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cent point à bien jouer les pièces tragiques, parce | à fait distinctes, celle qui vient du Midi et celle ceux qui restent envers ceux qui ne sont plus. Si | vers, mais moins d'intensité dans une même penLes émotions causées par les poésies ossiani- | dans les montagnes d'Écosse. Avant qu'Homère ent par d'autres superstitions plus analogues aux crédu- | qui l'exprime. Et tel est cependant l'ascendant

qu'elles ne sont point écoutées; et cela doit être ainsi, lorsque le talent d'émouvoir n'est pas porté assez loin pour l'emporter sur tout autre plaisir. Les Italiens n'ont pas besoin d'être attendris, et les auteurs, faute de spectateurs, et les spectateurs, faute d'auteurs, ne se livrent point aux impressions profondes de l'art dramatique.

Métastase cependant a su faire de ses opéras presque des tragédies, et quoiqu'il fût astreint à toutes les difficultés qu'impose l'obligation de se soumettre à la musique, il a su conserver de grandes beautés de style et des situations vraiment dramatiques. Il se peut qu'il existe encore d'autres exceptions peu connues des étrangers; mais pour dessiner les traits principaux qui caractérisent une littérature, il est absolument nécessaire de mettre de côté quelques détails. Il n'existe point d'idées générales qui ne soient contredites par quelques exceptions; mais l'esprit deviendrait incapable d'aucun résultat, s'il s'arrêtait à chaque fait particulier, au lieu de saisir les conséquences que l'on doit tirer de la réunion de tous.

La mélancolie, ce sentiment fécond en ouvrages de génie, semble appartenir presque exclusivement aux climats du Nord.

Les Orientaux, que les Italiens ont souvent imités, avaient bien néanmoins une sorte de mélancolie. On en trouve dans quelques poésies arabes, et surtout dans les psaumes des Hébreux; mais elle a un caractère distinct de celle dont nous allons parler en analysant la littérature du Nord.

Des idées religieuses positives, soit chez les mahométans, soit chez les juifs, soutiennent et dirigent dans l'Orient les affections de l'âme. Ce n'est pas ce vague terrible qui porte à l'âme une impression plus philosophique et plus sombre. La mélancolie des Orientaux est celle des hommes heureux par toutes les jouissances de la nature;

ils réfléchissent seulement avec regret sur le rapide passage de la prospérité, sur la brièveté de la vié. La mélancolie des peuples du Nord est celle qu'inspirent les souffrances de l'âme, le vide que la sensibilité fait trouver dans l'existence, et la rêverie qui promène sans cesse la pensée de la fatigue de la vie à l'inconnu de la mort.

CHAPITRE XI.

De la littérature du Nord.

Il existe, ce me semble, deux littératures tout

* Les poésies hébraïques, les complaintes de Job en parti

qui descend du Nord; celle dont Homère est la première source, celle dont Ossian est l'origine *. Les Grecs, les Latins, les Italiens, les Espagnols et les Français du siècle de Louis XIV, appartiennent au genre de littérature que j'appellerai la littérature du Midi. Les ouvrages anglais, les ouvrages allemands, et quelques écrits des Danois et des Suédois doivent être classés dans la littérature du Nord, dans celle qui a commencé par les bardes écossais, les fables islandaises et les poésies scandinaves. Avant de caractériser les écrivains anglais et les écrivains allemands, il me paraît nécessaire de considérer d'une manière générale les principales différences des deux hémisphères de la littérature.

Les Anglais et les Allemands ont, sans doute, souvent imité les anciens. Ils ont retiré d'utiles leçons de cette étude féconde; mais leurs beautés originales portant l'empreinte de la mythologie du Nord, ont une sorte de ressemblance, une certaine grandeur poétique dont Ossian est le premier type. Les poëtes anglais, pourra-t-on dire, sont remarquables par leur esprit philosophique; il se peint dans tous leurs ouvrages: mais Ossian n'a presque jamais d'idées réfléchies; il raconte une suite d'événements et d'impressions. Je réponds à cette objection que les images et les pensées les plus habituelles, dans Ossian, sont celles qui rappellent la brièveté de la vie, le respect pour les morts, l'illustration de leur mémoire, le culte de le poëte n'a réuni à ces sentiments ni des maximes de morale ni des réflexions philosophiques, c'est qu'à cette époque l'esprit humain n'était point encore susceptible de l'abstraction nécessaire pour concevoir beaucoup de résultats. Mais l'ébranlement que les chants ossianiques causent à l'imagination dispose la pensée aux méditations les plus profondes.

culier, ont un caractère de mélancolie qui ne ressemble en rien à celui qu'on peut remarquer dans les poésies du Nord. D'abord les images qui conviennent au climat du Midi diffèrent entièrement de celles qu'inspire le climat du Nord, et, en second lieu, l'imagination religieuse des juifs n'a pas le moindre rapport avec celle qui anime encore les descendants des poëtes scandinaves et des bardes écossais. C'est ce que je développerai dans le chapitre suivant.

