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«Pendant ce temps-là, les marchandises à l'usage du peuple, et surtout le pain, qui est la marchandise la plus générale et la plus utile, se vendront le double, et il se fera de bons coups, aux dépens des citoyens...

"Voilà ce dont un VÉRITABLE AMI DU PEUPLE se croit cn conscience obligé de l'avertir 1. >>

Sophismes que tout cela, et qui nous ramènent à ce que nous avons eu déjà occasion de dire, en exposant le système de Law. Eh! certainement, il ne faut pas confondre la richesse avec les écus ou le papier qui la représentent.: tous les écus et tous les billets du monde, nous le savons bien, ne feraient point pousser un épi sur un roc infertile ou dans une plaine de sable... mais s'ensuit-il que, dans tous les cas, on n'aboutit, en doublant la monnaie, qu'à rendre deux fois plus chers les objets à acquérir? S'ensuit-il que, même là où la circulation est arrêtée, absolument arrêtée, par l'insuffisance des signes d'échange, il n'y a aucun avantage à augmenter la quantité de ces signes, attendu que c'est perdre par l'avilissement ce qu'on gagne sur le nombre? Sophisme, encore un coup, sophisme! Et s'il n'y en eut jamais de plus spécieux, jamais peut-être n'y en cut-il de plus fatal. Sans doute, il importerait peu que la monnaie fût abondante ou rare, si elle ne scrvait qu'à REPRÉSENTER des subsistances, des étoffes, des bois de construction, des pierres à bâtir, le capital enfin. Mais ce capital, la monnaie sert à le RÉPANDRE, par la circulation, à la manière du sang qui fait courir la vie dans nos veines. Un navire qu'on laisscrait pourrir dans un chantier serait-il une richesse? Si vous voulez qu'il fasse partie du capital national, avisez à le charger, et qu'on le lance à la mer. Mais, pour cela, une série d'échanges est nécessaire, et quel en est l'instrument? La monnaie. Elle influe donc sur la richesse, qu'elle met en mouvement et qui n'est féconde qu'à la condition d'être active, et c'est dans ce sens que Law disait : « Une augmentation de monnaie ajoute à la valeur d'un pays. »

1 Ce pamphlet se trouve inséré en entier dans la Gazelle universelle,

C'est qu'en effet la monnaie n'est pas sculement le SIGNE REPRÉSENTATIF DES VALEURS, elle est aussi, elle est surtout l'INSTRUMENT DES ÉCHANGES; et toutes les fois que, pour le nombre des échanges à opérer, la QUANTITÉ des instruments indispensables n'est pas suffisante, comment n'y aurait-il pas souffrance, torpcur, paralysie? Qu'arriverait-il dans un pays qui ne connaîtrait pas l'usage des billets de banque et dont tout le numéraire sc trouverait réduit à un seul écu? Cet écu aurait beau valoir, par convention, la totalité de ceux qu'il aurait remplacés; valût-il un milliard, les échanges n'en seraient pas moins impossibles; il faudrait donc le diviser à l'extrême: image frappante qui montre combien, dans la théorie des monnaies, on doit tenir compte de la question de QUANTITÉ! Il est bien vrai que la surabondance de la monnaic en entraîne la dépréciation; mais non tout d'un coup, non dans une proportion mathématique ; et quand ce n'est point par l'effet de quelque mesure violente et brusque que le numéraire excède les besoins, tout ce qui en résulte, c'est que l'excédant se trouve annulé progressivement par une insensible dépréciation des espèces, sans qu'il y ait eu agonie dans le travail. Tout autres sont les conséquences de la rareté de la monnaie! Là où règne ce fléau, la société, si elle n'appartenait pas à la tyrannie de l'usure, appartiendrait à la mort.

Au reste, même en admettant que, toujours, d'une manière soudaine, exacte, mathématique, l'avilissement de la monnaie se proportionne à son accroissement, crreur sur laquelle reposait la brochure citée plus haut, qu'aurait dû en conclure l'auteur? Que le peuple ne gagnerait rien à une émission d'assignats: voilà tout; mais par quelle monstrueuse contradiction osait-il prétendre que le peuple y perdrait? Qu'importe que votre pain, que votre vin vous. coûtent le double, si vous avez deux fois plus de monnaie pour les acheter?

Quoi qu'il en soit, le pamphlet fit sensation. Quoi! le pain allait être à vingt sous? Quoi! on allait être réduit à payer scize sous une bouteille de mauvais vin? Quoi! à

moins d'avoir douze livres à donner pour une paire de souliers, les pauvres gens marcheraient pieds nus? Les faubourgs se sentirent saisis d'une vague terreur, les nobles et les prêtres triomphaient : Barnave, oubliant qu'on nc mérite pas de jouir de la liberté quand on la refuse à ses adversaires, Barnave courut dénoncer à l'Assemblée la brochurc, et son auteur, encore inconnu. On la lut, du haut de la tribune; mais qui l'avait écrite? « Moi,» cria d'une voix ferme Dupont de Nemours. Et la droite d'éclater en applaudissements. L'ordre du jour fut tout ce que la gauche demanda contre l'auteur; mais aux nobles il fallait unc victoire ils la votèrent 1.

