ai ardemment désiré le bonheur, que voisje autour de moi! des troubles religieux, des discussions civiles, la consternation des uns, la tyrannie et l'audace des autres, un gouvernement esclave de la tyrannie populaire, le sanctuaire des lois environné d'hommes effrénés qui veulent alternativement ou les dicter ou les braver; des soldats sans discipline, des chefs sans autorité, des ministres sans moyens, un roi, le premier ami de son peuple, plongé dans l'amertume, outragé, menacé, dépouillé de toute autorité, et la puissance publique n'existant plus que dans les clubs où des hommes ignorans et grossiers osent prononcer sur toutes les questions politiques. (La partie gauche éclate en murmures.)

M. Boutidoux. Si l'on est d'avis d'entendre ces insolenceslà.... Je m'en vais.

M. le président. En vous annonçant la lettre de M. l'abbé Raynal, j'ai prévenu qu'elle était écrite avec liberté, et qu'elle ne flattait pas l'assemblée. J'ai demandé si elle voulait en entendre la lecture.

M. Dumetz. L'assemblée nationale soutiendra toujours son

caractère; il faut entendre jusqu'au bout. (Le calme se rétablit. -La lecture est continuée.)

<Telle est, n'en doutez pas, telle est la véritable situation de la France: un autre que moi n'oserait peut-être vous le dire; mais je l'ose, parce que je le dois; parce que je touche à ma quatre-vingtième année.... (Une voix de la partie gauche : On le voit bien), parce qu'on ne saurait m'accuser de regretter l'ancien régime; parce qu'en gémissant sur l'état de désolation où est l'église de France (on rit), on ne m'accusera pas d'ètre un prêtre fanatique; parce qu'en regardant comme le seul moyen de salut, le rétablissement de l'autorité légitime, on ne m'accusera pas d'en être le partisan et d'en attendre les faveurs; parce qu'en attaquant devant vous les citoyens qui ont incendié le royaume, qui en ont perverti l'esprit public par leurs écrits, on ne m'accusera pas de méconnaître le prix de la liberté de la presse. Hélas! j'étais plein d'espérance et de joie, lorsque je vous ai vus poser les fondemens de la félicité publique, poursuivre les abus, proclamer tous les droits, soumettre aux mêmes lois, à un régime uniforme, les diverses parties de l'empire. Mes yeux se sont remplis de larmes, quand j'ai vu les plus méchans des hommes employer les plus viles intrigues pour souiller la révolution; quand j'ai vu le saint nom de patriotisme prostitué à la sclératesse, et la licence marcher en triomphe sous les enseignes de la liberté. L'effroi s'est mêlé à une juste douleur quand j'ai vu briser tous les ressorts du gouvernement, et substituer d'impuissantes barrières à la nécessité d'une force active et réprimante. Partout j'ai cherché les vestiges de cette autorité centrale qu'une grande nation dépose dans les mains du monarque pour sa propre sûreté : je ne les ai plus trouvés nulle part. J'ai cherché les principes conservateurs des propriétés, et je les ai vus attaqués. (Il s'élève de très-grands murmures.) J'ai cherché sous quel abri repose la liberté individuelle, et j'ai vu l'audace toujours croissante, invoquant, attendant le signal de la destruction que sont prêts à donner les factieux et les novateurs aussi dangereux que les factieux. J'ai entendu ces voix insidieuses