Je répète ce que j'ai dit dans la Préface de cette seconde édition. Les chants d'Ossian (barde qui vivait dans le quatrième siècle) étaient connus des Écossais et des hommes de lettres en Angleterre, avant que Macpherson les eût recueillis. En appelant Ossian l'origine de la littérature du Nord, j'ai voulu seulement, comme on le verra par la suite de ce chapitre, l'indiquer comme le plus ancien poëte auquel on

puisse rapporter le caractère particulier à la poésie du Nord. Les fables islandaises, les poésies scandinaves du neuvième siècle, origine commune de la littérature anglaise et de la littérature allemande, ont la plus grande ressemblance avec les traits distinctifs des poésies erses et du poème de Fingal. Un très-grand nombre de savants ont écrit sur la littérature runique, sur les poésies et les antiquités du Nord. Mais on trouve le résumé de toutes ces recherches dans M. Mallet; et il suffira de lire la traduction de quelques odés du neuvième siècle qui y sont transcrites, celle du roi Régner-Lodbrog, de Harald le Vaillant, etc., pour se convaincre que ces poëtes scandinaves chantaient les mêmes idées religieuses, se servaient des mèmes images guerrières, avaient le même culte pour les femmes que le barde d'Ossian, qui vivait près de cing siècles avant eux.

La poésie mélancolique est la poésie la plus d'accord avec la philosophie. La tristesse fait pénétrer bien plus avant dans le caractère et la destinée de l'homme que toute autre disposition de l'âme. Les poëtes anglais qui ont succédé aux bardes écossais ont ajouté à leurs tableaux les réflexions et les idées que ces tableaux mêmes devaient faire naître; mais ils ont conservé l'imagination du Nord, celle qui plaît sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans les bruyères sauvages; celle enfin qui porte vers l'avenir, vers un autre monde, l'âme fatiguée de sa destinée. L'imagination des hommes du Nord s'élance au delà de cette terre dont ils habitent les confins; elle s'élance à travers les nuages qui bordent leur horizon, et semblent représenter l'obscur passage de la vie à l'éternité.

L'on ne peut décider d'une manière générale entre les deux genres de poésie dont Homère-et Ossian sont comme les premiers modèles. Toutes mes impressions, toutes mes idées me portent de préférence vers la littérature du Nord; mais ce dont il s'agit maintenant, c'est d'examiner ses caractères distinctifs.

Le climat est certainement l'une des raisons principales des différences qui existent entre les images qui plaisent dans le Nord et celles qu'on aime à se rappeler dans le Midi. Les rêveries des poëtes peuvent enfanter des objets extraordinaires; mais les impressions d'habitude se retrouvent nécessairement dans tout ce que l'on compose. Éviter le souvenir de ces impressions, ce serait perdre le plus grand des avantages, celui de peindre ce qu'on a soi-même éprouvé. Les poëtes du Midi mêlent sans cesse l'image de la fraîcheur, des bois touffus, des ruisseaux limpides, à tous les sentiments de la vie. Ils ne se retracent pas même les jouissances du cœur sans y mêler l'idée de l'ombre bienfaisante qui doit les préserver des brûlantes ardeurs du soleil. Cette nature si vive qui les environne excite en eux plus de mouvements que de pensées. C'est à tort, ce me semble, qu'on a dit que les passions étaient plus violentes dans le Midi que dans le Nord. On y voit plus d'intérêts di

sée; or c'est la fixité qui produit les miracles de la passion et de la volonté.

Les peuples du Nord sont moins occupés des plaisirs que de la douleur, et leur imagination n'en est que plus féconde. Le spectacle de la nature agit fortement sur eux; elle agit comme elle se montre dans leurs climats, toujours sombre et nébuleuse. Sans doute les diverses circonstances de la vie peuvent varier cette disposition à la mélancolie; mais elle porte seule l'empreinte de l'esprit national. Il ne faut chercher dans un peuple, comme dans un homme, que son trait caractéristique : tous les autres sont l'effet de mille hasards différents; celuilà seul constitue son être.

