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sommes arrivés, non dans une ville, mais dans un cimetière 1. »

Vint le tour de la vengeance froide, calculéc, implacable. Les justices réunies des régiments de Vigier et de Castalla condamnèrent trente-deux soldats de Châteauvieux à mort et quarante et un aux galères pour trente ans 2. Dans le compte qu'ils rendirent, ils disaient : « Concevant l'indispensable nécessité d'une justice prompte et vigoureuse, nous nous sommes abstenus des formes ordinaires 3. »

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Plusieurs des victimes illustrèrent leur fin par leur courage. Un soldat de Châteauvieux, nommé Sauvet, s'écria sur la roue: «Bouillé est un scélérat. Plus tard, on connaîtra sa trahison et notre innocence. Je meurs: Vive la nation!» Bouthillier, licutenant au Régiment-du-Roi, avait reçu, en défendant Nancy, une blessure mortelle. Comme on le portait à l'hôpital: « Non, dit-il; si je dois mourir, qu'on me porte sous les drapeaux du régiment 3. »

Les victoires civiles n'aboutissent que trop naturellement, hélas! à des réactions. A Nancy, ce qui suivit la lutte en prolongea longtemps l'horreur. Un des chirurgiens-majors de Châteauvieux fut condamné aux galères pour avoir pansé les blessés et avoir dit: Je ne vois pas un rebelle dans un camarade expirant. Tous les amis de la Révolution furent poursuivis comme ayant du sang sur les mains; les citoyens les plus recommandables furent décrétés. Un propos insignifiant, un sourire, un geste... c'était un crime. La municipalité triomphait avec insolence: elle désarma la garde nationale; elle fit arbitrairement fermer le club patriotique; elle laissa la nouvelle garnison prendre le ton d'une armée victoricuse; elle permit que des femmes fussent publique

1 Ces commissaires étaient Duveyrier et Cahier de Gerville, qui arrivèrent le 5 septembre.

2 Rapport de Sillery, p. 62.

5 Histoire abrégée de la Révolution française, par l'auteur de l'Histoire du règne de Louis XVI, t. I, liv. II, p. 71.

4 Ibid.,

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3 Ibid.,
6 Ibid., p. 83.

RÉVOLUTION FRANÇAISE. 5.

ment insultées; elle osa s'unir aux magistrats, chose horrible! pour demander à l'Assemblée le pouvoir de juger inquisitorialement, sans appel 1. Les boutiques fermées, les prisons pleines, les émigrations, l'échafaud, témoignèrent du retour de l'ordre. Car c'est ainsi qu'on désigne l'heure où ceux qui pleurent s'efforcent de pleurer en silence, redoutant le bruit que font les sanglots...

A la première nouvelle du massacre, Louis XVI écrivit à l'Assemblée une lettre dans laquelle il se félicitait de voir la paix rétablie dans la ville de Nancy, grâce à la fermeté et à la bonne conduite de M. de Bouillé, auquel, de son côté, l'Assemblée s'empressa, malgré Robespierre, de voter des remercîments. Quant à la Fayette, le jour même du carnage, il avait mandé au roi, dans une correspondance secrète, livrée, depuis, par l'armoire de fer: « Si M. de Bouillé est assez heureux pour que son armée le suive aujourd'hui, il aura mis ordre à tout, avant que les commissaires puissent lui porter secours

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La municipalité de Paris, en l'honneur de ceux qui avaient péri, disait-elle, pour la défense de l'ordre, fit célébrer une fête funéraire et tendre de drap noir l'immense enceinte du Champ-de-Mars. Le peuple s'y rendit en grand deuil, et y pleura... les vaincus.

La veille, Loustalot était mort d'un désespoir d'amour, oui d'amour, car quel autre nom donner à cette passion à la fois si profonde et si tendre, à cette passion inapaisable dont il brûla pour la liberté? Ce qui frappe d'abord dans le journal de Loustalot, quand on ne fait que le parcourir, c'est le langage sobre, sévère, et même un peu froid, d'une raison qui toujours s'observe. Là, pas d'enthousiasme factice, pas de violences calculées, nulle déclamation, surtout nulle condescendance lâche ou frivole. Ennemi des rois, mais censcur vigilant du peuple, et aussi prompt à condamner les emportements du Forum qu'à flétrir les intrigues de cour,

