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émcute de fantômes. Un jour que d'Éprémesnil épuisait en faveur d'une institution désormais devenue impossible les élans de sa convulsiye éloquence, Lavie avait dit à l'Assemblée, qui murmurait : « Laissez-le, laissez-le discourir; ces deux heures perdues à l'entendre sont le dernier mal que nous feront les parlements1; » et ces mots, pleins d'une compassion moqueuse, exprimaient bien le sentiment public.

Mais arriva-t-il jamais aux priviléges de mourir de bonne grâce? La cour de Douai déclara n'enregistrer le décret de suppression qu'en cédant à l'empire de la force. A Grenoble, le procureur général du roi se présenta plusieurs fois au palais, sans y rencontrer personne. A Toulouse, les magistrats, plus hardis, protestèrent... et en quels termes! Ils disaient, dans leur arrêté, que les membres de l'Assemblée nationale avaient, en touchant à la Constitution, violé leur mandat; ils enveloppaient dans leur querelle le clergé, dépouillé de ses biens, et la noblesse, dépouillée de ses droits; ils montraient la religion dégradée ; ils annonçaient au peuple que le nouvel ordre judiciaire lui allait apporter, pour prix de sa bienvenue, une aggravation d'impôts.....

C'était un appel en forme à la guerre civile, et dans un moment où il semblait que partout on la sentît frémir. Le roi dénonça lui-même l'arrêté aux représentants du peuple ; « acte de délire! dit dédaigneusement Robespierre. L'assemblée peut déclarer aux membres de l'ancien parlement de Toulouse qu'elle leur permet de continuer à être de mauvais citoyens3; » et, quelques jours après, comme conclusion à un discours d'une sévérité terrible, M. de Broglic, nommé rapportcur de cette affaire, demanda que les magistrats rebelles fussent traduits devant le tribunal qui allait être institué pour juger les crimes de lèsc-nation. Un scul membre du côté droit, un scul, osa y contredire. C'était Madier 4.

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4 Bertrand de Moleville, Annales de la révolution, t. III, ch. xxxi.

Mais les coupables avaient maint complice caché dans l'ombre du trône. Saint-Priest, chargé, en sa qualité de ministre de l'intérieur, de l'exécution de la sentence, se contenta de la notifier, par simple lettre d'envoi, à la municipalité de Toulouse, sachant à merveille que l'autorité municipale, outre qu'elle se trouvait désarmée, n'avait point à remplir les fonctions du pouvoir exécutif. Fort embarrassés, ceux de la commune de Toulouse prirent le parti de mander les dix magistrats composant l'ancienne chambre des vacations du parlement, et leur firent signer une déclaration ainsi conçue: « Je, soussigné, prends, sur l'honneur, l'engagement de me représenter, dès que j'en serai requis, et, en conséquence, si je m'absente, soit pour aller à ma maison de campagne ou ailleurs, j'en demanderai la permission à la municipalité 1. » Or, quelques jours s'étaient à peine écoulés, que les signataires avaient pris la fuite, d'où la proclamation suivante que publia la munici palité de Toulouse, indignée :

« Nous prions nos voisins et tous les Français jaloux de concourir à la punition de la perfidic, de nous prêter soins et secours pour l'arrestation des sieurs Bardi, Durègne, Cussac, Montégut, Firmi, la Font-Roms, Ségla, Descalone, Rey, Cambron, et du sieur Rességuier, procureur général. Nous sommes convaincus que tous les gens d'honneur sc feront une loi de repousser ignominicusement de leur société et d'abandonner à leur turpitude ceux de ces hommes déshonorés qui n'auraient pas commencé d'expier leur crime par la représentation de leurs personnes, ainsi qu'ils s'y étaient engagés cnvers nous 2... »

Toutes ces résistances, toutes ces agitations, tous ces désordres, réagissaient violemment sur Paris, qui, en les concentrant, leur donnait une portée menaçante : soudain,

1 Règne de Louis XVI, t. II, § 6.

2 Ibid., L'ultra-royaliste Bertrand de Moleville s'est bien gardé de compléter par ce curieux épisode l'histoire des résistances parlementaires, dont il ne parle qu'avec admiration. Voyez son récit dans les Annales de la Révolution, t. III, ch. xxxi.

l'on annonce que de noirs mystères vont être mis au jour ; que la longue procédure du Châtelet, relative à l'attentat des journées d'octobre, va être soumise au jugement souverain de l'opinion. Les royalistes assurent que Mirabeau est compromis sans retour; ils jurent que le duc d'Orléans est perdu; déjà leurs ressentiments grondent au pied de la tribunc, et sur le front de l'abbé Maury brille une joie farouche. Il vint enfin ce rapport, si impatiemment attendu. Mais quelle ne fut point la furcur des royalistes, lorsque, au lieu de s'attaquer aux machinateurs prétendus de l'invasion de Versailles, Chabroud présenta cette invasion comme un coup nécessaire frappé sur les ennemis de la Révolution par le peuple, inspiré; lorsqu'il rappela, pour les flétrir, les complots de la Cour, le trop fameux repas des gardes du corps, le projet sacrilége de conduire le roi à Metz et d'allumer là, au milieu des janissaires de Bouillé, triomphant, la torche par qui devait être le royaume embrasé! Ah! sans doute, il y avait cu conspiration, en octobre : cette conspiration, les courtisans l'avaient ourdic, et le peuple l'avait déjouée! « Les malheurs d'octobre! s'écriait Chabroud en terminant, nous les livrerons à l'histoire, pour l'instruction des races futures : le tableau fidèle qu'elle en conservera, fournira unc utile leçon aux rois, aux courtisans et aux peuples 1. »