La poésie du Nord convient beaucoup plus que celle du Midi à l'esprit d'un peuple libre. Les premiers inventeurs connus de la littérature du Midi, les Athéniens, ont été la nation du monde la plus jalouse de son indépendance. Néanmoins il était plus facile de façonner à la servitude les Grecs que les hommes du Nord. L'amour des arts, la beauté du climat, toutes ces jouissances prodiguées aux Athéniens, pouvaient leur servir de dédommagement. L'indépendance était le premier et l'unique bonheur des peuples septentrionaux. Une certaine fierté d'âme, un détachement de la vie, que font naître et l'âpreté du sol et la tristesse du ciel, devaient rendre la servitude insupportable; et longtemps avant que l'on connût en Angleterre et la théorie des constitutions et l'avantage des gouvernements représentatifs, l'esprit guerrier que les poésies erses et scandinaves chantent avec tant d'enthousiasme donnait à l'homme une idée prodigieuse de sa force individuelle et de la puissance de sa volonté. L'indépendance existait pour chacun, avant que la liberté fût constituée pour tous.

La philosophie, à la renaissance des lettres, a commencé par les nations septentrionales, dans les habitudes religieuses desquelles la raison trouvait à combattre infiniment moins de préjugés que dans celles des peuples méridionaux. La poésie antique du Nord suppose beaucoup moins de superstition que la mythologie grecque. Il y a quelques dogmes et quelques fables absurdes dans l'Edda; mais les idées religieuses du Nord conviennent presque toutes à la raison exaltée. Les ombres penchées sur les nuages ne sont que des souvenirs animés par des images sensibles 1.

1 On a prétendu qu'il n'y avait point d'idées religieuses dans Ossian. Il n'y a point de mythologie; mais on y retrouve sans cesse une élévation d'âme, un respect pour les morts, une confiance dans une existence à venir; sentiments beaucoup plus analogues au caractère du christianisme que le paganisme du Midi. La monotonie du poëme de Fingal ne tient point à l'absence de la mythologie; j'en ai dit les diverses causes. Les modernes seraient condamnés aussi à la monotonie, si les fables des Grecs étaient le seul moyen de varier les ouvrages d'imagination; car plus ces fables sont dignes d'admiration dans les poëtes anciens qui les ont employées, plus il est difficile à nos poëtes de s'en servir. L'on est bien vite fatigué d'une imagination qui s'exerce sur un sujet dans lequel il ne lui est pas permis de rien inventer.

ques peuvent se reproduire dans toutes les nations, parce que leurs moyens d'émouvoir sont tous pris dans la nature; mais il faut un talent prodigieux pour introduire, sans affectation, la mythologie grecque dans la poésie française. Rien ne doit être, en général, si froid et si recherché que des dogmes religieux transportés dans un pays où ils ne sont reçus que comme des métaphores ingénieuses. La poésie du Nord est rarement allégorique; aucun de ses effets n'a besoin de superstitions locales pour frapper l'imagination. Un enthousiasme réfléchi, une exaltation pure, peuvent également convenir à tous les peuples; c'est la véritable inspiration poétique dont le sentiment est dans tous les cœurs, mais dont l'expression est le don du génie. Elle entretient une rêverie céleste qui fait aimer la campagne et la solitude; elle porte souvent le cœur vers les idées religieuses, et doit exciter dans les êtres privilégiés le dévouement des vertus et l'inspiration des pensées élevées.

Ce que l'homme a fait de plus grand, il le doit au sentiment douloureux de l'incomplet de sa destinée. Les esprits médiocres sont, en général, assez satisfaits de la vie commune; ils arrondissent, pour ainsi dire, leur existence, et suppléent à ce qui peut leur manquer encore, par les illusions de la vanité; mais le sublime de l'esprit, des sentiments et des actions, doit son essor au besoin d'échapper aux bornes qui circonscrivent l'imagination. L'héroïsme de la morale, l'enthousiasme de l'éloquence, l'ambition de la gloire, donnent des jouissances surnaturelles qui ne sont nécessaires qu'aux âmes à la fois exaltées et mélancoliques, fatiguées de tout ce qui se mesure, de tout ce qui est passager, d'un terme enfin, à quelque distance qu'on le place. C'est cette disposition de l'âme, source de toutes les passions généreuses, comme de toutes les idées philosophiques, qu'inspire particulièrement la poésie du Nord.

