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prendre sa voisine pour la conduire à la table de whist, et le jeune homme s'insinua lestement derrière le fauteuil inoccupé. Il y était à peine installé qu'il entendit Thérèse l'interpeller à voix basse : -Je vous en prie, murmurait-elle, ne restez pas près de moi! Elle parlait d'une voix brève, suppliante et nerveuse.

--

Pourquoi? demanda le jeune Maugars, que s'est-il passé?

Je ne puis vous le dire, mais, pour Dieu, éloignez-vous, partez! Étienne, stupéfait et inquiet, n'osa pas insister. Il obéit et quitta la fenêtre. L'entretien n'avait duré qu'une minute; il n'avait pas cependant été assez rapide pour échapper à l'attention des demoiselles de Boisseguin; en relevant la tête pour surveiller la retraite précipitée du jeune homme, Thérèse vit les yeux des trois sœurs braqués sur elle, et surprit sur leurs lèvres de méchans sourires. Pendant que ces choses se passaient dans le salon, le président Sourdeval avait emmené le docteur Desroches dans une pièce voisine. Quand ils eurent gagné une encoignure: - Ah çà, dit le président, après s'être prudemment assuré que personne ne pouvait l'entendre, tu es donc toujours incorrigible?

Ой

Le docteur regarda son vieil ami d'un air impassible: - Où Veux-tu en venir?

-A ceci tu t'occupes trop de politique, tu fais de l'opposition au gouvernement, et on le sait en haut lieu.

M. Desroches croisa ses bras: Que m'importe? répondit-il, je suis indépendant, et mes convictions m'appartiennent.

-Aie des convictions si tu veux, mais ne les manifeste pas trop ouvertement, il pourrait t'en cuire.

Je ne crains rien.

-Tu as tort... La préfecture à l'œil sur toi, et tu es signalé comme entretenant des relations avec les députés montagnards de la Haute-Vienne et de la Creuse.

Après?

- Prends garde, Desroches, tu t'attaques à plus fort que toi... On parle d'un coup d'état, et si le président met l'assemblée à la porte...

Le docteur fit un geste d'incrédulité.

Tout est possible, continua M. Sourdeval en baissant la voix, je te confie cela entre nous : il y a quelque chose dans l'air, et, si l'assemblée est dissoute par un coup de force, je suis persuadé qu'on ne ménagera pas les jacobins de ton espèce... Tu es mal noté et tu seras l'une des premières victimes.

-Sourdeval, répliqua l'autre de son ton flegmatique, je ferai mon devoir de citoyen, advienne que pourra!

A ton aise! moi, j'ai fait mon devoir d'ami en te prévenant... Un bon averti en vaut deux... Rentrons, on nous remarquerait, et je

n'ai pas envie de me compromettre pour un entêté comme toi. Ils retournèrent dans le salon où les tables de jeu venaient de se garnir. Celle du vingt-et-un s'était surtout recrutée parmi les jeunes gens. Deux ou trois dames, au nombre desquelles Mme Maugars, s'étaient mêlées à la jeunesse et présidaient au jeu. Étienne se trouvait placé entre sa mère et l'une des demoiselles de Boisseguin; en face se tenait Thérèse Desroches, encadrée par le substitut et le secrétaire de la sous-préfecture. Une énorme lampe carcel placée au centre de la table éclairait doucement les têtes jeunes ou mûrissantes, masculines ou féminines, qui tantôt se penchaient pour relever leurs cartes rapidement distribuées par le banquier, et tantôt se redressaient pour essayer de deviner le jeu de leurs voisins en étudiant leurs physionomies.

Le vingt-et-un a cela de bon qu'il n'exige pas une attention bien soutenue; les causeurs peuvent s'y donner carrière tout en ramassant ou en abattant leurs cartes. Aussi une vive animation régnat-elle bientôt autour de la table ronde. Les conversations se croisaient, se nouaient et se dénouaient, coupées par des éclats de rire, par les questions du banquier, par les exclamations des perdans ou des gagnans.

Je demande une carte... Entendez-vous le vent dans les arbres?.. Quel temps!

Oui, l'hiver commence de bonne heure... Carte!.. Adieu les promenades à travers champs.

Ceci était lancé par Mlle de Boisseguin aînée, avec une œillade maligne à l'adresse de Thérèse Desroches, qui parut ne pas comprendre.

- Savez-vous, mesdames, dit le contrôleur des contributions d'un ton de connaisseur, que nous possédons en ce moment un artiste à Saint-Clémentin?

