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Lorsque samedi dernier je m'acquittai de la fonction pénible d'annoncer la mort de M. Mirabeau, plusieurs personnes témoignérent le désir que l'assemblée entière assistât à ses funérailles. J'observai qu'il me paraissait prématuré de mettre cette motion aux voix, attendu que je n'avais pas encore une connaissance officielle du jour ni de l'heure du convoi. On demande maintenant si les membres de l'assemblée suivront le convoi comme individus, ou en corps.

Un très-grand nombre de voix. L'assemblée en corps.

L'assemblée décide qu'elle se rendra en corps au convoi de M. Mirabeau.

M. Chapelier. Votre comité de constitution croyant suivre vos intentions en vous rapportant promptement la pétition faite hier par le directoire du département de Paris, s'est assemblé le soir même, afin de vous présenter ce matin un projet de décret sur cet objet. Il a mis d'autant plus d'empressement à cet égard, qu'il a vu que c'était honorer encore plus la mémoire du grand homme que nous venons de perdre, que de décerner à son occasion un monument public aux grands hommes qui ont bien mérité de la patrie. Il resterait une seule difficulté; M. Mirabeau a demandé, par une disposition testamentaire, à être inhumé dans sa maison de campagne à Argenteuil; mais il ne prévoyait pas alors les honneurs que devait lui décerner la patrie. Votre comité a pensé que les dépouilles du grand homme que nous perdons appartiennent à la patrie, comme il lui appartenait lui-même pendant sa vie; il vous propose le projet de décret suivant :

• L'assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de constitution, décrète ce qui suit :

Art. Ier. Le nouvel édifice de Sainte-Geneviève sera destiné à recevoir les cendres des grands hommes, à dater de l'époque de la liberté française.

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Art. II. Le corps-législatif décidera seul à quels hommes cet honneur sera décerné.

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Art. III. Honoré-Riquetti Mirabeau est jugé digne de cet hon

neur.

Ar. IV. La législature ne pourra pas décerner cet honneur à un de ses membres venant à décéder; il ne pourra être décerné que par la législature suivante.

Art. V. Les exceptions qui pourront avoir lieu pour quelques grands hommes morts avant la révolution ne pourront être faites que par le corps-législatif.

Art. VI. Le directoire du département de Paris sera chargé de mettre promptement l'édifice de Sainte-Geneviève en état de remplir sa nouvelle destination.

Seront gravés au-dessus du fronton ces mots : AUX GRANDS

HOMMES LA PATRIE RECONNAISSANTE.

Art. VII. En attendant que la nouvelle église de Sainte-Geneviève soit prête, le corps de Riquetti Mirabeau sera déposé à côté des cendres de Descartes dans le caveau de l'ancienne église de Sainte-Geneviève.»]

LÉGISLATION CIVILE. Du droit de tester.

SÉANCE DU 2 Avril.

[M. Pétion. Vous venez d'établir dans les successions un ordre que vous dictait la raison, que vous prescrivait la nature. Tous les enfans seront maintenant égaux aux yeux de la loi. Les diffé rences qui existaient entre eux ont disparu. Permettrez-vous à un homme de déranger cet ordre, cette harmonie? Pourra-t-il mettre ses passions à la place de la loi; pourra-t-il substituer så volonté particulière à la volonté générale? Pour bien connaître les effets de cette faculté de disposer donnéé aux chefs de få mille, il faut examiner ce qui se passe dans les pays de droit écrit. Là, il est libre à tout homme de se faire des héritiers, de réduire ses enfans à la légitime. Cette loi facultative est suivie avec d'autant plus de rigueur, que l'habitude et le préjugé en ont fait une loi positive. Si elle se trouve quelquefois en opposition áves la tendresse paternelle, elle est toujours secondée par les tyrans communs du genre humain, la cupidité, l'avarice, l'ambition. C'est toujours l'aîné qui devient l'objet de cette criminelle préférence. Calculez les maux qui découlent d'un pareil ordre de cho

ses. Je ne dis pas qu'il viole toutes les lois de la nature; c'est une vérité du petit nombre de celles que personne n'ose contester, de celles qui tiennent au sentiment plutôt qu'à la réflexion. Je n'ajouterai pas qu'on ne viole jamais impunément ces lois fondamentales. Plus les empires s'en éloignent, plus ils approchent de leur destruction: j'examinerai seulement les abus qui en résultent dans l'ordre social, et par lesquels on ne voit dans une famille qu'un tyran et des esclaves.

