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Cazalès soutint ensuite que la proposition était de nature à ébranler les principes constitutifs de la monarchie; que l'envahissement de la puissance exécutive par le pouvoir législatif conduisait droit à un despotisme intolérable ; qu'il n'y avait point d'exemple, dans l'histoire, d'un ministre renvoyé sur le vœu d'un parlement; que, lors de la grande lutte entre Charles Ier et les communes d'Angleterre, cellesci, qui osèrent presque tout, et même tuer le roi, n'osèrent pas lui forcer la main dans le choix de ses conseillers ; que, si l'on voulait renverser les ministres, il fallait au moins articuler contre eux des accusations précises, toute accusation vague étant unc invention de tyran ; que, si c'était à la royauté qu'on visait, les vrais amis de la monarchie savaient ce qui, dans ce cas, leur restait à faire se ranger autour du trône et s'ensevelir sous ses ruines1.

Le débat fut vif, mais les paroles de Cazalès s'étaient imprimées dans les âmes en traits de feu. Dans la séance du 20 octobre, la proposition de Beaumets, qui demandait en faveur de Montmorin, ministre des affaires étrangères, une exception sympathique, fut favorablement accueillie par plusieurs membres, et la motion de Menou, qui concluait au renvoi des ministres, fut rejetée, à la majorité de 405 voix contre 540 2.

Huit jours après, le comte de la Luzerne, ministre de la marine, donnait sa démission. Il fut remplacé par Fleurieu.

La Luzerne passait pour avoir le goût des lettres; on lui attribuait une traduction de la Retraite des Dix mille, de Xénophon; mais il ne possédait aucune des qualités ni des connaissances que son poste exigeait. En outre, on l'accusait d'avoir administré Saint-Domingue, dont il avait été gouverneur pendant deux ans, avec beaucoup de dureté, d'arbitraire et d'insolence.

Sa retraite ne fit qu'encourager les clubs à désirer davan

1 Moniteur, séance du 19 octobre 1790.

2 Séance du 20 octobre 1790.

Règne de Louis XVI, t. IV, S 11.

tage. Le 10 novembre, Bailly, après deux refus, se vit forcé de conduire à la barre de l'Assemblée une députation chargée de présenter, au nom des quarante-huit sections, une adresse qui requérait l'expulsion des ministres, et l'organisation d'une haute cour nationale pour les juger. Cette adresse fut lue par le redoutable Danton 1. Le président répondit d'une manière vague; mais la démarche se trouva si décisive, qu'elle entraîna presque immédiatement la dislocation du ministère. Le 16, la Tour-du-Pin céda la direction de la guerre à Duportail, et, le 20, Champion de Cicé remit les sceaux à Duport-du-Tertre; de sorte qu'il ne restait plus, de l'ancien cabinet, que Saint-Priest à l'intérieur, et Montmorin aux affaires étrangères 2. Pour ce qui est du trésor public, c'était l'Assemblée, on l'a vu, qui en avait pris la direction, et Necker n'avait d'autre successeur que le premier commis Dufresne 3.

Le maintien de Saint-Priest fut le seul regret mêlé à l'expression de la joie publique. Contre Champion de Cicć, archevêque de Bordeaux, les griefs étaient nombreux; on lui reprochait d'avoir frauduleusement retardé la publication de certains décrets révolutionnaires, d'avoir altéré le texte de plusieurs autres, d'avoir choisi pour commissaires du roi des hommes ouvertement hostiles au régime nouveau, et, entre autres, ce Boucher d'Argis que Marat avait su rendre si odieux à la capitale sa chute fut donc saluée par un long cri d'allégresse, et chacun répéta cette belle parole d'un membre de l'Assemblée : Que la loi reste, et que M. le garde des sceaux passe 3. On ne fut pas non plus sans se réjouir de la retraite de la Tour-du-Pin, contre qui le sang des soldats de Châteauvieux criait vengeance.

Aussi bien, les nouveaux ministres éveillaient dans tous les cœurs un sentiment de patriotique espoir. Fleurieu

1 Moniteur, séance du 10 novembre 1790.

2 Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. VIII, p. 145.

Ibid.

4 Discours de Danton, dans la séance du 10 novembre 1790. 5 Règne de Louis XVI, t. II, § 6.

s'était adonné d'une manière spéciale à l'étude du gouvernement des mers, et si ses convictions politiques n'avaient pas jeté un grand éclat, au moins pouvait-on compter qu'à la tête du département de la marine, il déploierait les connaissances requises 1.

