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construction fut éminemment vicieuse, elle s'appuya sur des principes absurdes et immoraux ; mais elle fut si solide qu'aujourd'hui encore elle passe pour inébranlable.

Le signal de ce grand changement fut donné par Jehuda le saint, qui, vers la fin du 2o siècle de notre ère, entreprit d'écrire les traditions dans le livre intitulé Misna. Un siècle après parut la Gemara. Ces deux ouvrages réunis forment le Talmud; ils parurent à Jérusalem. Trois siècles plus tard, on sentit la nécessité d'écrire un nouveau recueil de traditions; car les décisions des rabbins continuaient à se succéder et à usurper chacune à leur tour l'autorité de la loi écrite. On rédigea donc à Babylone un second Talmud. Si l'on examine avec quelque soin ces deux compilations, on trouve que l'esprit de haine contre les non-juifs et le délire d'imagination des rabbins ont augmenté à proportion que le christianisme faisait plus de progrès. Ainsi, le judaïsme paraît plus outré dans la Gemara de Jérusalem que dans la Misna, et l'on n'aperçoit plus aucune modération, aucune trace de bon sens dans la Gemara de Babylone. Cependant le Talmud babylonien est le plus répandu parmi les juifs, ou plutôt c'est le seul qui soit étudié et cité par eux. Ils cherchent à justifier cette préférence, en accusant d'obscurité le Talmud de Jérusalem; mais la véritable raison, c'est que les traditions se renouvelant sans interruption, les dernières devaient être réputées les meilleures. Le crédit du Talmud babylonien est donc naturel, quoique très-funeste.

Cette compilation immense est divisée en six ordres et en soixante-sept livres ou traités; accrue par des additions postérieures à sa rédaction, elle remplit douze énormes volumes in-folio. Tel est au moins le nombre des volumes de l'édition publiée à Venise, en 1520, par Daniel BOMBERG. C'est sur cette édition non censurée, et sur celle de Cracovie (1602-5, 7 vol. in-fol.), où les passages retranchés par ordre des papes ont été rétablis, que M. l'abbé CHIARINI se propose de travailler.

Expliquons le plan arrêté par cet orientaliste aussi savant que courageux.

Traduire le Talmud, c'est-à-dire l'ouvrage le plus obscur,

le plus diffus, le plus incohérent que l'on puisse imaginer, ouvrage qui n'est pas écrit en hébreu, mais dans une langue faite exprès, et qui est composée d'hébreu, de chaldéen, de syriaque, de persan, d'arabe, de grec, de latin...; traduire, dis-je, le Talmud me paraissait une tâche suffisante pour remplir la vie d'un homme. Aussi ai-je été grandement surpris, lorsque j'ai appris que M. Chiarini, au lieu de borner ses efforts à l'achèvement de sa version, entreprenait une foule d'écrits qu'il me paraît bien difficile qu'il puisse terminer, même en tenant compte du travail des deux coopérateurs qu'avec beaucoup de raison il a cru devoir se donner.

La traduction du Talmud doit être précédée par la publication d'un livre intitulé: Théorie du judaïsme, appliquée à la réforme des juifs de tous les pays de l'Europe, et qui paraîtra à la fois en français, en allemand et en polonais. Dans cet écrit seront exposés les motifs qui ont porté les traducteurs à entreprendre leur version du Talmud.

Le premier traducteur, que je suppose ètre M. Chiarini, dans un des mémoires manuscrits qu'il nous a envoyés, rend compte des études par lesquelles il a fait précéder la traduction du premier volume. Il nous apprend que cette partie de l'entreprise étant achevée, au lieu de poursuivre la traduction des onze autres volumes, il s'est tout à coup arrêté pour composer une Théorie du judaïsme, appliquée à la réforme des israélites du royaume de Pologne; ouvrage très considérable, et qui semble rentrer tellement dans le plan de celui que j'ai cité plus haut, que je suis porté à croire que ces deux écrits, malgré la diversité de leurs titres, n'en forment qu'un seul. La solution de ce doute ne se trouve pas dans les mémoires que j'ai sous les yeux.

Le second traducteur ne s'est pas non plus exclusivement occupé de la version entreprise. Je le vois travailler à un extrait de tous les proverbes, sentences et maximes morales qui se trouvent dans le Talmud, afin de composer un catéchisme destiné à l'instruction de la jeunesse israélite. Ce même traducteur prépare, ea outre, un écrit dans lequel il discutera

les diverses opinions émises sur le Talmud, et appréciera le mérite ou le danger des doctrines talmudiques, d'après la tendance et l'influence de ces doctrines.

Enfin, le troisième traducteur, chargé de consulter les commentaires et les différens extraits du Talmud, pour en tirer les matériaux qui doivent entrer dans les notes de la version, vient d'achever un rituel de pratiques et de coutumes religieuses des Juifs d'aujourd'hui.

Si tous ces écrits sont conformes à l'analyse que M. Chiarini en présente, il faut reconnaître qu'ils sont enfantés par un esprit vraiment philosophique, et qu'une profonde science resplendit en eux; mais peut-on néanmoins ne pas être surpris de voir trois personnes réunies pour traduire le Talmud, s'occuper de travaux qui ne sont pas précisément nécessaires à une version de ce recueil immense? A peine entrés dans la carrière, leur faut-il déjà des délassemens? Je redoute cette disposition de l'esprit qui porte à reculer sans cesse les bornes d'un sujet, parce qu'elle me semble exclusive des qualités nécessaires pour mener à son terme une vaste entreprise.

