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meilleur écrivain de son temps; pour s'en convaincre, il suffit de le lire. Nous avons déjà vu son écrit si pétulant et, en bien des endroits, si judicieux contre la Jérusalem délivrée. Parcourons encore la fameuse lettre où il raconte ses malheurs; nous ne savons pas si elle a été déjà traduite.

« Vous savez bien, père Vincent, que ma vie n'a été jusqu'ici qu'un sujet d'accidents et d'aventures: un philosophe seul les peut regarder avec indifférence, comme les effets nécessaires de tant de révolutions étranges auxquelles est soumis le globe que nous habitons. Nos semblables, quelque peine que nous nous donnions pour leur bien, nous paient à tort et à travers en ingratitude, avec des larcins et des accusations: tout cela se retrouve dans le cours de ma vie. Que ceci vous suffise, sans plus m'interpeller sur un procès et sur un délit que je ne sais pas même avoir commis. Vous me demandez compte, dans votre lettre du 17 juin, de ce qui m'est arrivé à Rome et de la façon dont j'ai été traité par le père commissaire Hippolyte-Marie Lancio et par monseigneur Alessandro Vitrici, assesseur. Tels sont les noms de mes juges que j'ai encore présents à la mémoire; on vient de me dire pourtant que l'un et l'autre ont été remplacés, qu'on a nommé assesseur monseigneur Pierre-Paul Febei et commissaire le P. Vincent Macolani. Il s'agit là d'un tribunal où, pour avoir été raisonnable, on m'a regardé comme un peu moins qu'hérétique. Qui sait si les hommes ne me réduiront pas, de la profession de philosophe à celle d'historien de l'inquisition? Mais on m'en fait tant à la fin que je vais devenir l'ignorant et le sot d'Italie, et que je devrai en conclusion faire semblant de l'être.

<< Cher père Vincent, je ne m'oppose pas à mettre sur le papier mes sentiments sur ce que vous demandez...

Cette lettre vous suffira, parce que je ne me sens point porté à écrire un livre sur mon procès et sur l'inquisition, n'étant pas né pour faire le théologien, encore moins l'auteur criminaliste. J'avais dès ma jeunesse étudié et médité pour publier un dialogue sur les deux systèmes de Ptolémée et de Copernic. A ce sujet, dès les premiers temps où je professai à Padoue, j'avais continuellement observé et philosophé, poussé surtout par une idée qui me survint d'expliquer par les mouvements supposés de la terre le flux et le reflux de la mer. Quelque chose à ce propos me sortit de la bouche quand daigna venir m'entendre à Padoue le prince Gustave de Suède qui, en sa jeunesse, voyageant incognito en Italie, s'arrêta plusieurs fois avec sa suite dans cette université. J'eus le bonheur de lui présenter mes hommages grâce aux spéculations nouvelles et aux curieux problèmes que je proposais et résolvais journellement; il voulut aussi apprendre de moi la langue toscane. Mais ce qui fit connaître à Rome mes opinions sur le mouvement de la terre, ce fut un assez long discours adressé au très excellent cardinal Orsini : je fus alors accusé d'être un écrivain présomptueux et téméraire. Après avoir publié mes « Dialogues » je fus appelé à Rome par la congrégation du Saint-Office; j'y arrivai le 10 février 1633 et je fus soumis à la suprême clémence de ce tribunal et du souverain pontife Urbain VIII, qui néanmoins me croyait digne de son estime, bien que je ne fusse point habile à tourner l'épigramme et le petit sonnet amoureux. Je fus enfermé dans le délicieux palais de la Trinité des Monts. Le lendemain (de mon incarcération) je reçus la visite du P. commissaire Lancio qui, m'ayant pris avec lui en voiture, me fit en chemin diverses questions et montra du zèle pour m'engager à ré

parer le scandale que j'avais produit dans toute l'Italie en soutenant l'opinion du mouvement de la terre, et j'avais beau lui exposer de solides raisons et les mathématiques, il me répondait que terra autem in æternum stabit, quia terra in æternum stat, comme dit l'Écriture. En conversant ainsi, nous arrivâmes au palais du Saint-Office. Ce palais est situé à l'est de la magnifique église de SaintPierre. Je fus présenté aussitôt par le commissaire à monseigneur Vitrici, assesseur et je trouvai auprès de lui deux moines dominicains. Ils m'enjoignirent civilement de produire mes raisons en pleine congrégation, ajoutant qu'on prêterait l'oreille à ma disculpation en cas que je fusse trouvé coupable. Le jeudi suivant (1), je fus présenté à la congrégation, et là, m'étant escrimé pour fournir mes preuves, j'eus le malheur de n'être pas compris et je m'évertuai longtemps sans me faire entendre. On parvenait avec des digressions de zèle à me convaincre du scandale, et le passage de l'Écriture était toujours invoqué comme l'Achille de mon délit. M'étant rappelé à temps un passage de l'Écriture, je l'alléguai, mais avec peu de succès. Je disais que dans la Bible, il me semblait trouver des expressions qui se conformaient à ce qu'on croyait autrefois sur les sciences astronomiques, et que de telle nature pouvait être le passage qu'on citait contre moi. En effet, ajoutai-je, il est dit dans Job, XXXVII, 18, que les cieux sont fermes et polis comme un miroir de cuivre ou de bronze. Elihu est celui qui dit