Duportail, qui commandait les troupes de Normandie quand on l'appela au ministère de la guerre, avait combattu avec distinction pour l'indépendance de l'Amérique. Son premier acte fut d'assembler les commis du bureau de la guerre et de leur dire : « J'aime la Révolution. Mes principes, d'accord avec mon devoir, me portent à la soutenir avec autant de persévérance que de courage, et je vous déclare que, si tous ceux qui travaillent sous mes ordres ne sont pas animés du même zèle, ils peuvent se retirer 2.»

Quant à Duport du Tertre, dont Mirabeau caractérisait l'avènement en ces termes : « Voilà donc Duport du Tertre aux sceaux, c'est-à-dire M. Cassandre au lieu de Crispin, la vérité est que sa présence aux affaires excita une sorte d'enthousiasme qui déconcerta jusqu'aux défiances de Marat. C'était un homme fort simple, fort modeste, d'une fortune bornée, d'unc droiture reconnue. Avocat d'abord, puis substitut du procureur de la commune, il lui était arrivé, bonheur rare dans un temps où l'opinion se montrait si ombrageuse, d'exercer des fonctions de police sans donner lieu à une seule plainte. Il habitait un quatrième étage. Quelqu'un lui ayant dit : «Je croyais que vous demeuriez au troisième, il répondit: « J'occupe l'appartement au-dessus de mon tailleur1. » Sa modestie et son intégrité charmèrent. Le conseil général de la commune de Paris venait de nommer, pour l'aller complimenter, unc députation composée de quatre membres de la municipalité et de huit notables, lorsqu'on l'annonça lui-même. Il entra au milieu des applau

1 Règne de Louis XVI, t. II, § 6.

2 lbid.

*Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, t. II,

p. 347.

4 Règne de Louis XVI, t. II, § 6.

dissements, et prononça, en remettant son écharpe de substitut, des paroles si touchantes, que sur la motion de Cahier de Gerville, il fut embrassé par tous les assistants 1.

La Révolution et le pouvoir allaient-ils donc faire alliance? Allait-on assister enfin à ce noble spectacle de l'ordre dans la liberté? Hélas! non. Car la société était en gestation de son avenir; et si l'anarchic inséparable de ces sortes de labcurs vous scandalise, demandez donc à la nature pourquoi il lui a plu d'associer la douleur au sublime effort de l'enfantement! Bientôt, bientôt, sur cette scène de la Révolution, devenue plus orageuse que jamais, Saint-Just apparaîtra, et, à la lucur des éclairs, au bruit de la foudre, il dira ce mot profond L'homme pleure en naissant!

1 Règne de Louis XVI, t. II, § 6.

CHAPITRE V.

LES CLUBS.

Le club des Jacobins.

glement. français.

cette liste.

Son personnel des premières heures. Son rèSes principes. — L'Augustine. Les Impartiaux.- Le Club Schisme dans la société des Jacobins. Le club de 89; son faste. Liste des Jacobins à la fin de 1790; remarquable composition de Le duc de Chartres aux Jacobins ; sa vie jacobine racontée par lui-même. Collot d'Herbois aux Jacobins. Définition du vrai jacobin. La théorie de la délation. - Club des Cordeliers; son origine; sa physionomie. Langage grave du club des Jacobins dans ses manifestes; ses rapports avec les sociétés affiliées. Les Jacobins de Lons-le-Saulnier. - Journal des Jacobins confié à Laclos. Attaques contre le club des Jacobins; sa popularité croissante. Des clubs partout. Club dans une écuric. Jean Bart. Lutte entre le club des Jacobins et le Cercle social. Fermeture du club monarchique. Conclusion.

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Au-dessus de cette agitation immense flottaient, comme autant de navires sur un océan furieux, les clubs, et, en première ligne, celui des Jacobins.

Dans notre Versailles d'aujourd'hui, dans cette ville de la solitude et du silence, on montre aux étrangers, comme une merveille des âges éteints, un édifice appelé, depuis Louis XIV, le Reposoir 1. C'est un temple, un temple protestant, c'est-à-dire consacré à la prédication de ce culte austère, qui commença par être une révolte. Oh! si quelque puissant mortel, doué du don de prophétic, eût pénétré dans ce lieu sombre, vers la fin de 1789, avant les fatidi

1 Renseignement donné par un habitant de Versailles, bibliothécaire de la ville.

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