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tard, son agonic ministérielle 1. Si, pour payer les farines et les bestiaux nécessaires à la subsistance de Paris, si, pour salarier la multitude des ouvriers que les travaux de charité donnaient à nourrir, il s'étudiait à rassembler du numéraire, ce soin de sa part était décrié sous le nom d'accaparement. Ce même numéraire était-il expédié de Paris par les trésoriers de la guerre et de la marine, afin de servir de fonds soit aux ouvrages du port de Brest, soit au payement des troupes, on l'accusait de pousser à l'émigration de l'argeht. S'il défendait les droits des créanciers du comte d'Artois, quoi de plus clair? il était le complice caché de ce prince. S'il ne pouvait remettre à point nommé les comptes qu'on lui demandait, c'est qu'il voulait dissimuler mainte déprédation. Enfin, les achats de blés dans les pays étrangers, on les représentait tantôt comme la cause de la cherté, tantôt comme l'exécution d'un plan criminel de monopolc.

Pour comble de malheur, Necker en était venu à avoir contre lui l'Assemblée. Une fois éclairée sur l'impuissance financière d'un ministre dont elle avait d'abord acclamé le génie sauveur, elle s'empara par ses comités de l'administration directe des finances et prétendit faire de Necker un commis obéissant. Humilié, celui-ci affecta d'imprimer plus de gravité encore à son maintien; il fit des représentations; il donna des conseils; il parla aux dominateurs du jour un langage où la flatterie n'avait point de part. Mais, comme on le jugcait inutile, on refusa de l'accepter morose et arrogant 2.

D'un autre côté, la cour le haïssait d'une haine profonde, et quant au roi... Mais qu'importait que le roi l'aimât

ou non?

Sous le poids de cette situation, le découragement le gagna, et à trois reprises, de distance en distance, il prévint l'Assemblée de sa retraite prochaine, alléguant le mauvais état de sa santé. Il s'était attendu à quelque marque d'in

1 Sur l'administration de M. Necker, par lui-même, p. 408 et suiv. 2 Voy. les plaintes de Necker sur ce sujet dans son livre intitulé: Sur l'administration de M. Necker, p. 407, 408, 409.

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térêt l'accueil glacial fait à ces menaces réitérées l'avertit de reste du déclin de son pouvoir, et lorsque, le 4 septembre 1790, le lendemain d'une émeute qui le chassa de sa maison, il fit connaître à l'Assemblée son dessein de se rctirer dans ses terres, le silence le plus absolu ayant régné dans la salle, et les représentants ayant, avec un dédain marqué, passé à l'ordre du jour 1, il comprit que c'en était fait et qu'il ne lui restait plus qu'à descendre vivant dans le tombeau.

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Il partit donc le 8 septembre, accompagné de sa femme et de quelques domestiques, laissant à Paris sa fille malade cette fille qui fut madame de Staël. Il ressemblait à un fugitif et fut traité comme tel. A Arcis-sur-Aube, comme il prenait quelques instants de repos dans la maison de poste, il entendit tout à coup au dehors la foule mugir; et, se précipitant dans sa chambre, plusieurs gens armés lui demandèrent ses passe-ports. Il en avait trois, et un billet particulier du roi ; il les montre, mais cela ne paraît pas suffisant, et, à travers une haie de fusiliers, on les conduit, sa femme et lui, jusqu'à une auberge, où ils durent attendre, prisonniers, que l'Assemblée, à laquelle on se hâta d'écrire, décidât de leur sort 3. Là, en ce même endroit, quelques mois auparavant, Necker avait été reçu avce idolâtric! Très-froidement, très-sèchement, l'Assemblée répondit qu'on pouvait le laisser libre de continuer sa route, et lui, le cœur brisé, accusant sa fortune, accusant les hommes, il se traîna vers la retraite au sein de laquelle il a écrit depuis: « Quelquefois, au pied de ces montagnes où l'ingratitude particulière des représentants des communes m'a relégué, et dans les moments où j'entends les vents furieux s'efforcer d'ébranler mon asile et de renverser les arbres dont il est environné, il m'arrive de dire comme le roi Lear: « Soufflez, soufflcz

1 Sur l'administration de M. Necker, p. 425.

2 Madame de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, Ile part., chap. XVIII.

Sur l'administration de M. Neçker, p. 426 et 427.

Ibid., p. 406.

<«< avec rage, vents impétueux; je ne vous accuse pas d'ingra«titude, vous; je ne vous ai pas appelés mes enfants, et vous << ne tenez point de moi votre empire1. »

