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M. Dandré. Je demande qu'on mette à l'ordre M. Girod, qui a pris à tâche de m'interrompre. On dit que ce projet de loi n'est pas connu; mais ne suffit-il pas que le comité lui-même nous annonce ses vices? (Une partie du côté gauche : Non, non, non.) M. Riquetti l'aîné, dit Mirabeau, paraît à la tribune. (On applaudit.)

M. Dandré. J'interpelle les membres de cette assemblée; je leur demande s'il en est un qui veuille soutenir qu'un projet de loi contre les émigrations est compatible avec la constitution. (Une partie du côté gauche : Oui, oui.) Je demande donc que ces Messieurs nous en proposent une.............

M. Merlin. Je demande à répondre à M. Dandré.

M. Dandré. Oui, Monsieur, vous me répondrez. Vous avez le droit de faire une loi qui oblige à la résidence les fonctionnaires publics; qu'on la présente, je l'appuierai. Sur tout le reste, je demande l'ordre du jour.

M. Merlin. Si M. Dandré a lu l'ouvrage d'un politique qui en vaut bien un autre, J.-J. Rousseau, il y a vu, dans le Contrat social, ces mots : Dans les momens de troubles, les émigrations peuvent être défendues. Je n'insisterai pas sur cette possibilité démontrée par l'assertion de Jean-Jacques; j'en conclurai seulement qu'un bon projet de loi sur cette matière n'est pas impossible. Je demande donc que le projet du comité soit lu, imprimé et ajourné à huitaine, et après ce délai, si l'assemblée trouve que la possibilité annoncée par J.-J. Rousseau est chimérique, elle déclarera qu'il n'y a pas lieu à délibérer au sujet d'une loi sur l'émigration.

M. Riquetti l'aîné, dit Mirabeau. J'ai demandé la parole.

M. le Président. Votre tour n'est point arrivé. Vous ne pouvez parler en ce moment, à moins que l'assemblée ne déclare qu'elle veut vous entendre.... Le membre qui avait droit à la parole vous la cède.

M. Riquetti l'aîné. C'est une motion d'ordre; car c'est un décret de l'instant même que je viens présenter. Je demande en outre une permission dont j'ai rarement usé ; je serai court. Je demande

à dire deux mots personnels à moi. (Plusieurs voix: oui, oui.) J'ai reçu depuis une heure six billets, dont la moitié m'atteste de prononcer la théorie de mes principes; l'autre provoque ma surveillance sur ce qu'on a beaucoup appelé dans cette assemblée la nécessité des circonstances. Je demande que dans la position où je me trouve, dans une occasion où quelqu'un qui a servi les révolutions, et qui a déjà fait trop de bruit pour son repos.... Je demande, dis-je, qu'il me soit permis de lire une page et demie (peu de discours sont moins longs) d'une lettre adressée il y a huit ans au despote le plus absolu de l'Europe. Les gens qui cherchent les principes y trouveront quelque chose de raisonnable, et du moins on n'aura plus le droit de m'interroger. J'écrivais à Frédéric-Guillaume, aujourd'hui roi de Prusse, le jour de son avènement au trône. Voici comment je m'exprimais:

On doit être heureux dans vos États, sire; donnez la liberté de s'expatrier à quiconque n'est pas retenu d'une manière légale par des obligations particulières; donnez par un édit formel cette liberté. C'est encore là une de ces lois d'éternelle équité, que la force des choses appelle, qui vous fera un honneur infini, et ne vous coûtera pas la privation la plus légère; car votre peuple ne pourrait aller chercher ailleurs un meilleur sort que celui qu'il dépend de vous de lui donner; et s'il pouvait être mieux ailleurs, vos prohibitions de sortie ne l'arrêteraient pas. (La droite et une partie de la gauche applaudissent.) Laissez ces lois à ces puissancès qui ont voulu faire de leurs États une prison, comme si ce n'était pas le moyen d'en rendre le séjour odieux. Les lois les plus tyranniques sur les émigrations n'ont jamais eu d'autre effet que de pousser le peuple à émigrer, contre le vœu de la nature, le plus impérieux de tous peut-être, qui l'attache à son pays. Le Lapon chérit le climat sauvage où il est né: comment l'habitant des provinces qu'éclaire un ciel plus doux, penserait-il à les quitter, si une administration tyrannique ne lui rendait pas inutiles ou odieux les bienfaits de la nature? Une loi d'affranchissement, loin de disperser les hommes, les retiendra dans ce qu'ils appel- . leront alors leur bonne patrie, et qu'ils préféreront aux pays les

T. IX.

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plus fertiles: car l'homme endure tout de la part de la Providence; il n'endure rien d'injuste de son semblable; et s'il se soumet, ce n'est qu'avec un cœur révolté. (Une grande partie de l'assemblée applaudit.)

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› L'homme ne tient pas par des racines à la terre; ainsi il n'appartient pas au sol. L'homme n'est pas un champ, un pré, un bétail; ainsi il ne saurait être une propriété. L'homme a le sentiment intérieur de ces vérités simples; ainsi l'on ne saurait luipersuader que ses chefs aient le droit de l'enchaîner à la glèbe. Tous les pouvoirs se réuniraient en vain pour lui inculquer cette infâme doctrine. Le temps n'est plus où les maîtres de la terre pouvaient parler au nom de Dieu, si même ce temps a jamais existé. Le langage de la justice et de la raison est le seul qui puisse avoir un succès durable aujourd'hui ; et les princés ne sauraient trop penser que l'Amériqué anglaise ordonne à tous les gouvernemens d'être justes et sages, s'ils n'ont pas résolu de ne dominer bientôt sur des déserts ou de voir des révolutions. » (On entend des applaudissemens isolés dans toutes les parties de la salle.)