Vraiment? - Et tous les yeux se fixèrent sur Étienne qui ne sourcilla pas. Mme Maugars, elle, était sur les épines.

Oui, poursuivit innocemment le contrôleur, nous avons depuis huit jours un artiste en daguerréotype qui est descendu au Chêne vert... Ses portraits sont très réussis...

-Nous le connaissons, dit à son tour Mlle Césarine de Boisseguin, maman a le projet de nous faire daguerréotyper.

Quoi, mademoiselle, vous vous risquez? demanda la directrice des postes, on prétend que le daguerréotype n'avantage pas les dames.

Bah! reprit Césarine, en regardant Thérèse, au petit bonheur!.. Nous autres, nous n'avons pas la chance de trouver un peintre qui fasse notre portrait!

Thérèse commençait à être agacée de ces sourdes insinuations.

Un moment, elle avait paru se résigner; mais elle n'était ni par son âge ni par son caractère portée à la patience. Elle releva tout à coup la tête et sembla résolue à faire face à l'ennemi. Ses yeux noirs étincelèrent et répondirent par un regard de défi aux œillades ironiques des trois sœurs, dont l'attitude agressive devenait de plus en plus évidente.

Mme Maugars, qui se sentait mal à l'aise, changea le cours de la conversation et parla d'une prise d'habit qui avait eu lieu récemment au couvent des bénédictines.

- Je comprends qu'on prenne le voile, dit Césarine de Boisseguin d'un air sentimental; moi, si je quittais le monde, j'aimerais à choisir l'ordre le plus rigide, je voudrais être carmélite... Et vous, mademoiselle Desroches?

Moi, mademoiselle?.. Je n'ai pas d'opinion là-dessus... Je n'aime pas les couvens.

A cette réponse, les dames se regardèrent avec des mines scandalisées.

- Mlle Desroches a bien raison! s'écria vivement Étienne. Césarine reprit d'une voix moqueuse : Mlle Thérèse a peu de goût pour le cloître, elle préfère la liberté et les promenades en plein air.

Que voulez-vous, mademoiselle? riposta Thérèse, tout le monde n'a pas la vocation du célibat.

La réponse touchait en plein cœur Mlle de Boisseguin cadette, qui avait déjà manqué deux ou trois mariages. Elle devint rouge comme une pivoine. C'était à son tour de faire la banque. Elle rassembla d'une main nerveuse les deux paquets de cartes, les battit avec fureur, et, abandonnant le jeu ordinaire du vingt-et-un, offrit deux cartes à chaque joueur en les accompagnant de la question sacramentelle : - Sympathie ou antipathie? — Le ponte gagnait ou perdait suivant que sa réponse était en concordance ou en désaccord avec les figures des cartes retournées. Quand Césarine en parcourant le cercle arriva à Mlle Desroches, elle la toisa de son regard le plus impertinent et lui demanda d'un air impérieux : Sympathie ou antipathie ?

Il y eut un moment de silence pendant lequel on entendit la pluie fouetter les vitres. Les autres joueurs, émus de l'accent provocateur de Mile de Boisseguin, se regardaient avec un certain embarras. Thérèse Desroches soutint vaillamment le coup d'œil de son adversaire Antipathie! répondit-elle d'une voix vibrante.

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Sa physionomie et son accent ne laissaient aucun doute sur le sens qu'elle donnait à sa réponse. C'était de bonne guerre, et elle eut pour elle toute la partie masculine de la table de jeu. Quelques jeunes gens même dissimulèrent mal un sourire derrière leurs

n'ai pas envie de me compromettre pour un entêté comme toi. Ils retournèrent dans le salon où les tables de jeu venaient de se garnir. Celle du vingt-et-un s'était surtout recrutée parmi les jeunes gens. Deux ou trois dames, au nombre desquelles Mme Maugars, s'étaient mêlées à la jeunesse et présidaient au jeu. Étienne se trouvait placé entre sa mère et l'une des demoiselles de Boisseguin; en face se tenait Thérèse Desroches, encadrée par le substitut et le secrétaire de la sous-préfecture. Une énorme lampe carcel placée au centre de la table éclairait doucement les têtes jeunes ou mûrissantes, masculines ou féminines, qui tantôt se penchaient pour relever leurs cartes rapidement distribuées par le banquier, et tantôt se redressaient pour essayer de deviner le jeu de leurs voisins en étudiant leurs physionomies.

