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ces lois d'airain sans lesquelles la science de s'entre-tuer sur une grande échelle n'existerait point parmi les hommes; il est bien vrai qu'elle avait conservé, comme peines afflictives, les coups de corde au cabestan, la cale, la bouline, les galères, la mort..., mais du moins elle avait cherché à adoucir la rigueur de certains de ces châtiments, ainsi qu'il se peut voir dans les dispositions suivantes : « Le matelot condamné à courir la bouline ne pourra être frappé que pendant quatre courses par trente hommes au plus. En donnant la cale, on ne pourra plonger plus de trois fois dans l'eau l'homme condamné. »

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Les délits, du reste, et les peines correspondantes avaient été soigneusement définis d'avance pour simple fait de désobéissance en matière de service, douze coups de corde au cabestan; pour désobéissance accompagnée de menaces, la cale; pour un geste violent à l'adresse d'un officier, les galères; pour un coup donné à l'officier, la mort.

Hâtons-nous d'ajouter que la sévérité de la loi, dans certains cas prévus, n'atteignait pas les seuls matelots. « Tout officier, était-il dit dans un article du nouveau code, tout officier coupable d'avoir abandonné son poste pendant le combat sera déclaré infâme. » Et un autre article portait : «Le commandant de vaisseau qui ferait amener son pavillon lorsqu'il serait encore en état de le défendre, subira la peine de mort. Il ne doit quitter son vaisseau que le dernier. >>

Quant aux peines de pure discipline, elles devaient désormais consister, pour le matelot coupable, à être privé de vin pendant un espace de temps qui ne pouvait excéder trois jours; à rester à cheval sur une barre de cabestan pendant une période qui, par jour, ne pouvait excéder deux heures; à porter des fers avec un petit anneau au pied; à en porter avec un anneau et une chaîne traînante 1.

A peine ce nouveau code eut-il été adopté par l'Assemblée, qu'Albert de Rioms, commandant de l'escadre de

1 Pour plus amples détails, voyez Anecdotes du règne de Louis XVI, t. IV, $11, p. 261-270, 1791.

Brest, s'empressa de répandre une circulaire où il disait : « Les anciennes lois pénales étaient en général vagues et indéterminées, ce qui jetait les chefs dans un arbitraire dont nous devons tous nous applaudir d'être débarrassés. Souvent elles étaient trop sévères pour qu'on ne répugnat pas à leur exécution. La loi nouvelle n'a pas ce double inconvénient. Les châtiments qu'elle inflige sont si bien proportionnés aux fautes et aux crimes, qu'un chef ne pcut plus, sans se rendre véritablement coupable, se dispenser de les faire subir aux délinquants... L'établissement d'un jury prévient les condamnations précipitées qui, rendues dans la chaleur du premier moment, laissaient quelquefois des regrets à ceux qui les avaient prononcées, etc., etc... 3.

Tout cela était incontestable, et cependant la lecture du nouveau code pénal éveilla dans le cœur du matelot des colères inattendues. La Révolution était venue donner aux plus obscurs citoyens un sentiment si vif de la dignité humaine, que les marins de Brest se révoltèrent à la seule idée d'avoir à porter au pied, s'ils devenaient coupables, un anneau et une chaîne traînante. Qu'on leur fit subir dans toute sa rigueur le supplice de la cale; que leur sang ruissclât sous les coups de corde; qu'on leur envoyât dans la poitrine les balles qui y font entrer la mort... à la bonne heure! Mais avoir à traîner une chaîne semblable à celle des galériens; mais se sentir attachés à un anneau infamant... ah! c'était trop. Saisis de furcur, ils se mutinent, se précipitent dans des chaloupes, et vont frapper à la porte des municipaux de Brest, demandant justice. De son côté, Albert de Rioms écrivait à la municipalité : « Ce ne sont point de véritables marins, ceux qui, au mépris des lois militaires, malgré leurs officiers, malgré leur général, se sont permis d'enlever les chaloupes de presque tous les vaisseaux de l'escadre, et sont allés réclamer devant vous

1 Pour plus amples détails, voyez Ancçdotes du règne de Louis XVI, t. IV, p. 273 et 274.

contre la sévérité des peines décrétées par l'Assemblée nationale... Ils n'ont de marins que le nom. » Les autorités civiles de Brest furent fort effrayées. Où s'arrêterait la sédition? ct, si on ne la réprimait pas, comment la fléchir ?

L'Assemblée dut intervenir en grande hâtc. Elle déclara qu'en créant la peine de l'anneau et de la petite chaîne, elle avait cu pour unique objet de substituer à la peine douloureuse et malsaine des fers sur le pont et du retranchement du vin pendant une longue suite de jours, unc peine douce, légère, et qui, rangée dans la catégoric des punitions de discipline, ne pouvait être regardée comme infamante, ni faire supposer aucune similitude entre l'honorable classe des matelots français et de vils criminels 1.

Cette déclaration, faite solennellement, ramena un pcu de calme à la surface des choses; mais il restait au fond des esprits un bouillonnement sourd... Albert de Rioms passait pour un aristocrate; Marat, Camille Desmoulins, Fréron, ne cessaient depuis quelque temps de le dénoncer, de le poursuivre, et son nom figurait dans ces correspondances sccrètes où Paris enseignait la haine aux provinces, « correspondances funestes, dit Necker, qui, aussi rapides en leurs effets que la baguette de Médée, apaisaient et ranimaient les furies 2. » Albert de Rioms était donc suspect.