Je suis loin de comparer le génie d'Homère à celui d'Ossian. Ce que nous connaissons d'Ossian ne peut être considéré comme un ouvrage; c'est un recueil des chansons populaires qui se répétaient

composé son poëme, d'anciennes traditions existaient sans doute en Grèce. Les poésies d'Ossian ne sont pas plus avancées dans l'art poétique que ne devaient l'être les chants des Grecs avant Homère '. Aucune parité ne peut donc être établie avec justice entre l'Iliade et le poëme de Fingal. Mais on peut toujours juger si les images de la nature, telles qu'elles sont représentées dans le Midi, excitent des émotions aussi nobles et aussi pures que celles du Nord; si les images du Midi, plus brillantes à quelques égards, font naître autant de pensées, ont un rapport aussi immédiat avec les sentiments de l'âme. Les idées philosophiques s'unissent comme d'elles-mêmes aux images sombres. La poésie du Midi, loin de s'accorder, comme celle du Nord, avec la méditation, et d'inspirer, pour ainsi dire, ce que la réflexion doit prouver, la poésie voluptueuse exclut presque entièrement les idées d'un certain ordre.

On reproche à Ossian sa monotonie. Ce défaut existe moins dans les diverses poésies qui dérivent de la sienne, celle des Anglais et des Allemands. La culture, l'industrie, le commerce ont varié de plusieurs manières les tableaux de la campagne ; néanmoins l'imagination septentrionale conservant toujours à peu près le même caractère, on doit trouver encore, même dans Young, Thompson, Klopstock, etc., une sorte d'uniformité. La poesie mélancolique ne peut pas se varier sans cesse. Le frémissement que produisent dans tout notre être de certaines beautés de la nature est une sensation toujours la même; l'émotion que nous causent les vers qui nous retracent cette sensation a beaucoup d'analogie avec l'effet de l'harmonica. L'âme, doucement ébranlée, se plaît dans la prolongation de cet état, aussi longtemps qu'il lui est possible de le supporter. Et ce n'est pas le défaut de la poésie, c'est la faiblesse de nos organes qui nous fait sentir la fatigue au bout de quelque temps; ce qu'on éprouve alors, ce n'est pas l'ennui de la monotonie, c'est la lassitude que causerait le plaisir trop continu d'une musique aérienne.

Les grands effets dramatiques des Anglais, et après eux des Allemands, ne sont point tirés des sujets grecs, ni de leurs dogmes mythologiques. Les Anglais et les Allemands excitent la terreur

L'on a écrit que j'avais comparé Homère à Ossian; et je n'ai pas changé dans cette seconde édition un mot à ce morceau. L'on se permet aujourd'hui de dire précisément le contraire de la vérité, et cela sert auprès de ceux qui ne lisent pas. Ils ne peuvent pas se persuader que l'on avance dans une critique, quelque partiale qu'elle soit, précisément l'opposé de ce qui est.

qu'exercent sur les écrivains les mœurs qui les environnent, qu'ils y soumettent jusqu'à la langue de leurs affections les plus intimes. Il se peut que Pé

lités des derniers siècles. Ils ont su l'exciter surtout par la peinture du malheur que ces âmes énergiques et profondes ressentaient si douloureusement. C'est, comme je l'ai déjà dit, des opinions | trarque ait été plus amoureux dans sa vie que l'au

religieuses que dépend, en grande partie, l'effet que produit sur l'homme l'idée de la mort. Les bardes écossais ont eu, dans tous les temps, un culte plus sombre et plus spiritualisé que celui du Midi. La religion chrétienne, qui, séparée des inventions sacerdotales, est assez rapprochée du pur déisme, a fait disparaître ce cortége d'imagination qui environnait l'homme aux portes du tombeau. La nature, que les anciens avaient peuplée d'êtres protecteurs qui habitaient les forêts et les fleuves, et présidaient à la nuit comme au jour; la nature est rentrée dans sa solitude, et l'effroi de l'homme s'en est accru. La religion chrétienne, la plus philosophique de toutes, est celle qui livre le plus l'homme à lui-même. Les tragiques du Nord ne se sont pas toujours contentés des effets naturels qui naissent du tableau des affections de l'âme; ils se sont aidés des apparitions, des spectres, d'une sorte de superstition analogue à leur sombre imagination: mais quelque profonde que soit la terreur qu'on peut produire une fois avec de tels moyens, c'est plutôt un défaut qu'une beauté.

