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« toi, être écouté fort tranquillement; et apparem«ment tes auditeurs ne t'interrompaient pas. - Ce « que tu dis, lui répondit Démosthène, ce que tu dis « de nous deux est vrai. Tu ne te trompes que dans la « conclusion que tu en tires. Tu occupais l'assemblée <«< de toi-même ; et moi, je ne l'occupais jamais que de « l'affaire dont je parlais. On t'admirait ; et moi, j'é<< tais oublié par mes auditeurs, qui ne voyaient que « le parti que je voulais leur faire prendre. Tu réjouis<< sais par les traits de ton esprit ; et moi, je frappais, « j'abattais, je terrassais par des coups de foudre. Tu « faisais dire: Qu'il parle bien ! et moi, je faisais dire: <«< Allons, marchons contre Philippe! On te louait : on était trop hors de soi pour me louer. Quand tu <«< haranguais, tu paraissais orné: on ne découvrait en <«< moi aucun ornement; il n'y avait dans mes pièces «que des raisons précises, fortes, claires : ensuite des <«< mouvements semblables à des foudres auxquels on « ne pouvait résister. Tu as été un orateur parfait, « quand tu as été, comme moi, simple, grave, au« stère, sans art apparent, en un mot quand tu as été « Démosthène ; mais lorsqu'on a senti en tes discours << l'esprit, le tour et l'art, alors tu n'as plus été que « Cicéron, t'éloignant de la perfection autant que tu << t'éloignais de mon caractère. >>

Effectivement, c'est la force irrésistible du raisonnement, c'est l'entraînante rapidité des mouvements oratoires, qui caractérisent l'éloquence de l'orateur athénien : il n'écrit que pour donner du nerf, de la chaleur et de la véhémence à ses pensées, qui ne sont que les élans impétueux d'une ame ardente; il parle, non comme un écrivain élégant qui veut être admiré,

mais comme un homme inspiré et passionné que la vérité tourmente; comme un citoyen menacé du plus grand des malheurs, et qui ne peut plus contenir la fougue de son indignation contre les ennemis de sa patrie. L'audace de son style se compose de l'emploi, de l'alliance, ou de la simplicité hardie et pittoresque de ses expressions. Son ascendant est irrésistible; tout cède devant lui à la domination de ses paroles, et sa langue s'enrichit des trésors inépuisables de sa verve et de son imagination. Que serait-ce, disait Eschine, son rival, aux jeunes Athéniens qui l'écoutaient avec les transports de l'enthousiasme déclamer sa foudroyante harangue sur la Couronne, que serait-ce donc, leur disait-il, si vous eussiez entendu le monstre lui-même? C'est l'athlète de la raison; il la défend de toutes les forces de son ame et de son génie, et la tribune où il parle devient une arène. Il subjugue à la fois ses auditeurs, ses adversaires, ses juges; il ne paraît point chercher à vous attendrir; et cependant il remue, il bouleverse tous les coeurs. Il accable ses concitoyens de reproches; mais alors il n'est que l'interprète de leurs propres remords. Réfute-t-il un argument? il ne discute point, il propose une simple question pour toute réponse, et l'objection ne reparaîtra jamais. Veut-il soulever les Athéniens contre Philippe? ce n'est plus un orateur qui parle : c'est un général, c'est un roi, c'est le prophète de l'histoire, c'est l'ange tutélaire de sa patrie; et quand il veut semer autour de lui l'épouvante de l'esclavage, on croit entendre retentir au loin, de distance en distance, le bruit des chaînes qu'apporte le tyran.

On admire avec raison les Philippiques de Démo

sthène, et sa fameuse harangue pour la Couronne, en faveur de Ctesiphon 1; mais il me semble que les gens de lettres et les orateurs chrétiens lisent trop peu ses autres ouvrages, son discours sur la paix, sa première et sa seconde Olinthiaque, sa harangue de la Chersonèse, et plusieurs autres chefs-d'œuvre véritablement dignes de son génie. C'est dans ces écrits trop négligés par les prédicateurs, et qui semblent même inutiles à la réputation de Démosthène, puisqu'on ne lui en tient aucun compte, c'est là que l'on pourrait trouver des titres suffisants pour justifier sa renommée, si toutes ses autres productions oratoires étaient inconnues. Bornons-nous à en citer ici un seul trait. Les ennemis de Démosthène (c'étaient, à l'exception d'Eschine, quelques écrivains sans talents, qui osaient se croire ses rivaux, parcequ'ils faisaient dans Athènes le métier de sophiste), tous ces envieux détracteurs de Démosthène, l'accusaient de chercher plutôt dans ses discours les applaudissements de la multitude que l'utilité publique. Ce grand homme, fier de sa conscience,

