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V. 1

NOTICE

SUR LA VIE

DE MADAME CAMPAN.

On aime à lire la vie privée des princes. Trop de gêne et d'apprêt se mêle à leurs actions publiques, pour qu'on y puisse démêler le secret de leurs penchans et de leur caractère. Il faut dissiper cet éclat qui nous éblouit, écarter la pompe qui les environne, pour arriver jusqu'à eux; la fortune les élève si haut, qu'on les croirait presque au-dessus de l'humanité, sans les indiscrétions de ceux qui les entourent. Souvent un sentiment jaloux sert encore d'aiguillon à la curiosité. Les princes ont besoin d'avoir des goûts, des passions, des travers qui les rapprochent de nous, pour se faire pardonner leur grandeur : l'amour-propre humilié se venge de leur rang sur leurs faiblesses.

Les Mémoires sur Marie-Antoinette n'exciteront ni la malignité ni l'envie. Est-il quelques sentimens ennemis que ne désarme le souvenir de ses malheurs? A peine la voit-on paraître et briller un moment, qu'on est forcé de la plaindre. Le cœur est séduit par ses grâces, et presque aussitôt touché de ses peines: on ne jouit point de ses momens heureux. Au milieu des fêtes que lui prodigue la

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France, de cette cour dont elle reçoit les hommages, de ces jardins qui plaisent à la simplicité de ses goûts, l'imagination reste frappée du sort qui l'attend : des salons de Versailles, ou des bosquets de Trianon, l'on croit apercevoir déjà les tours du Temple. S'il était possible qu'une inflexible sévérité conçût l'idée des plus légers reproches, ils viendraient presque aussitôt expirer sur les lèvres, au milieu des regrets et des accens de la douleur.

L'ouvrage de madame Campan ne laissera point d'autre impression. Elle avait de nombreux ennemis. A la cour, où l'envie suit de près la faveur, son sort avait fait des jaloux; on la punit, à l'époque de la révolution, des bontés dont la reine l'avait honorée. Ceux qui ne sentirent point, comme elle, la pointe de l'épée sur leur poitrine, à la journée du 10 août, lui reprochèrent d'avoir manqué de courage; ceux qui, comme elle, n'allèrent point se jeter aux pieds de Pétion, pour partager la dangereuse captivité de Marie-Antoinette, ont soupçonné sa fidélité. Après avoir calomnié sa conduite, on dénonçait d'avance l'esprit de ses Mémoires : je jouis, en les publiant, de la confusion qu'éprouvera la méchanceté déçue. Madame Campan n'a point voulu lui ménager un triomphe : un fragment de ses manuscrits contient ce passage :

<< Je dirai ce que j'ai vu. Je ferai connaître le caractère » de Marie-Antoinette, ses habitudes privées, l'emploi » de son temps, son amour maternel, sa constance en » amitié, sa dignité dans le malheur. J'ouvrirai en quel>> que sorte la porte de ses cabinets intérieurs, où j'ai passé >> tant de momens près d'elle, dans les plus belles comme » dans les plus tristes années de sa vie. »

Puis, dans un autre passage inédit, elle ajoute : « J'ai >> beaucoup vécu; la fortune m'a mise à portée de voir et » de juger les femmes célèbres de plusieurs époques. J'ai >> fréquenté de jeunes personnes, dont les grâces et l'aima»ble caractère seront connus long-temps après elles. Ja>> mais dans aucun rang, dans aucun âge, je n'ai trouvé >> de femme d'un naturel aussi séduisant que Marie-Antoi>> nette; à qui l'éclat éblouissant de la couronne laissât un >> cœur aussi tendre; qui, sous le poids du malheur, se >> montrât plus compatissante aux malheurs d'autrui : je » n'en ai pas vu d'aussi héroïque dans le danger, d'aussi >> éloquente dans l'occasion, d'aussi franchement gaie dans » la prospérité. »

Ces mots suffisent. On connaît à présent l'esprit de l'ouvrage, le vif intérêt qui l'anime, les sentimens qui l'ont dicté. J'en ai quelques regrets pour les ennemis de madame Campan ; elle ne satisfera ni leur haine ni leur espoir : ses Mémoires sont piquans sans le secours du scandale, et pour être touchante, il lui a suffi d'être vraie (1).

Jetons un coup-d'œil sur sa famille et sur ses premières années.

(1) Un mot d'explication sur la Notice qu'on va lire me paraît nécessaire. Aucun des passages, aucune des anecdotes qu'elle contient ne se retrouve dans les Mémoires. Je dois les anecdotes aux souvenirs des parens, des amis, des élèves de madame Campan. La lecture de ses manuscrits, de sa correspondance, de tous ses papiers, m'a procuré des fragmens intéressans que je n'ai point hésité à mettre en œuvre. Ils donnent aux moindres détails, comme aux faits les plus importans, un ton de vérité qui doit attacher et plaire. Ces fragmens ont d'autant plus de prix, qu'ils sont écrits en entier de la main de madame Campan : chaque fois que je les citerai, j'aurai soin d'en prévenir le lecteur.

Jeanne-Louise Henriette Genet était née à Paris, le 6 octobre 1752. M. Genet, son père, devait à son mérite, autant qu'à la protection de M. le duc de Choiseul, l'emploi de premier commis au ministère des affaires étrangères. Les lettres qu'il avait cultivées avec succès dans sa jeunesse, occupaient encore ses loisirs (1). Entouré de nombreux enfans, il cherchait un délassement à ses travaux, dans les soins qu'exigeait leur éducation : rien ne fut négligé de ce qui pouvait la rendre brillante. Dans l'étude de la musique ou des langues étrangères, les progrès de la jeune Henriette Genet surprenaient les meilleurs maîtres; le célèbre Albanèze lui avait donné des leçons de chant, et Goldoni lui montra l'italien. Bientôt le Tasse, Milton, Dante, Shakespeare même lui étaient devenus familiers. On l'exerçait surtout à l'art difficile de bien lire. En parcourant tour à tour de la prose ou des vers, une ode, une épître, une comédie, un sermon, il fallait qu'elle changeât sur-le-champ, de ton, d'inflexions et de débit. Rochon de Chabannes, Duclos, Barthe, Marmontel, Thomas, se plaisaient à lui faire réciter les plus belles scènes de Racine. A quatorze ans sa mémoire et son esprit les charmaient. Ils le disaient dans le monde, et peut-être un peu trop; une jeune personne paie toujours assez cher la célébrité qu'elle obtient belle, toutes les femmes deviennent ses rivales; a-t-elle de l'esprit, des talens? beaucoup d'hommes ont encore la faiblesse d'en être jaloux.

On parla de mademoiselle Genet à la cour. Des femmes

(1) On trouvera dans les Souvenirs de madame Campan des détails intéressans, écrits par elle sur l'éducation, les ouvrages, les aventures et le mariage de son père.

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