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qui vous environnent de fausses terreurs, pour détourner vos regards des véritables dangers, qui vous inspirent.de funestes défiances pour vous faire abattre successivement tous les appuis du gouvernement monarchique : j'ai frémi surtout lorsqu'en observant dans sa nouvelle vie ce peuple qui veut être libre, je l'ai vu non-seulement méconnaître les vertus sociales, l'humanité, la justice, seules bases d'une liberté véritable, mais encore recevoir avec avidité les nouveaux germes de corruption, et se laisser par-là entourer d'une nouvelle chaîne d'esclavage. Ah, combien je souffre, lorsqu'au milieu de la capitale et dans le sein des lumières, je vois ce peuple séduit accueillir avec une joie féroce les propositions les plus coupables, sourire au récit des assassinats, chanter ses crimes comme des conquêtes (Une voix de la partie gauche : C'est un rapport de M. Malouet, car il ne sait pas, ce peuple, qu'un seul crime est la source d'une infinité de calamités. Je le vois rire et danser sur les bords de l'abime qui peut engloutir même ses espérances. Ce spectacle de joie est ce qui m'a le plus profondément ému. Votre indifférencé sur cette diversion affreuse de l'esprit public, est la première et la seule cause du changement qui s'est fait à votre égard; de ce changement par lequel des adulations corrompues ou des murmures étouffés par la crainte ont remplacé les hommages purs que recevaient vos premiers travaux. Mais quelque courage que m'inspire l'approche de ma dernière heure, quelque devoir que m'inspire même l'amour de la liberté, j'éprouve cependant en vous parlant le respect et la sorte de crainte dont aucun homme ne peut se défendre lorsqu'il se place par la pensée dans un rapport immédiat avec les représentans d'un grand peuple.

Dois-je m'arrêter ici, ou continuer à vous parler comme la postérité? Oui, je vous crois dignes d'entendre ce langage. J'ai médité toute ma vie les idées que vous venez d'appliquer à la régénération du royaume : je les ai méditées dans un temps où, repoussées par toutes les institutions sociales, par tous les intérêts, par tous les préjugés, elles ne présentaient que la séduction d'un vœu consolant. Alors aucun motif ne m'appelait à en

faire l'application, ni à calculer les effets des inconvéniens terribles attachés aux factions, lorsqu'on les investit de la force qui commande aux hommes et aux choses, lorsque la résistance des choses et des passions des hommes sont des élémens nécessaires à combiner. Ce que je n'ai pu ni dû prouver dans les circonstances et les temps où j'écrivais, les circonstances et les temps où vous agissez vous ordonnent d'en tenir compte, et je crois devoir vous dire que vous ne l'avez pas assez fait.

>Par cette faute unique, mais continue, vous avez vicié votre ouvrage, vous vous êtes mis dans une situation telle que vous ne pouvez le préserver d'une ruine totale qu'en revenant sur vos pas (on rit encore dans la partie gauche. Une voix s'élève : Cela est très-bien joué. — Voilà le système de ces messieurs.), ou en indiquant cette marche rétrograde à vos successeurs. Craindrezvous de supporter seuls toutes les haines qui environnent l'autel de la liberté? croyez que ce sacrifice héroïque ne sera pas le moins consolant des souvenirs qu'il vous sera permis de garder. Quels hommes que ceux qui, laissant à leur patrie tous les biens qu'ils ont su lui faire, acceptent et réclament pour eux seuls les reproches qu'ont pu mériter des maux réels, des maux graves; mais dont ils ne pouvaient aussi accuser que les événemens? Je vous crois dignes d'une aussi haute destinée; et cette idée m'invite à vous retracer sans ménagement ce que vous avez attaché de défectueux à la constitution française.

>Appelés à régénérer la France, vous deviez considérer d'abord ce que vous pouviez conserver de l'ordre ancien, et de plus ce que vous ne pouviez pas en abandonner. La France était une monarchie; son étendue, ses besoins, ses mœurs, l'esprit national s'opposent invinciblement à ce que jamais des formes républicaines puissent y être admises, sans opérer une dissolution totale de l'empire. Le pouvoir monarchique était vicié par deux causes : les bases en étaient entourées de préjugés, et ses limites n'étaient marquées que par des résistances partielles. Épurer les principes en asseyant le trône sur sa véritable base, la souveraineté de la nation. Poser les limites en les plaçant dans la représentation na

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