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de la philosophie l'a été davantage; c'est dans le genre judiciaire qu'elle a d'abord fait sentir utilement son pouvoir, en mettant plus de conformité entre le sérieux des objets et les formes du style, et en soulevant, bientôt 'après, l'opinion publique contre des abus qu'il est toujours permis de séparer d'une autorité toujours respectable en elle-même. C'est vers les premières années de Louis XV qu'il se forma comme une génération de bons avocats, qui, en s'éloignant des routes battues, s'en frayèrent de nouvelles, et firent du langage du barreau celui de la raison, dégagée du pédantisme des déclamations scolastiques et de la rouille de la chicane. C'est à ce titre que la renommée nous a transmis les noms des Reverseaux, des Degennes, et surtout d'un Lenormand et d'un Cochin. Nous savons qu'ils étaient, de leur temps, l'ornement et la lumière du barreau français, et que la lecture de leurs mémoires est encore une des études de leurs successeurs. Ils y trouvent une excellente discussion et une diction saine. Cochin particulièrement a le mérite le plus rare peut-être dans un avocat, celui d'aller toujours au fait, et d'être précis et serré dans l'exposé de ses preuves, toutes rattachées à une première proposition de fait ou de principe, qu'il conduit ainsi jusqu'à l'évidence. Donnez-lui, ainsi qu'à Lenormand, des mouvements, des tableaux et de l'imagination dans le style, ce seront des orateurs; mais ce ne sont en

core que de bons avocats. Ce n'est pourtant pas la seule raison qui fait que leurs écrits ne sont guère lus que de ceux qui suivent la même carrière : telle est la nature du gouvernement monarchique et des mœurs qui en dépendent, que les modèles d'éloquence judiciaire, fussent-ils même au point d'atteindre ceux de la Grèce et de Rome, ne sortiraient guère de la classe des lecteurs qui s'occupent des mêmes études. D'abord il est constant que l'intérêt des causes privées, quelque bruit qu'elles fassent un moment, ne s'étend pas au-delà de la durée du procès ensuite nous voyons qu'il n'y a qu'une classe de citoyens intéressés à l'éloquence du barreau, ceux qui le suivent par état. Chez les Grecs et les Romains, tous les états pouvaient également figurer dans les actions juridiques; d'où il arrivait que la lecture des plaidoyers pouvait être utile et familière à tout le monde. Quant à nous, qui avons d'ailleurs tant de choses à lire, quel charme de talent ne faudrait-il pas pour nous faire lire des mémoires écrits il y a cinquante ans, lorsque personne ne se souvient pas même des causes qui en étaient le sujet? Chez les anciens, les causes étaient souvent des évènements liés à la chose publique, et que dès lors on n'oubliait pas. Or, pour suppléer parmi nous à cet intérêt qui manque aux lecteurs, il faudrait les prendre au moins par celui de leur plaisir, et il faudrait pour cela une réunion fort rare, celle du talent d'orateur

et de celui d'écrivain : ce sont deux choses différentes; et ce qui le prouve, c'est que l'un se trouve assez souvent sans l'autre dans ceux qui parlent en public. Si le talent d'écrire est le plus essentiel pour perpétuer la gloire et les ouvrages, le talent de parler est réellement le plus utile à l'avocat et à ses clients. C'était aussi celui de presque tous ces hommes qui ont brillé dans le barreau; et c'est ce qui explique pourquoi leurs écrits nous paraissent au-dessous de leur célébrité, sans que pour cela nous soyons en droit de démentir le témoignage unanime de leurs contemporains. L'habitude de tirer parti de tous les moyens extérieurs dans des plaidoiries qu'ils n'écrivaient même pas, le jeu de la figure et les effets de la voix, la véhémence ou la noblesse dans l'action, la présence d'esprit dans les répliques, le regard, le geste, tout cela est nul sur le papier, mais puissant à l'audience. Il y a plus : tel homme ne peut s'animer que devant un auditoire, et devient froid la plume à la main. N'en avons-nous pas eu sous les yeux un exemple frappant dans le plus célèbre avocat de nos jours? Qui de nous n'a pas été témoin de tout ce que pouvait Gerbier dans la salle du Palais, qui fut si souvent le champ de ses victoires? Mais tout son génie était dans son ame, et cette ame ne l'inspirait que dans le combat de la plaidoirie. Il fallait que ses sens fussent émus pour qu'il trouvât lui-même de quoi émouvoir les autres. Il avait

besoin d'action et de spectacle, de l'appareil des tribunaux, de la présence de ses adversaires et de ses clients, de l'aspect et de la voix du public assemblé. C'est alors qu'il étonnait par ses ressources, qu'il avait tour à tour de la chaleur et de la dignité, de l'imagination et du pathétique, du raisonnement et du mouvement; qu'avec quelques lignes tracées sur un papier pour lui rappeler au besoin les points principaux, il se fiait d'ailleurs à l'éloquence du moment, qui ne le trompait jamais, et que, pendant des heures entières il attachait et entraînait les juges et l'assemblée. La nature l'avait donc fait orateur: son organe, sa physionomie et sa sensibilité, lui en donnaient les moyens; mais seul, et réduit à la composition, ce n'était plus qu'un homme ordinaire; son feu s'éteignait, ses forces l'abandonnaient. Aussi s'était-il peu appliqué à écrire, soit que, naturellement un peu paresseux, il redoutât le travail, soit qu'il se sentît incapable de se retrouver dans le cabinet tel qu'il était en public. Il écrivit peu, jamais de mauvais goût, mais jamais avec effet, plus heureux peut-être par les succès nombreux et brillants dont il a joui, que' s'il eût possédé, au lieu de ces qualités oratoires éteintes avec lui, ce grand talent d'écrire qui ne meurt pas, il est vrai, mais qui n'est guère apprécié à sa valeur que quand on ne peut plus en jouir.

La postérité honorera toujours dans le chan

celier d'Aguesseau un homme qui lui-même honora la France, la magistrature et les lettres par ses vertus, ses talents, ses connaissances aussi étendues que variées, les services qu'il rendit à l'état, et les lumières qu'il porta dans la jurisprudence. Sa jeunesse fut illustre sous Louis XIV; et sa disgrace sous la régence le fut autant que son élévation. On pardonna quelques faiblesses politiques en faveur de son amour pour le bien; et sa vieillesse, qui le conduisit jusqu'au milieu de ce siècle, fut justement respectée. Ses écrits seront toujours une source d'instruction pour ceux qui se destinent à l'étude des lois. Son éloquence fut celle d'un magistrat qui est l'interprète de l'équité, qui recommande les bons principes, montre les abus, prescrit la modération, et en donne l'exemple. Sa diction est pure, et son goût aussi sain que son jugement: on y reconnaît un écrivain formé à l'école des classiques anciens et modernes.

A mesure que l'on avance vers le temps présent, l'éloquence du barreau devient plus substantielle en s'approchant quelquefois des questions de droit public et de jurisprudence universelle. On aperçoit ce progrès philosophique dans quelques Mémoires de Loiseau, d'Élie de Beaumont, de Target, qui ont eu à traiter des causes (1) où la

(1) Celles de M. de Portes, des Calas, de Beresford, etc.

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