(1) Il giovedì dopo fui presentato alla congregazione; ed ivi accintomi alle prove, per mia disgrazia non furono queste intese, e per quanto mi affaticassi non ebbi mai l'abilità di capacitare. Si veniva con digressioni di zelo a convincermi dello scandalo, e il passo della Scrittura era sempre allegato per l'Achille del mio delitto.

T. II.

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cela. On voit donc bien qu'il parle d'après le système de Ptolémée démontré absurde par la philosophie moderne et par ce qu'a de plus solide la droite raison. Si donc on fait tant de cas de l'arrêt du soleil produit par Josué, pour démontrer que le soleil remue, il faudra aussi prendre en considération le passage où il est dit que le ciel est composé de beaucoup de cieux disposés en miroir. La conséquence me semblait juste, bien qu'elle eût toujours été négligée, et je n'eus pour réponse (1) qu'un haussement d'épaules, échappatoire ordinaire de ceux qui sont persuadés par des préjugés et des opinions préconçues. Enfin je fus obligé de rétracter mon opinion comme vrai catholique et, en punition, l'on prohiba mon Dialogue. Après cinq mois, on me congédia de Rome (au moment où Florence était infestée par la peste), et on me destina pour prison, avec une pitié généreuse, l'habitation du plus cher ami que j'eusse à Sienne, monseigneur l'archevêque Piccolomini. J'ai joui de sa très aimable compagnie avec tant de calme et de contentement dans l'âme, que reprenant chez lui mes études je trouvai et démontrai une grande partie des conclusions mécaniques sur la résistance des solides, avec d'autres spéculations. Après cinq mois environ, la peste ayant cessé dans ma patrie, Sa Sainteté a daigné commuer l'étroitesse de cette maison en la liberté de la campagne qui m'est si chère : si bien que je m'en retournai à la villa de Bellosguardo et depuis à Arcetri où je me trouve encore, heureux de respirer cet air sain près de ma chère patrie Florence. Portez-vous bien. >>

(1) ... e non ebbi per risposta che un'alzata di spalle, solito rifugio di chi è persuaso per pregiudizio e per anticipata opinione.

Toute la vie de Galilée est dans cette lettre historique. Il n'y manque qu'un point essentiel. Le plus grand homme de l'Italie alors vivante ne fut pas livré, comme on l'a dit, à la torture, mais, âgé de soixante-dix ans, il dut signer de sa main et répéter mot à mot, à genoux devant les Éminences, la formule d'abjuration. Galilée eut tort, le père Lancio et monsignor Vitrici eurent raison; l'immobilité de la terre fut décrétée. La terre a beaucoup tourné depuis lors: e pur si muove.

III.

Naples était en Espagne et, par conséquent, plus indépendante de Rome que d'autres pays italiens. L'inquisition n'y régnait point: c'est le peuple qui n'en voulait pas et qui l'avait repoussée violemment par une émeute. Telesio, ce philosophe calabrais, ce précurseur de Bacon qui l'appela le premier des modernes, put librement professer à Naples et secouer le joug d'Aristote; s'il se retira sur le tard à Cosenza, ce ne fut pas de force, et il mourut dans son lit à soixante-dix-neuf ans (1509-1588). Ce fut encore à Naples que vécut longuement (1540-1615) le physicien Della Porta, qui eut des caprices et des lubies, chercha des secrets inutiles à la médecine et aux sciences, mais qui découvrit la chambre obscure et composa quatre volumes de comédies, les meilleures peut-être (ce n'est pas beaucoup dire) de ce temps-là. De Naples encore ou des provinces napolitaines (de la Terre d'Otrante) était le philosophe Vanini (1584-1619), qui défendit Aristote et tomba, dit-on, dans l'athéisme; celui-ci finit mal, mais non dans son pays : il alla se faire brûler à Toulouse. La

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