Le vingt-et-un a cela de bon qu'il n'exige pas une attention bien soutenue; les causeurs peuvent s'y donner carrière tout en ramassant ou en abattant leurs cartes. Aussi une vive animation régnat-elle bientôt autour de la table ronde. Les conversations se croisaient, se nouaient et se dénouaient, coupées par des éclats de rire, par les questions du banquier, par les exclamations des perdans ou des gagnans.

Je demande une carte... Entendez-vous le vent dans les arbres?.. Quel temps!

Oui, l'hiver commence de bonne heure... Carte!.. Adieu les promenades à travers champs.

Ceci était lancé par Mile de Boisseguin aînée, avec une œillade maligne à l'adresse de Thérèse Desroches, qui parut ne pas comprendre.

Savez-vous, mesdames, dit le contrôleur des contributions d'un ton de connaisseur, que nous possédons en ce moment un artiste à Saint-Clémentin?

Vraiment?

Et tous les yeux se fixèrent sur Étienne qui ne sourcilla pas. Mme Maugars, elle, était sur les épines.

Oui, poursuivit innocemment le contrôleur, nous avons depuis huit jours un artiste en daguerréotype qui est descendu au Chêne vert... Ses portraits sont très réussis...

Nous le connaissons, dit à son tour Me Césarine de Boisseguin, maman a le projet de nous faire daguerréotyper.

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Quoi, mademoiselle, vous vous risquez? demanda la directrice des postes, on prétend que le daguerréotype n'avantage pas les dames.

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Bah! reprit Césarine, en regardant Thérèse, au petit bonheur!.. Nous autres, nous n'avons pas la chance de trouver un peintre qui fasse notre portrait!

Thérèse commençait à être agacée de ces sourdes insinuations.

Un moment, elle avait paru se résigner; mais elle n'était ni par son âge ni par son caractère portée à la patience. Elle releva tout à coup la tête et sembla résolue à faire face à l'ennemi. Ses yeux noirs étincelèrent et répondirent par un regard de défi aux œillades ironiques des trois sœurs, dont l'attitude agressive devenait de plus en plus évidente.

Mine Maugars, qui se sentait mal à l'aise, changea le cours de la conversation et parla d'une prise d'habit qui avait eu lieu récemment au couvent des bénédictines.

- Je comprends qu'on prenne le voile, dit Césarine de Boisseguin d'un air sentimental; moi, si je quittais le monde, j'aimerais à choisir l'ordre le plus rigide, je voudrais être carmélite... Et vous, mademoiselle Desroches?

Moi, mademoiselle?.. Je n'ai pas d'opinion là-dessus... Je n'aime pas les couvens.

A cette réponse, les dames se regardèrent avec des mines scandalisées.

Mile Desroches a bien raison! s'écria vivement Étienne. Césarine reprit d'une voix moqueuse : - Mlle Thérèse a peu de goût pour le cloître, elle préfère la liberté et les promenades en plein air.

Que voulez-vous, mademoiselle? riposta Thérèse, tout le monde n'a pas la vocation du célibat.

La réponse touchait en plein cœur Mlle de Boisseguin cadette, qui avait déjà manqué deux ou trois mariages. Elle devint rouge comme une pivoine. C'était à son tour de faire la banque. Elle rassembla d'une main nerveuse les deux paquets de cartes, les battit avec fureur, et, abandonnant le jeu ordinaire du vingt-et-un, offrit deux cartes à chaque joueur en les accompagnant de la question sacramentelle : Sympathie ou antipathie? - Le ponte gagnait ou perdait suivant que sa réponse était en concordance ou en désaccord avec les figures des cartes retournées. Quand Césarine en parcourant le cercle arriva à Mile Desroches, elle la toisa de son regard le plus impertinent et lui demanda d'un air impérieux : Sympathie ou antipathie ?

Il y eut un moment de silence pendant lequel on entendit la pluie fouetter les vitres. Les autres joueurs, émus de l'accent provocateur de Mile de Boisseguin, se regardaient avec un certain embarras. Thérèse Desroches soutint vaillamment le coup d'œil de son adversaire : Antipathie! répondit-elle d'une voix vibrante.

Sa physionomie et son accent ne laissaient aucun doute sur le sens qu'elle donnait à sa réponse. C'était de bonne guerre, et elle eut pour elle toute la partie masculine de la table de jeu. Quelques jeunes gens même dissimulèrent mal un sourire derrière leurs

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