1 Boileau ne pouvait se lasser d'admirer l'oraison de Démosthère, pro Corona. C'était, selon lui, le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Toutes les fois que je la lis, disait-il, je voudrais n'avoir jamais écrit. Un de ses amis lui dit un jour : « Ah! monsieur, je lis maintenant un auteur qui est bien mon homme c'est Démosthène. Si c'est votre homme, lui répondit Despréaux, ce n'est pas le mien. Comment l'entendez-vous donc lui répliqua son ami. C'est qu'il me fait tomber la plume des mains. "

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Lettre de Boileau à Brossette.

Or, si la lecture de Démosthène inspirait un tel découragement à un si grand poëte, quelle impression ne doit done pas faire son éloquence sur l'esprit d'un orateur qui sait aussi en apprécier le pro ligieux mérite, et peut se croire d'autant plus obligé de s'en approcher qu'il parcourt la même carrière?

outragé longtemps sans se plaindre, daigna enfin confondre leurs insolentes clameurs, en présence de tout le peuple athénien; et voici ce qu'il leur dit dans sa harangue de la Chersonèse : « Je suis tellement éloi«gné de regarder tous ces vils rhéteurs comme des « citoyens dignes de leur patrie, que si quelqu'un me « disait en ce moment: Et toi, Démosthène, quels << services as-tu rendus à la république? ô Athéniens! « je ne parlerais ni des dépenses que j'ai faites pour «mes concitoyens dans l'administration de mes em«plois, ni des captifs que j'ai rachetés, ni des dons « que j'ai faits à la ville, ni de tous les monuments << qui attesteront un jour mon zèle pour mon pays; « mais voici ce que je répondrais : J'ai toujours eu « une conduite opposée aux maximes de ces miséra«bles. J'aurais pu sans doute les imiter, et vous flat<< ter comme eux; mais je vous ai toujours sacrifié « mon intérêt personnel, mon ambition et mème le « desir d'enlever vos suffrages. Je vous ai parlé de « manière à me mettre au-dessous de pareils citoyens, « en vous élevant vous-mêmes au-dessus des autres « peuples de la Grèce. O Athéniens! il doit m'être « permis de me rendre aujourd'hui ce témoignage. «Non, je n'ai pas cru pouvoir devenir le premier << parmi vous, si je vous rendais vous-mêmes les der<<niers de tous les hommes. » C'est à ses ennemis, c'est à la triste nécessité de les accabler de toute l'autorité de son génie et de sa gloire, que Démosthène doit ce sublime morceau, l'un des plus beaux mouvements de son éloquence. Il serait très facile de multiplier de pareilles citations quand on parle d'un si grand orateur; mais mon intention n'est point de dis

penser les prédicateurs de le lire. Je les exhorte au contraire à l'apprendre par cœur, et à transporter son énergie, sa vigueur et son pinceau, dans les compositions de la chaire, qui leur présentera une foule de sujets dignes de les faire revivre. Je les exhorte surtout à se bien convaincre eux-mêmes, par la lecture de ses harangues, que son éloquence franche et impétueuse dédaigne toute manière, toute afféterie, toute recherche d'esprit, et ne lui coûte pas le moindre effort, parcequ'elle ne s'abaisse jamais à aucune prétention. Il se sert de la parole, dit Fénelon 1, comme un homme modeste de son habit, pour se vêtir et non pour se parer. Il tonne, il foudroie : c'est un torrent qui

entraîne tout.

XVI. De Bossuet.

Au seul nom de Démosthène, mon admiration me rappelle celui de ses émules avec lequel il a le plus de 'ressemblance, l'homme le plus éloquent de notre nation. Que l'on se représente donc un de ces orateurs que Cicéron appelle véhéments, et en quelque sorte tragiques, qui, doués par la nature de la souveraineté de la parole et emportés par une éloquence toujours armée de traits brûlants comme la foudre, s'élèvent au-dessus des règles et des modèles, et portent l'art à toute la hauteur de leurs propres conceptions; un orateur qui par ses élans monte jusques aux cieux, d'où il descend avec ses vastes pensées agrandies encore par la religion, pour s'asseoir sur les bords d'un tombeau, et abattre l'orgueil des princes et des rois

1 Lettre à l'Académie française sur l'éloquence.

2

Grandis et, ut ita dicam, tragicus orator. » Brutus, 203.

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