Le talent du poëte dramatique s'augmente lorsqu'il vit au milieu d'une nation qui ne se prête pas trop facilement à la crédulité. Il faut alors qu'il cherche dans le cœur humain les sources de l'émotion, qu'il fasse sortir d'une expression éloquente, d'un sentiment de l'âme, d'un remords solitaire, les fantômes effrayants qui doivent frapper l'imagination. Le merveilleux étonne; mais de quelque manière qu'on le combine, il n'égalera jamais l'impression d'un événement naturel, lorsque cet événement rassemble tout ce qui peut remuer les affections de l'âme, et les Euménides poursuivant Oreste sont moins terribles que le sommeil de lady Macbeth.

Les peuples septentrionaux, à en juger par les traditions qui nous restent et par les mœurs des Germains, ont eu de tout temps un respect pour les femmes inconnu aux peuples du Midi; elles jouissaient dans le Nord de l'indépendance, tandis qu'on les condamnait ailleurs à la servitude. C'est encore une des principales causes de la sensibilité qui caractérise la littérature du Nord.

teur de Werther, que plusieurs poëtes anglais, tels que Pope, Thompson, Otway. Néanmoins ne croirait-on pas, en lisant les écrivains du Nord, que c'est une autre nature, d'autres relations, un autre monde? La perfection de quelques-unes de ces poésies prouve, sans doute, le génie de leurs auteurs; mais il n'en est pas moins certain qu'en Italie les mêmes hommes n'auraient pas composé les mêmes écrits, quand ils auraient ressenti la même passion, tant il est vrai que les ouvrages littéraires ayant le succès pour but, l'on y retrouve communément moins de traces du caractère personnel de l'écrivain que de l'esprit général de sa nation et de son siècle.

Enfin, ce qui donne en général aux peuples modernes du Nord un esprit plus philosophique qu'aux habitants du Midi, c'est la religion protestante que ces peuples ont presque tous adoptée. La réformation est l'époque de l'histoire qui a le plus efficacement servi la perfectibilité de l'espèce humaine. La religion protestante ne renferme dans son sein aucun germe actif de superstition, et donne cependant à la vertu tout l'appui qu'elle peut tirer des opinions sensibles. Dans les pays où la religion protestante est professée, elle n'arrête en rien les recherches philosophiques, et maintient efficacement la pureté des mœurs. Ce serait sortir de mon sujet que de développer davantage une pareille question; mais, je le demande aux penseurs éclairés, s'il existe un moyen de lier la morale à l'idée d'un Dieu, sans que jamais ce moyen puisse devenir un instrument de pouvoir dans la main des hommes: une religion ainsi conçue ne serait-elle pas le plus grand bonheur que l'on pût assurer à la nature humaine; à la nature humaine tous les jours plus aride, tous les jours plus à plaindre, et qui brise chaque jour quelques-uns des liens formés par la délicatesse, l'affection ou la bonté?

CHAPITRE XII.

Du principal défaut qu'on reproche, en France, à la littérature du Nord.

On reproche, en France, à la littérature du Nord de manquer de goût. Les écrivains du Nord répondent que ce goût est une législation purement arbitraire, qui prive souvent le sentiment et la pensée règles du goût ne sont point arbitraires; il ne faut pas confondre les bases principales sur lesquelles les vérités universelles sont fondées avec les modifications causées par les circonstances locales.

L'histoire de l'amour, dans tous les pays, peut être considérée sous un point de vue philosophique. Il semble que la peinture de ce sentiment devrait de leurs beautés les plus originales. Il existe, je dépendre uniquement de ce qu'éprouve l'écrivain | crois, un point juste entre ces deux opinions. Les

Les devoirs de la vertu, ce code de principes qui a pour appui le consentement unanime de tous les peuples, reçoit quelques légers changements par les mœurs et les coutumes des nations diverses; et quoique les premiers rapports restent les mêmes, le rang de telle ou telle vertu peut varier selon les habitudes et les gouvernements des peuples. Le goût, s'il est permis de le comparer à ce qu'il y a de plus grand parmi les hommes, le goût est fixe aussi dans ses principes généraux. Le goût national doit être jugé d'après ces principes, et, selon qu'il en diffère ou qu'il s'en rapproche, le goût national est plus près de la vérité.