Cependant, c'est ensemble, c'est sous le même toit que doivent habiter tous les enfans d'un même père. Alors on voit les enfans, rassemblés autour de ceux qui leur ont donné la vie, leur rendre des hommages imposteurs, s'étudier à gagner leur amitié par des démonstrations mensongères; alors ils contractent l'habitude de l'hypocrisie et de l'imposture. Chacun cherche à disgracier son rival pour s'enrichir de ses dépouilles. C'est cependant dans ces asiles domestiques que se forment les citoyens, c'est là qu'ils reçoivent les germes du vice ou de la vertu. La dépravation des mœurs privées produit celle des mœurs publiques; elle agit sur le moral et sur le physique de l'homme. C'est ainsi que les hommes dégénèrent, que les nations s'abâtardissent. Comment voir sans indignation l'opulence d'un frère contraster avec l'indigence d'un frère? L'un contracte l'habitude de l'orgueil; l'autre languit dans la misère : tous deux sont corrompus. Combien ce préjugé ne paraîtra-t-il pas plus barbare aujourd'hui que toutes les distinctions de l'orgueil sont anéanties? Rappelez-vous que la fortune est une des bases de l'exercice des droits politiques. En privant un homme de sa fortune on le prive des droits de la liberté; on en fait un célibataire; autrefois on voyait les cadets s'ensevelir dans des cloîtres... C'est une vérité démontrée que la division des propriétés est la source la plus féconde de la prospérité publique; elle fait fleurir l'agriculture, et multiplie les hommes en multipliant les moyens de subsistance. De la trop grande inégalité des fortunes il n'y a qu'un pas à l'inégalité des droits. L'opulence enfante le luxe, le luxe enfante tous les vices et tous les crimes. Le législateur doit donc s'occuper à conserver cet équilibre que l'ordre de choses tend toujours à détruire...

Je respecte, autant que tout autre, la puissance paternelle, qui tient ses droits de la nature; mais chez un peuple vicieux, corrompu, où l'intérêt et l'ambition agitent tous les hommes, comment croire qu'il n'y aura pas des pères assez injustes qui sacrifieront leurs enfans à leur avarice, à leurs passions, à des motifs plus coupables encore?... Ce serait un étrange moyen de se faire chérir de ses enfans, de les former à la vertu, que de les conduire par un sordide intérêt, que de leur dire : Si vous n'obéissez pas à mes volontés, je vous déshérite. L'amour filial est-il donc un sentiment qui se paie? Je suppose qu'un enfant ait manqué à son père, ne serait-ce pas un moyen bien absurde de le corriger, de rectifier ses penchans, que de le priver de sa fortune? Ne serait-ce pas le moyen le plus sûr de le livrer au vice? Soyez bons et justes envers vos enfans, et vous les tiendrez dans la seule dépendance que l'homme puisse attendre d'un autre, la seule qui puisse être durable, et qui ne dégrade pas celui qui y est soumis... Dans les circonstances présentes, au milieu de la chaleur de l'esprit de parti, combien n'est-il pas urgent de porter une loi qui empêche les pères de rendre leurs enfans victimes de leurs passions et de leurs préjugés?... Je demande que l'assemblée détruise pour l'avenir toutes les inégalités de partage résultantes de la volonté arbitraire du chef de famille.

M.Talleyrand,ancien évêque d'Autun. Je suis allé hier chez M. Mirabeau. Un grand concours remplissait cette maison où je portais un sentiment plus douloureux encore que la tristesse publique.Cespectacle de désolation remplissait l'âme de l'image de la mort : elle était partout, hors dans l'esprit de celui que le danger le plus imminent menaçait. Il m'a fait demander. Je ne m'arrêterai point à l'émotion que plusieurs de ses discours m'ont fait éprouver. M. Mirabeau, dans cet instant, était encore homme public; et c'est sous ce rapport qu'on peut regarder comme un débris précieux ses dernières paroles qui ont été arrachées à l'immense proie que la mort vient de saisir. Rassemblant tout son intérêt sur la suite des travaux de cette assemblée, il a su que la loi sur les successions était à l'ordre de ce jour. Il a témoigné de la peine de ne pas as

sister à cette discussion, et c'était avec des regrets pareils qu'il paraissait évaluer la mort. Mais comme son opinion sur l'objet qui vous occupe est écrite, il me l'a confiée pour vous la lire en son nom. Je vais remplir ce devoir. Il n'est pas un seul des applaudissemens que cette opinion va mériter qui ne doive reporter dans le cœur une émotion profonde. L'auteur de cet écrit n'est plus ; je vous apporte son dernier ouvrage ; et telle était la réunion de son sentiment et de sa pensée également voués à la chose publique, qu'en l'écoutant vous assistez presque à son dernier soupir.

Discours de M. Mirabeau l'aîné sur l'égalité des successions en ligne directe.

Ce n'est que par degrés qu'on peut opérer la réforme d'une législation vicieuse, soit que le législateur craigne de renverser d'un seul coup le fondement de toutes les erreurs que son génie lui découvre, soit qu'il n'aperçoive ces erreurs que successivement, et qu'il ait besoin d'avoir déjà beaucoup fait pour connaître tout ce qu'il doit faire. Vous avez commencé par détruire la féodalité, vous la poursuivez aujourd'hui dans ses effets. Vous allez comprendre dans vos réformes ces lois injustes que nos coutumes ont introduites dans les successions. Mais, Messieurs, ce ne sont pas seulement nos lois, ce sont nos esprits et nos habitudes qui sont tachés des principes et des vices de la féodalité. Vous devez donc aussi porter vos regards sur les dispositions purement volontaires qui en sont l'effet. Vous devez juger si ces institutions d'héritier privilégié, de préciput, majorat, substitution, fidéi-commis, doivent être permises par les lois qui régleront désormais nos successions.

Les comités de constitution et d'aliénation viennent de vous présenter un projet qui embrasse toute la matière des propriétés relatives aux successions et partages.

Les détails de cette intéressante loi vont vous occuper successivement; mais ils dépendent d'une question qu'il importe d'approfondir, d'un principe qu'il faut reconnaître. Il nous faut exa

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