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de ces coureurs d'aventures que fait toujours éclore parmi nous l'envie de se signaler en s'exposant aux dangers de la guerre; rongé de vanité, il donne le plus grand éclat à son équipée, il veut porter aux insurgés des munitions de toute espèce; il arme à ses frais un vaisseau et s'embarque dessus. La nouvelle de son départ est annoncée avec emphase dans toutes les gazettes; lui-même, se métamorphosant en héros, fait publier par quelques plumes vénales que M. le marquis de la Fayette, animé de l'amour de la gloire, et donnant l'exemple des plus rares'vertus, dans un âge où l'on ne pense encore qu'aux plaisirs, vient de renouveler en France les plus beaux jours de la chevalerie! Il se donnait alors tout à son aise de l'encensoir par le nez; il n'avait encore ni envieux, ni détracteur; et c'est là sans contredit la plus brillante époque de sa vie.

› Ce petit manége lui réussit au mieux; il n'y eut presque personne en France qui n'en fut complétement la dupe.Son nom volait de bouche en bouche; et à la cour comme à la ville, Mottié était le modèle des Paladins. Combien ses crédulesadmirateurs eussent été surpris d'apprendre qu'un désespoir amoureux était l'unique cause de son départ. Je ne déchirerai point le voile qui couvre les aventures de la tendre Pénélope; mais qui ignore combien il eut à dévorer de chagrins de n'être pas l'objet de ses chastes feux?

› Il promenait dans les cercles brillans de la capitale sa douleur et son ennui, lorsqu'il y rencontra la comtesse de Nolstein, jeune et jolie femme, attachée à madame de Chartres, et dont le mari était colonel de Chartres, infanterie. Le duc en était l'amant heureux. Le sieur Mottié, qui en était le piteux rival, ne. pouvant la rendre sensible, porta son désespoir chez les Américains. Un dépit amoureux, et non l'amour de la gloire, moins: encore l'amour de la liberté, devint donc le principe indirect de sa fortune et de sa réputation.

› A un premier retour de l'Amérique, sa passion n'était pas éteinte: madame de Nolstein, négligée par le duc, devint moins cruelle, et la chronique porte qu'il en eut un enfant. Le lecteur,

curieux d'apprendre quelle était l'héroïne qui l'avait enchaîné à son char, n'entendra pas sans scandale que les débordemens de cette belle l'avaient mise au rang des prostituées. On prétend que, pour s'amuser, elle se laissait raccrocher le soir au Palais-Royal, et qu'elle menait souvent à bien ses aventures. Nous ne dirons rien de l'habitude qu'elle avait de voler dans les boutiques des marchands; mais nous ne pouvons nous dispenser de rappeler ici que le successeur qu'elle a donné au héros des deux mondes était un laquais vigoureux, dont elle a eu un fils.

. Ce qu'il y a de constant, c'est que madame de Barbantane, sa mère, a écrit plusieurs fois à madame la duchesse de Chartres pour lui représenter que sa fille était désormais indigne d'approcher de sa personne; qu'en conséquence elle lui demandait la permission de la faire renfermer, pour mettre un frein à son libertinage, à ses escroqueries, et empêcher qu'elle ne déshonorât pas plus long-temps sa famille et son nom.

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› Un objet aussi méritant était bien digne de fixer le cœur du marquis de la Fayette. Je ne le suivrai point dans le nouveaumonde, où l'avaient poussé les dédains d'une messaline. Qu'il me suffise d'observer que les secours qu'il porta aux insurgés lui valurent le titre de major-général d'une de leurs armées ; qu'il ne s'est trouvé à aucune de leurs glorieuses expéditions; que ses exploits se sont bornés à garder un parc d'artillerie, comme les goujats gardent le bagage, à ramener à l'armée un peloton de soldats mécontens, à accrocher un vaste domaine, à faire le bravache avec le lord Percy, et à se donner à lui-même le titre d'émule de Washington. Tirons le rideau sur ces hauts faits; ramenons dans ses foyers le héros des deux mondes, et suivonsle sur la nouvelle scène qu'il s'est ouverte à nos regards depuis la révolution.

A force de se dire qu'il était un héros, il est parvenu à le croire; et à force de le répéter aux sots, il était parvenu à le leur persuader. Sans doute que la cour ne fut pas dupe de ce petit manége; mais elle traita le marquis de la Fayette de manière à le faire imaginer: la reine feignit de voir en lui un soutien futur de

la couronne, fêta son retour, et envoya une de ses voitures audevant de lui. Peu après il fut élevé au grade de maréchal-decamp. Les désordres du gouvernement menaçaient d'une révolu tion prochaine; les affaires politiques, devenues l'objet de toutes les conversations, l'arrachèrent aux occupations de la galanterie. Il avait intrigué pour être député à l'assemblée des notables, il intrigua pour être député aux états-généraux. Quels ressorts ne mit-il pas en jeu pour se faire nommer commandant de la garde bourgeoise, après la prise de la Bastille! A peine élevé à ce poste honorable, où l'appela une réputation mensongère, qu'il débuta par un trait de bassesse et de fausseté qui aurait suffi pour le démasquer à des yeux clairvoyans. En vrai valet de cour, n'accepta qu'autant que le roi lui en accorderait la permission, repoussant de la sorte, mais clandestinement, un emploi de confiance où l'avait porté le choix de ses concitoyens, pour ne paraître le tenir que de la volonté de son maître. Le cabinet ministériel, sûr du cœur de ce courtisan, ratifia sa nomination : dès cet instant, rien ne fut plus capable d'abattre les fumées de gloriole qui lui montèrent au cerveau.