Je m'arrête peu sur ces doutes, qui ne sont peut-être que des préventions, et je pose la question suivante: Quels sont les avantages qui peuvent résulter d'une traduction française du Talmud?

Faciliter à un peuple la lecture et l'étude de ses livres sacrés est généralement une chose si féconde en bons résultats, qu'on doit la regarder comme une obligation imposée soit aux ministres du culte, soit aux gouvernemens, soit aux simples particuliers que leurs lumières élèvent au-dessus de leurs concitoyens. Mais si ces livres sacrés, au lieu de n'offrir qu'un heureux développement des principes de la morale, altéraient au contraire ces principes; s'ils bouleversaient les dogmes fondamentaux de lareligion; s'ils étaient de nature à troubler les consciences, à aigrir les esprits, à affaiblir même le sentiment religieux; si, enfin, ils n'avaient acquis le caractère sacré qu'à l'aide d'une coupable usurpation, devrait-on travailler à les répandre? Devrait-on renverser les obstacles qui peuvent

contrarier leurs succès? Je ne le pense pas. Choisissez dans ces livres ce qu'il y a de moins mauvais, jetez un voile épais sur le reste, et vous aurez fait ce que la raison me semble conseiller.

M. Chiarini veut traduire le Talmud dans la langue la plus répandue de l'Europe; or, voici ce qu'il pense du Talmud: Son génie malfaisant, dit-il, porte des coups funestes et invisibles au genre humain du milieu des ténèbres épaisses qui l'environnent. Qui pourrait calculer combien il a contribué et contribue encore à multiplier les malheurs qui affligent la terre ? etc... Voilà le livre qu'il veut faire passer dans la langue universelle. Disons mieux: voilà le poison qu'il veut faire circuler. Je croyais qu'il était reconnu depuis bien des siècles qu'on ne pouvait réformer le judaïsme qu'en ruinant le Talmud et en élevant sur ses débris la Bible aujourd'hui si dédaignée. Telle fut au moins la pensée du grand MAÏMONIDES, et de cette école des rabbins anti-traditionnaires, qui chercha avec une si louable persévérance à épurer le judaïsme en simplifiant le Talmud; elle ne put réussir, mais nous n'en devons pas moins reconnaître la sagesse des idées qui l'animaient. Je suis loin de penser que ce soit une chose facile que de ravir aux juifs le livre qui les a faits ce qu'ils sont, qui les a réunis quand la Providence les dispersait, et dont le tems a consolidé le pouvoir; mais, ce qui est très-aisé, c'est de ne point lui donner un surcroît de publicité, de ue pas le rendre plus clair, plus usuel, de ne pas le livrer aux idiots comme aux savans. On ne peut rien arracher par la force à un peuple aussi obstiné que le peuple juif. Si donc on veut le dégoûter du Talmud, il faut laisser dans l'obscurité ce livre dangereux, se garder de l'offrir à la discussion et à la critique des chrétiens, et attendre sans impatience le moment où un philosophe sage et prudent comme MENDELSOHN viendra décider ses coreligionnaires à reporter leurs études sur les livres de Moïse. Si l'on commence la réforme du judaïsine par la discussion du Talmud, on n'aura fait qu'ouvrir une carrière illimitée à toutes les divagations de l'esprit judaïque. En citant Mendelsohn, j'ai rappelé le nom du plus beau génie qu'ait produit Israël depuis

Maimonides; eh bien! parcourez tous les écrits de ce sage, et dites si jamais il a recommandé je ne dis pas la traduction du Talmud, mais seulement l'étude de ce livre. L'auteur du Phelon connaissait trop bien sa nation, il respectait trop la raison humaine, pour commettre une telle faute.

Je dois, au reste, rendre justice à M. Chiarini, et reconnaître que, quand il a conçu le projet de traduire le Talmud, il songeait moins à le répandre parmi les juifs, qu'à le faire connaître aux chrétiens, espérant que ces derniers acquerraient par cette traduction les moyens de confondre la mauvaise foi des rabbins, de faire sentir à tous les juifs l'énormité de leurs erreurs, et par conséquent d'écraser le talmudisme. Cette idée me paraît si extraordinaire que je crois devoir rapporter les propres paroles du professeur: « Que l'on rapproche, dit-il, par une version du Talmud les lois et les rites barbares, les maximes haineuses et fanatiques, les contradictions palpables, les propos fabuleux, les ergotismes et les jeux de mots et de lettres qui constituent le canevas et la broderie de ce même livre; qu'on le rapproche, dis-je, de nos lois, de nos mœurs et de nos lumières, et l'état de notre civilisation et nos discussions produiront insensiblement la réforme désirée; car la raison des juifs, quelque limitée qu'on veuille la supposer sous ce point de vue, ne pourra point manquer de désavouer des principes et des préjugés dont elle sera contrainte de rougir aux yeux du monde entier. La synagogue ne pourra plus crier à l'imposture et à la calomnie, lorsqu'une version du Talmud aura démontré enfin que la tendance de ses doctrines est plus pernicieuse encore que nous ne pouvons le faire voir ici. >>

Ainsi donc les juifs respecteront le Talmud, tant qu'il sera écrit en mauvais hébreu : si demain on le traduit en bon fran

çais, ils l'abandonneront. Comment peut-on se prêter à de semblables illusions? Les chrétiens ont écrit et répété contre le Talmud tout ce qu'il était possible de dire. Les juifs ne s'en sont pas émus; il fut un tems où il était de mode d'établir des controverses publiques entre les chrétiens et les juifs. M. Chiarini

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