Sur ces entrefaites, arrive le Léopard, vaisseau qui, parti de Saint-Domingue, amenait en France plusieurs planteurs forcés de fuir cette colonic. Elle se trouvait alors en proie à des dissensions dont nous présenterons plus loin le tableau, et où les planteurs du Léopard n'avaient point joué, comme on le verra, un rôle qui leur méritât le titre de martyrs de la liberté. Mais ils venaient de loin, ils n'avaient point de contradicteurs; un voile épais couvrait encore, aux yeux de tous, les événements de Saint-Domingue, et il était facile aux nouveaux débarqués de mettre le mensonge à la place de la vérité. Aussi ne manquèrentils pas de se donner pour des patriotes persécutés. A les

1 Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. VII, p. 218.
2 Sur l'administration de M. Necker, par lui-même, p. 426.

entendre, c'était le pur amour de la Révolution qui leur avait valu la haine du gouverncur Peynier; l'assembléc coloniale, dont ils étaient membres, avait été insultée par les ennemis de la liberté; cux, ses défenseurs, ils avaient dû faire voile pour la mère patrie, et, chose horrible! Ic gouverneur, au moment de leur départ, se préparait à tirer à boulets rouges sur le vaisseau qui les emportait 1. Là-dessus, grands transports de pitié, de sympathie, d'admiration. Les équipages prennent feu; lc nom emphatique de sauveur de la nation est donné au Léopard; les troupes de la marine, municipaux en tête, vont au-devant des quatre-vingttrois proscrits, leur offrent dans ce qu'elle a de plus affectucux l'hospitalité de la table et du foyer, leur assurent les premières places à la comédie 2. Ce n'était encore là que le soulèvement, très-pacifique après tout, de l'enthousiasme trompé : vint le soulèvement, moins inoffensif, de l'indignation. Le hasard fit qu'on intercepta une lettre dans laquelle de la Jaille, qui commandait l'Engageante à la station de Saint-Domingue, écrivait à Marigny, major général de la marine à Brest, qu'avec six vaisseaux de ligne il se chargeait de soumettre la colonie. Il n'en fallut pas davantage : les matclots, comme pris subitement de vertige, descendent à terre et se promènent par la ville, qu'ils remplissent de clameurs séditieuses. Ils portaient, ils montraient le décret de l'Assemblée, avec cet écriteau au bas Plus de chaîne! Ils entourèrent la maison de Marigny et, devant la porte, dressèrent une potence 3.

Aussitôt Albert de Rioms écrivit au ministre de la marine de la Luzerne, pour demander que sans retard on envoyât à Brest une commission composée de membres de l'Assemblée nationale. Inquiète, mais moins inquiète encore qu'irritée, l'Assemblée, par un décret qu'appuya Barnave,

1 Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. VII, p. 219.

2 Gazette universelle, no 296.

Ibid., p. 297.

Extrait d'une lettre d'Albert de Rioms, luc par Curt, dans la séance du 20 septembre 1790.

pria le roi d'ordonner le châtiment des fauteurs de la révolte, le désarmement du Léopard, et l'envoi à Brest de deux commissaires civils 1. L'incendie s'éteignit; mais, quinze jours après, trop sûr que son pouvoir, si violemment ébranlé, ne se raffermirait plus, Albert de Rioms abandonna son commandement

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Autre épisode de l'anarchic: les parlements, auxquels personne ne pensait plus, les parlements, qu'on croyait morts et qui l'étaient, se redressèrent tout à coup, comme des cadavres qu'aurait galvanisés une invisible puissance. Il y avait déjà près d'un an qu'ils avaient été mis en vacances ; et depuis, des tribunaux provisoires, dont les juges furent pris parmi les avocats, avaient été établis en plusieurs provinces; depuis, l'Assemblée avait illustré son passage sur la scène de l'histoire par une organisation toute nouvelle de la justice '; depuis, il avait été pourvu à la liquidation des offices de judicature, laquelle, y compris celle des offices de greffiers, notaires, procureurs, et des offices de chancellerie, ne s'élevait pas à moins de quatre cent cinquante millions! Lors donc que, le 6 septembre 1790, l'Assemblée nationale décréta la suppression définitive, perpétuelle, irrévocable, des parlements, des chambres des comptes, des cours des aides, des requêtes du palais, des présidiaux, des juridictions prévôtales, elle ne faisait que régulariser une destruction consommée déjà; elle ne tuait point l'ancienne magistrature, elle scellait seulement la pierre du tombeau.

Aussi l'étonnement fut-il extrême et mêlé de raillerie quand on vit quelques-unes de ces cours, autrefois si redoutables, faire mine de résister cela ressemblait à une

1 Décret du 20 septembre 1790.

:

Bertrand de Moleville, Annales de la Révolution française, t. III, chap. xxx.

5 Le 3 novembre 1789. Voyez dans le troisième volume de cet ouvrage le chapitre intitulé: Guerre de la bourgeoisie aux parlements.

Voyez dans le quatrième volume de cet ouvrage le chapitre intitulé: Organisation de la justice.

5 Règne de Louis XVI, t. II, § 6.

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