On dit souvent: Faut-il sacrifier le génie au goût? Non, sans doute; mais jamais le goût n'exige le sacrifice du génie. Vous trouvez souvent dans la littérature du Nord des scènes ridicules à côté de grandes beautés. Ce qui est de bon goût dans de tels écrits, ce sont les grandes beautés; et ce qu'il fallait en retrancher, c'est ce que le goût condamne. Il n'existe de connexion nécessaire entre les défauts et les beautés que par la faiblesse humaine, qui ne permet pas de se soutenir toujours à la même hauteur. Les défauts ne sont point une conséquence des beautés, elles peuvent les faire oublier. Mais loin que ces défauts prêtent au talent aucun éclat, souvent ils affaiblissent l'impression qu'il doit produire.

Si l'on demande ce qui vaut mieux d'un ouvrage avec de grands défauts et de grandes beautés, ou d'un ouvrage médiocre et correct, je répondrai, sans hésiter, qu'il faut préférer l'ouvrage` où il existe ne fût-ce qu'un seul trait de génie. Il ya faiblesse dans la nation qui ne s'attache qu'au ridicule, si facile à saisir et à éviter, au lieu de chercher avant tout, dans les pensées de l'homme, ce qui agrandit l'âme et l'esprit. Le mérite négatif ne peut donner aucune jouissance; mais beaucoup de gens ne demandent à la vie que l'absence de peines, aux écrits que l'absence de fautes, à tout que des absences. Les âmes fortes veulent exister; et pour exister en lisant, il faut rencontrer dans les écrits des idées nouvelles ou des sentiments passionnés.

Il y a en français des ouvrages où l'on trouve des beautés du premier ordre, sans le mélange du mauvais goût. Ceux-là sont les seuls modèles qui réunissent à la fois toutes les qualités littéraires.

Parmi les hommes de lettres du Nord, il existe une bizarrerie qui dépend plus, pour ainsi dire, de l'esprit de parti que du jugement; ils tiennent aux défauts de leurs écrivains presque autant qu'à leurs beautés; tandis qu'ils devraient se dire comme une femme d'esprit, en parlant des faiblesses d'un héros: C'est malgré cela, et non à cause de cela, qu'il est grand.

Ce que l'homme cherche dans les chefs-d'œuvre de l'imagination, ce sont des impressions agréables. Or, le goût n'est que l'art de connaître et de prévoir ce qui peut causer ces impressions. Quand vous rappelez des objets dégoûtants, vous excitez une impression fâcheuse, qu'on fuirait avec soin dans la réalité; quand vous changez la terreur morale en effroi physique, par la représentation de scènes horribles en elles-mêmes, vous perdez tout le charme de l'imitation, vous ne donnez qu'une commotion nerveuse, et vous pouvez manquer jusqu'à ce pénible effet, si vous avez voulu le pousser trop loin: car au théâtre, comme dans la vie, quand l'exagération est aperçue, on ne tient plus compte même du vrai. Si vous prolongez les développements, si vous mettez de l'obscurité dans les discours ou de l'invraisemblance dans les événements, vous suspendez ou vous détruisez l'intérêt par la fatigue de l'attention. Si vous rapprochez des tableaux ignobles de personnages héroïques, il est à craindre qu'il ne vous soit difficile de faire renaître l'illusion théâtrale: elle est d'une nature extrêmement délicate; et la plus légère circonstance peut tirer les spectateurs de leur enchantement. Ce qui est simple repose la pensée, et lui donne de nouvelles forces; mais ce qui est bas pourrait ôter jusqu'à la possibilité de reprendre à l'intérêt des pensées nobles et relevées.

Les beautés de Shakspeare peuvent, en Angleterre, triompher de ses défauts : mais ils diminuent beaucoup de sa gloire parmi les autres nations. La surprise est certainement un grand moyen d'ajouter à l'effet; mais il serait ridicule d'en conclure que l'on doive faire précéder une scène tragique d'une scène comique, pour augmenter l'étonnement par le contraste. Un beau trait, au milieu de négligences grossières, peut frapper davantage l'esprit; mais l'ensemble y perd plus que ne peut y gagner l'exception. La surprise doit/ naître de la grandeur en elle-même, et non de son opposition avec les petitesses, de quelque genre qu'elles soient. La peinture veut des ombres, mais non pas des taches pour relever l'éclat des couleurs. La littérature doit suivre les mêmes prin. cipes. La nature en offre le modèle, et le bon goût

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