J'ai l'honneur de proposer, non de passer à l'ordre du jour, il ne faut pas avoir l'air d'étouffer dans le silence une circonstance qui exige une déclaration solennelle, et que l'avis du comité rend très-mémorable, mais de porter un décret en ces termes : « L'assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de constitution... (Il s'élève beaucoup de murmures.) Il y a deux choses qui me paraissent incontestables; la première, c'est que M. le Chapelier a parlé au nom du comité de constitution; la seconde, c'est que si j'ai tort on peut le démontrer. Je reprends la lecture de mon projet de décret. L'assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de constitution, considérant qu'une loi sur les émigrans est inconciliable avec les principes de la constitution, n'a pas voulu entendre lecture du projet de loi sur les émigrans et a déclaré passer à l'ordre du jour, sans préjudice de l'exécution des décrets précédemment portés sur les personnes qui ont des pensions ou traitemens payés par la nation et qui sont hors du

royaume. (Une partie de l'assemblée demande à aller aux voix. -L'extrémité gauche garde le silence.)

M. Rewbell. Ce n'est pas sans un grand désavantage que j'entre en lice pour combattre le comité, renforcé par la lecture que le préopinant vient de faire. Les lois sur les émigrations étaient odieuses sous l'ancien régime.... (Une partie de l'assemblée rit ou murmure.) Elles étaient odieuses, parce qu'elles existaient pour tous les lieux, pour tous les temps, pour toutes les circonstances: elles ne s'exécutaient que contre une certaine classe d'hommes. Les émigrations n'étaient pas défendues en temps dé guerre. On obtenait de la cour la permission d'émigrer; mais à quels hommes cette permission était-elle donnée? La loi ne s'exécutait que sur les opprimés. Si on en proposait actuellement de semblables, je m'y opposerais. On dit qu'en général une loi sur les émigrans est contraire à la constitution; moi je soutiens que sans cette loi, il n'y a plus de constitution. Nulle société ne peut exister sans des devoirs réciproques. En temps de de guerre, d'incendie, de peste..... (On rit à droite.) Comment défendrais-je de mon corps, de mon sang, les possessions de mon voisin, s'il fuit loin des miennes? Vous ordonnez une armée auxiliaire; elle doit être composée de volontaires: passeront-ils librement dans l'armée ennemie? Les gardes nationales sont souvent requises pour la défense des propriétés des citoyens. Allez donc requérir les émigrans. Si vous voulez assurer l'exécution de vos lois, il faut que mon voisin soit astreint aux mêmes devoirs que moi. Si je suis obligé de voler à la défense de son champ, il doit être obligé de voler à la défense du mien. (L'extrémité de la partie gauche applaudit.) Si les émigrans se plaignaient de voir marcher avec peu d'activité au secours de leurs possessions; ne leur diraiton pas je suis libre de vous laisser piller, incendier. (Il s'élève beaucoup de murmures.) Voilà ce que demandent les partisans des émigrans. Point de loi sur les émigrations, c'est permettre l'incendie et le meurtre. Les Athéniens étaient-ils libres? Eh bien! lisez leurs lois; elles vous apprendront que le citoyen qui ne prepas parti dans une émeute était infàme. Dans un moment

nait

où l'on fait des enrôlemens publics, nous en avons acquis la preuve; quand l'État est en péril, on dit qu'il est impossible de faire une loi contre les émigrans, sans blesser la constitution. Dans un moment comme celui-là, tout citoyen qui ne se rend pas à la voix de la patrie, renonce à la protection que la société assurait à ses propriétés et à sa personne. (L'extrémité de la partie gauche applaudit.)

M. Prieur. Sans doute.....

M. Cazalès. Si la discussion n'est pas fermée, la parole m'ap-. partient.

M. Prieur. La discussion ne peut pas être fermée; jamais une question d'une aussi haute importance ne fut agitée dans cette assemblée. Je défie aucun citoyen français de désavouer les principes de réciprocité développés par le préopinant. Ces principes sont les fondemens essentiels de toute constitution, et sans eux une société ne peut exister. (Une partie de la partie gauche applaudit.) Voyez en cet instant l'opinion publique. (Une grande partie de l'assemblée murmure.) Dans des momens où des factieux conspirent contre la patrie.... (L'extrémité de la partie gauche applaudit. Les tribunes applaudissent, M. le président les rappelle à l'ordre.) Je ne vons ai pas encore dit quelle était mon opinion. Si d'un côté je crois le retour des émigrans nécessaire à la prospérité publique, de l'autre, je vois des dangers pour la patrie, en rappelant dans son sein, ou des citoyens lâches ou des factieux. (L'extrémité de la partie gauche applaudit.) Je m'attendais que le comité nous présenterait une loi quelconque : il vient nous dire que cette loi ne peut être que hors des principes et de la constitution; mais la loi demandée n'a pas d'autre objet que d'établir les obligations réciproques des citoyens envers eux et la patrie. Celui qui a la lâcheté d'abandonner ses concitoyens, ne mérite pas leurs secours..... Nous sommes entre de grands principes et de grands inconvéniens; mais n'est-il pas à propos d'examiner les conséquences de l'application de ce principe. Je demande donc que le comité lise la loi qu'il a préparée,

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