il

› C'est ici que va s'ouvrir la scène de sa conduite publique parmi nous. Le lecteur honnête et judicieux ne verra pas sans indignation ce rusé paladin, si long-temps chanté comme le vengeur des droits de l'homme et le héros de la liberté dans le nouveau-monde, ne s'occuper dans l'ancien qu'à courir après les faveurs de la cour et les avantages de la fortune, s'attacher au char de ses maîtres, combattre pour la cause des tyrans, et ma chiner jour et nuit pour remettre sa patrie dans les fers. L'objet de son ambition était de rétablir le despotisme avec son redoutable appareil, et de se faire accorder l'épée de connétable. Il fallait commencer par capter la confiance du peuple, l'aveugler, le tromper, l'égarer, le miner, l'enchaîner et l'entraîner dans l'abîme. Or, tout ce que la dissimulation, l'hypocrisie, la flagor nerie, l'astuce, la fourberie, la trahison et la perfidie peuvent inventer de plus funeste, il le mit tour à tour en usage contre ses aveugles et trop crédules concitoyens.

Depuis la prise de la Bastille, toute la nation, soulevée contre le despotisme, s'agitait pour secouer les chaînes qu'elle venait de rompre elle était armée, elle songea à recouvrer sa liberté.

⚫ Que fit le général pour rendre vains les efforts du peuple? il commença par le diviser. En tout pays, la partie qui a les armes à la main se rend bientôt maîtresse de l'autre. Il forma donc le projet de ne les laisser qu'aux individus les plus disposés à seconder ses noirs desseins. Pour assurer l'exécution de ce projet, il fallait le masquer avec adresse; l'uniforme lui en fournit un moyen aussi simple qu'infaillible: il flattait la vanité nationale; et comme le service était gratuit, onéreux et dispendieux, il réduisait les gardes bourgeoises aux citoyens riches et aisés, c'est-à-dire aux courtisans, aux nobles, aux militaires retirés, aux financiers, aux capitalistes, aux agioteurs, aux agens royaux, aux robins, aux suppôts de la chicane, aux marchands et ouvriers du luxe, tous créatures de la cour, et suppôts du despotisme. Sous prétexte de mettre la garde bourgeoise sur un pied respectable, il proposa donc l'uniforme, et sous prétexte de soulager les citoyens peu fortunés, sans avoir l'air de les exclure, il ne voulut que des volontaires, dont il réduisit le nombre à 24,000, qu'il divisa en soixante bataillons.

⚫ Par ce moyen, les classes nombreuses des citoyens gênés, des artisans, des ouvriers, des manœuvres, des indigens qui avaient conquis la liberté, se trouvèrent dépouillés des moyens de la defendre, quoiqu'il leur en fit supporter long-temps encore les corvées, et qu'il ne leur en laissât que les épines.

› Dans une armée quelconque, toujours l'officier enchaîne le soldat; des hommes de la cour, des ducs, des comtes, des marquis, des colonels de régimens, des présidens à mortier, des conseillers de cours souveraines, des fermiers-généraux, des agens ministériels, etc., briguèrent l'avantage de commander aux citoyens armés, dont ils captivent les suffrages par des libé

ralités (1) déplacées, qui ne pouvaient passer que pour des actes de séduction.

› Les soldats du régiment des gardes-françaises, et un grand nombre de soldats d'autres régimens qui s'étaient rangés sous les drapeaux de la patrie dès les premiers jours de la révolution, ne pouvant ni être mis de côté ni entrer dans la garde citoyenne, il se vit forcé d'en faire un corps particulier, sous le nom de troupe du centre, qu'il divisa en soixante compagnies, et qu'il répartit dans les bataillons. Ce corps de 6,000 soldats, enflammés par l'amour de la liberté, l'embarrassait furieusement: il commença donc par détruire toute union entre les gardes-françaises, que la reconnaissance publique plaçait au rang des premiers défenseurs de la patrie opprimée; puis il s'appliqua à en expulser par des congés absolus, royaux, les meilleurs sujets, qu'il remplaça par des satellites à sa dévotion. Les gardes-françaises venaient de se partager le produit de la vente de leurs armes ; ils avaient touché chacun une petite somme; la plupart se retirèrent dans leurs villages, et furent aussitôt remplacés par des chenapans, que le héros des deux mondes fit ramasser dans les tripots de la capitale. Il donna pour officiers aux compagnies du centre des aventuriers flétris par leurs vices, et prêts à tout entreprendre pour rétablir le délabrement de leur fortune, à part toutefois les sous-officiers aux gardes, qui furent nommés par les soldats, et un petit nombre de bons citoyens que leur civisme avait appelés au commandement.

› Sous prétexte qu'une armée n'est pas complète sans cavalerie, il forma, du guet à cheval, de spadassins, d'escrocs et de mouchards, un corps de 800 cavaliers, qu'il doubla peu à peu clandestinement, et auxquels il donna pour officiers des mouchards de l'ancienne police. Pour styler cette armée suivant ses vœux, il créa un état-major, il en multiplia les places, il y attacha d'énormes appointemens, et il les remplit de spadassins, de

(1) C'était au trésor public à faire les frais de l'accoutrement militaire des citoyens gênés; fallait-il permettre que les richards en donnassent pour se faire des créatures par ces faux actes de patriotisme? (Note de Marat.) '

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