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Pendant ce temps, courbé sur l'étude du problème qui agitait les esprits, et comme retiré dans ses méditations, Mirabeau se préparait à frapper un coup décisif. Quelle joic dans une partie de la salle, et dans l'autre quelle consternation, quand, le 17 septembre, on le vit paraître à la tribune, sûr de sa force, portant sans effort le poids de ses pensées et souriant d'avance à son triomphe! Ni la joie ni la consternation ne s'étaient trompées. Il souffla une âme aux chiffres, il les rendit vivants; il fit oublier l'aridité du sujet par la vivacité du tour et le pittoresque de l'expression; il pulvérisa toutes les objections, et prenant corps à corps, l'un après l'autre, Necker, Talleyrand, Dupont de Nemours, il les terrassa bien véritablement et leur mit le genou sur la poitrine. Jamais il ne s'était montré plus pressant, plus vigoureux, plus superbe.

Pourquoi cette guerre folle aux assignats, suprême néces sité de l'heure présente, négation héroïque de la banqueroute, salut de la Révolution, coup d'État du peuple? Ah! si, par papier-monnaie, on entendait de vains chiffons ne répondant à aucune valeur réelle, arrière le papier-monnaie, et qu'on se hâtât de bannir de la langue cc mot infâme; car un papier qui n'a pas de gage est une peste circulante. Mais s'agissait-il donc de cela? Est-ce que la question n'était pas de faire

1 Moniteur, séance du 10 décembre 1790.

circuler des arpents de terre sous la forme d'un billet, de substituer à des terres qui dormaient des terres douécs de mouvement et de vie? Est-ce que les biens du clergé n'étaient pas là pour servir de garantic aux assignats? Et quelle garantic fut jamais d'un prix plus certain, d'un plus sérieux caractère? Que sont, après tout, considérés dans les objets auxquels ils sont propres, l'or et l'argent? Des métaux de luxe dont l'homme ne saurait tirer parti pour ses vrais besoins. Mais la terre est le bien par excellence, la richesse des richesses, la source de toutes les productions, la mère des métaux cux-mêmes. Et la pièce d'or ou d'argent, qui représente des objets d'une utilité secondaire, vaudrait plus que l'assignat, lorsqu'il représente le premier des biens! Et le signe figuratif de la chose produite aurait plus de solidité que le signe figuratif de la chose productrice! Les assignats, disait-on, ne représenteraient que les domaines. nationaux ! Fort bien; mais les domaines nationaux, c'était le sol, et le sol représente tout. On affectait de craindre que ce qui restait encore de numéraire ne disparût, attendu que le papier chasse l'argent : ce qui chasse l'argent, c'est le mauvais papier, parce que les écus hésitent à s'échanger contre lui; le bon papier les attire, au contraire. Necker avait longuement gémi sur l'absence du signe des échanges, même après l'émission des assignats de première création ; et de la plainte qu'avaient exhaléc les marchands, les manufacturiers, les artisans, les consommateurs, il s'était hâté de conclure à l'inefficacité du remède proposé : plaisante conclusion! Comme si, avant l'emploi de ce remède, tant calomnié, les marchands, les manufacturiers, les artisans, les consommateurs, n'étaient pas aux abois! Et comme si l'insuffisance des instruments d'échange pouvait provenir de ce qu'on les avait multipliés! Ce qui était vrai, plutôt, c'est que la première émission n'avait pas eu lieu sur une assez vaste échelle; ce qui était vrai, c'est que le service des premiers assignats émis n'avait pas été assez divisé, assez général, puisqu'il fallait changer un assignat de deux cents livres quand on avait besoin d'une somme moindre.

Que ne se décidait-on à être logique; à étendre le bienfait, au lieu de le resserrer; à le faire descendre jusqu'aux dernières couches de la société; à le mettre au service des petites consommations journalières? Et qu'on n'allát pas s'imaginer que les grandes consommations en souffriraient! Certaines gens tremblaient quc la monnaic nouvelle ne se portât jusqu'aux derniers rameaux de la circulation et ne sc subdivisât comme ces caux qui, sortant de l'Océan, n'y retournent qu'après s'être transformées successivement en vapeurs, en pluie et en rivières crrcur! Il y aurait toujours les gros et les petits échanges. La subdivision était nécessaire pour atteindre la main-d'œuvre, satisfaire aux menues dépenses, aux modestes salaires; mais en matière de grosses ventes, de dépôts, de transports de meubles, les déplacements ne se pouvaient opérer que par grandes masses, et c'était à grands flots que la monnaie continúcrait de rouler dans la haute circulation commerciale.

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Comparant ensuite les assignats, dont le gage était précis, déterminé, palpable, aux papiers de la plupart des gouvernements étrangers, lesquels reposaient sur des hypothèques toutes morales, sur un vague espoir de stabilité, Mirabeau s'écriait : « J'aimerais mieux avoir une hypothèque sur un jardin que sur un royaume. » En réponse à ceux qui affirmaient que les assignats ne feraient point reparaître le numéraire, il disait : « On est tout aussi fondé à soutenir que les assignats sont inutiles parce qu'ils ne feront point reparaître les espèces, que nous aurions été fondés, durant la disette, a rejeter le riz, parce qu'il ne faisait pas revenir du blé. »

Dupont de Nemours, lui aussi, reçut son coup de massue. « L'auteur, dit Mirabeau d'un ton moqueur, cite l'exemple de l'Angleterre, où le numéraire surpasse de beaucoup le nôtre Aussi, assure-t-il, les souliers y coûlent douze livres. J'aurais beaucoup à dire sur ces souliers de douze livres, espèce de chaussures qui apparemment ont la propriété particulière de coûter douze livres à Londres, et ensuite à raison du transport, des droits d'assurance et d'entrée, de

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