Chabroud avait dit: Nos collègues ne sont point coupables : Maury, qui sentait sa proie lui échapper, se leva, plein de rage. Il aurait bien voulu faire croire que, dans son cœur, le mépris émoussait, amortissait la haine, et il le déclara en termes formels; mais cette haine, elle enflammait son visage, elle étincelait dans son regard, elle altérait sa voix, elle précipitait son geste. Il fit avec une complaisance sinistre le compte des morts dont le sang avait souillé le marbre du palais des rois, et montra la fille de Marie-Thérèse s'évadant en chemise, à six heures du matin, pour aller attendre

1 Le rapport de Chabroud, présenté le 20 septembre 1790, occupa deux séances. Voy. le Moniteur d'alors.

auprès de son mari que les assassins vinssent l'immoler. Le complot, dont des têtes portées au bout de piques sanglantes avaient annoncé à Paris l'épouvantable succès, ce complot a digne d'avoir été tramé au fond des enfers 1, » à quel démon était-il imputable? Par une tactiquc aussi habile qu'imprévue, Maury mit hors de cause Mirabeau : il espérait accabler d'autant mieux le duc d'Orléans, en faisant ainsi la solitude autour de ce qu'il appelait ses crimes. Rien d'ailleurs n'empêchait de reprendre plus tard la question de complicité, et, comme Ferrières l'observe, « la Cour cette partie de la Cour pour qui le marché du tribun à la conscience vendue restait un secret était bien sûre, si l'instruction continuait, de faire rentrer Mirabeau dans la procédure, au moyen de nouveaux témoins ou du récolement de ceux qui avaient déjà déposé 2. »

Soit dignité, soit embarras, le duc s'était abstenu de paraître à la séance ; mais Mirabeau n'avait eu garde d'y manquer. Il se leva, calme cette fois, et quoique trop orgueilleux pour accepter dans cette affaire un autre rôle que celui d'accusateur, il discuta longuement les diverses charges que l'instruction du Châtelet avait rassemblées contre lui. Puis, comme honteux de s'être défendu : « Le secret de cette infernale procédure, dit-il la main étendue vers le côté droit, il est là tout entier; il est dans l'intérêt de ceux dont le témoignage et les calomnies en ont formé le tissu ; il est dans les ressources qu'elle a fournies aux ennemis de la Révolution; il est... il est dans le cœur des juges, et tel qu'il sera bientôt buriné dans l'histoire par la plus juste, par la plus implacable vengeance'. »

A ces mots, Mirabeau descend de la tribune, au bruit d'applaudissements qui l'accompagnent jusqu'à sa place et

1 Discours de Maury, prononcé dans la séance du 20 octobre 1790. 2 Mémoires de Ferrières, t. II, liv. VIII, p. 165. Collection Berville et Barrière.

5 Règne de Louis XVI, t. II, § 1.

Mémoires de Ferrières, t. III, liv. VIII, p. 181.

se prolongent longtemps après qu'il s'y est assis 1. Consternés, les nobles et les évêques gardaient un silence morne. « Dès que la produre du Châtelet a paru, s'écria Barnave, elle a été jugée. » Il demanda que cette procédure fût enterrée dans le mépris public, rendit hommage au patriotisme du duc d'Orléans, et tout fut dit.

2

Le lendemain, quand le duc se rendit à l'Assemblée, il y fut reçu avec enthousiasme. Les calomnies dont il avait été l'objet lui comptaient comme vertus. De fait, qui plus que lui fut en butte aux mensonges des partis ? N'avait-on point prétendu, par exemple, que, dans son impatience d'être élu maire de Paris, il avait emprunté dix-huit millions en Hollande pour acheter les suffrages? Et cependant lorsque, au mois d'août, sa candidature avait été opposée à celle de Bailly, il s'était trouvé n'avoir que douze voix ! De même, lorsque, antérieurement à cette époque, il avait concouru pour la place de commandant du bataillon de Saint-Roch, c'était un simple boucher qui l'avait emporté sur lui 3! « Jamais, écrivait à ce propos Camille Desmoulins, on ne vit une si grande cherté de suffrages. Philippe d'Orléans n'a pu acheter que douze voix avec ses dix-huit millions, et Bailly en a eu douze mille. Il y a des gens qui ont tout expliqué en disant l'heureux Bailly : c'est une belle chose que ce qu'on appelle une étoile 4. »

:

Le rapport de Chabroud et le vote qui en fut la suite désolèrent, sans les décourager, les ennemis du duc d'Orléans à lui la responsabilité de l'anarchie, qui lui promettait une couronne à usurper ! A lui l'exécrable honneur de traîner sur ses pas, avilies par son or, les passions de la multitude! Car les royalistes affectaient de croire impossible, à moins qu'on ne l'expliquât par une vénalité dégradante, le général ébranlement imprimé aux esprits, et ils avaient fort applaudi Dupont de Nemours, lorsque, dans

1 Mémoires de Ferrières, t. III, liv. VIII, p. 481.

2 Règne de Louis XVI, t. II, § 4.

3 Ibid.

4 Révolutions de France et de Brabant, no 33.

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