Necker avait déployé, au pouvoir, toutes les vertus de l'homme privé. Serviteur désintéressé de la nation pendant sept années, il n'avait voulu, ni de ses appointements de ministre des finances, fixés alors à deux cent mille francs, ni de ceux de ministre d'État, qui montaient à vingt mille, ni des pensions attachées à ces places, ni des droits annuels de contrôle, ni des présents des pays d'états, ni des jetons d'or et d'argent que les municipalités, les corporations ou les titulaires d'office en finances avaient coutume d'offrir au ministre, à chaque renouvellement d'année. Il avait fait plus encore quoique persuadé que le papier-monnaie ouvrait un gouffre où s'engloutirait la fortune publique, il n'avait point hésité à laisser en dépôt au trésor deux millions, qui étaient la moitié de son bien. Jamais le commerce des consciences, jamais le vil marché des suffrages, jamais l'emploi de ces moyens de corruption si complaisamment pratiqués dans tous les pays avec les assemblées, ne déshonorèrent sa politique. Il s'était fait de Mirabeau, en refusant de l'acheter, un ennemi implacable. Tel était enfin, d'un bout de l'Europe à l'autre, l'éclat que jetait sa probité, qu'en matière de crédit et aux yeux des puissances étrangères, il cautionnait la Révolution. Il était laborieux d'ailleurs, instruit, pénétrant, doué de prudence, et versé dans la connaissance des affaires. Mais ces vertus et ces qualités, suffisantes au début, avaient de plus en plus cessé de l'être, à mesure que la situation, en se développant, se compliquait. Où les circonstances commandent l'audace, la prudence devient pusillanimité; où il faut de la vigueur, la modération est bien près de ressembler à de la faiblesse, et l'expérience ne sert qu'imparfaitement à qui reçoit mission de gouverner l'imprévu. C'était le soleil, le soleil dans toute l'ardeur de ses feux, que Necker avait à contempler, et il lui

1 « Blow, winds, rage, blow; I tax not you, you, elements, of unkindness; I called not you my children, I never gave you kingdom.

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manqua le regard de l'aigle. Égaré au milieu des grandes choses d'alors, peut-être lui aurait-on pardonné d'avoir disparu dans l'ombre que répandaient autour d'eux les événements; mais, comme sa vanité était presque au niveau de son destin, tandis que son génie était si fort au-dessous, il nc put se résigner à l'oubli, il s'obstina péniblement à être aperçu, et dès lors il fit pitić. Après cela, qu'on ait méconnu ses services, sans doute ; mais il y cut petitesse de sa part à s'en plaindre avec tant d'amertume; car, si un peuple vaut qu'on s'immole à lui être utile, il ne vaut pas qu'on gémisse de son ingratitude; et c'est la gloire, c'est la consolation des fiers caractères, de dédaigner les hommes en les servant!

Triste était la situation dans laquelle Necker, lorsqu'il se retira, laissait les finances. Suivant une constatation officielle du Moniteur, les intérêts de la DETTE CONSTITUÉE, tant viagère que perpétuelle, montaient, en septembre 1790, à cent soixante-sept millions sept cent trente-sept mille neuf cent dix-huit livres ; et quant à la DETTE EXIGIBLE, composée des rentes désormais dues au clergé, du prix des offices de judicature supprimés, de celui des charges de finance, du remboursement des cautionnements, du remboursement des dimes inféodées, en un mot de toutes les dépenses pressantes qu'entraînait, grâce à tant de réformes coup sur coup adoptées, l'onéreuse liquidation du monde ancien, elle ne s'élevait pas à moins d'un milliard huit cent soixante et dixhuit millions huit cent seize mille cinq cent trente-quatre livres. Oui, près de deux milliards 1. Voilà de quel fardeau il fallait que, sur-le-champ, la Révolution se débarrassât, sous peine de ne pouvoir continuer sa route; et ces mots, ces mots redoutables, dette exigible, semblables au son d'une cloche funèbre, attristaient la vie des plus confiants par l'idée toujours présente de la mort. Encore si la liberté avait eu sous la main ces immenses ressources que la France, hélas! tint si souvent à la disposition du despotisme! Mais non en plusieurs contrées, le recouvrement des impôts

1 Voyez le tableau détaillé de cette dette dans l'Histoire parlementaire, t. VII, p. 165 et 166.

rencontrait pour premier obstacle, qui le croirait? l'hostilité sourde et perfide de ceux-là mêmes qui avaient charge de les lever. Il fut prouvé que les percepteurs des départements composant l'ancienne province de Normandie arrêtaient les rentrées, au lieu de les presser, qu'à Valognes, le payement des contributions patriotiques avait été refusé avec impudence; que les chambres des comptes de la Lorraine n'avaient pas voulu livrer aux administrations des divers départements certains documents nécessaires dont l'Assemblée avait néanmoins ordonné la remise 1, etc... cte... Il fallut que, sur la motion de Vernier, parlant au nom du comité des finances, l'Assemblée rendît un décret qui menaçait de peines sévères tout collecteur de deniers publics, convaincu d'en avoir retardé la perception 2!

Deux jours avant, une scène de stupeur avait cu licu dans l'Assemblée, Laborde y ayant prononcé solennellement ces lugubres paroles : « Le comité des finances vient de recevoir une lettre de M. Dufresne, qui annonce que le trésor public ne pourra payer ce soir. » On décida en toute hate que la caisse d'escompte était autorisée à remettre au trésor public la somme de dix millions en promesses d'assignats, pour faire partie du service du mois de septembre 3. C'était se trainer d'expédients en expédients, et la Révolution ne pouvait continuer de vivre ainsi au jour le jour.

Et puis, le signe convenu des échanges, où était-il? Le numéraire s'était enfui, l'or se cachait. Portait-on à la Monnaic un plat d'argent, transformé en écus, il passait aussitôt le détroit et allait circuler à Londres.

Il est vrai que, par le décret du 19 décembre 1789, on avait créé quatre cents millions d'assignats hypothéqués sur pareille valeur de domaines nationaux destinés à être vendus et en payement desquels ces assignats devaient être reçus ; il est vrai encore que, par le décret du 1er juin 1790, on avait donné cours forcé aux quatre cents millions d'assi

1 Moniteur, séance du 12 septembre 1790.

* Décret du 12 septembre 1790.

3 Moniteur, séance du 10 septembre 1790.

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