1 Rapport de Sillery, p. 63 et 64. 2 Mémoires de tous, t. IV, p. 127.

Loustalot sc montre constamment inaccessible aux corruptions de la popularité; il la fuit sans ostentation, il la dćdaigne sans bravade; il lui importe peu que les faubourgs s'irritent, quand il les accuse de légèreté, quand il s'efforce de les prémunir contre le danger de leurs entraînements, ou quand il gourmande l'imprévoyance de leurs joics. Il a une bonne raison pour ne jamais flatter le peuple: il l'aime. Un esprit ferme et calme, un esprit sincère, voilà par où, au premier coup d'œil, les écrits de Loustalot vous attirent et vous attachent. Mais pénétrez un peu plus avant; écoutez bien ces cris qui, de temps en temps, s'échappent des lèvres de l'héroïque jeune homme ici nous touchons à son âme, et il se trouve que cette âme est remplie d'une ineffable tendresse. Quel véritable amant poursuivit jamais sans tristesse et sans inquiétude l'accomplissement de son rêve d'or? Loustalot ne fut pas heureux! Voyant la liberté tantôt aux prises avec de puissants ennemis, tantôt exposée à tomber entre les bras de poursuivants indignes, il n'avait cessé de craindre pour elle, et cette crainte, dans son noble cœur, finit par dégénérer en mélancolic. Rien de plus touchant que ce qu'il écrivait, au sujet de la victoire de Nancy: « Comment raconter avec une poitrine oppresséc?... Ils sont là, ces cadavres... attendez; la presse, qui dévoile tous les crimes et qui détruit toutes les crreurs, va vous enlever vos espérances... Il serait doux d'être votre dernière victime! » Ces mots n'indiquaient que trop bien une de ces blessures intérieures dont on meurt vite. En apprenant les horrcurs commises à Nancy, Loustalot laissa tomber sa plume découragée, et sc coucha pour ne plus se relever.

Loustalot n'avait que vingt-huit ans. Devant cette tombe si prématurément ouverte, au moment où elle allait se fermer pour toujours, Legendre rencontra les accents d'une éloquence pathétique, et Marat ne cacha point qu'il pleurait.

Les Suisses de Nancy qu'on avait condamnés aux galères ne subirent pas leur peine jusqu'au bout, tant les destins et les flots sont changcants! Plus tard, délivrés at rappclés par

l'Assembléc législative, ils furent reçus dans Paris au milicu d'extraordinaires transports. A l'issue d'un grand banquet que les Jacobins leur donnèrent, il fut décidé qu'une partie des chaînes qu'ils avaient portées serait suspendue à la voûte de la salle, l'autre partie devant servir à fabriquer des armes contre les ennemis de la France. Les Jacobins firent plus : ils imaginèrent de se décorer du bonnet rouge dont on avait cherché à flétrir le front de ces galériens, et bientôt, ce devint, par toute la France, la coiffure révolutionnaire 2.

1 Histoire abrégée de la Révolution française, par l'auteur de l'Histoire du règne de Louis XVI, t. I, liv. II, p. 85, 87 et 93.

CHAPITRE III.

HUIT CENTS MILLIONS D'ASSIGNATS.

Déclin du pouvoir de Necker; chute de sa popularité; dédains de l'Assemblée; il se retire; son arrestation à Arcis-sur-Aube. - Necker dans sa retraite. Necker devant l'histoire. Dans quel état il laissait les finanCCs.- Les percepteurs traîtres; motion de Vernier. - Le Trésor ne pourra payer ce soir. Vingt et unième note de Mirabeau pour la Cour : il propose Clavière pour ministre des finances; portrait de Clavière par Mirabeau. Seconde émission d'assignats discutée. Talleyrand adversaire des assignats. - Pamphlet de Dupont de Nemours. - Admirable discours de Mirabeau en faveur d'une seconde émission d'assignats. Sur sa proposition, on en crée pour huit cents millions, ajoutés aux quatre cents millions déjà émis. Portée de ce grand acte.

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Il est je ne sais quel démon moqueur qui se joue des destinées éclatantes. A combien d'hommes fut-il donné d'apparaître triomphants sur les cimes de l'histoire, en évitant jusqu'au bout le péril expiatoire des chutes profondes? Depuis le jour où, rappelé de l'exil par la voix de tout un grand peuple, Necker avait osé faire, à l'hôtel de ville, en faveur de Bézenval, l'essai d'un pouvoir moral qu'il crut sans bornes, son ascendant n'avait pas cessé un instant de décliner. Bientôt, contre cet empire dont les âmes orgucilleuses ne purent longtemps tolérer l'insolence, il avait vu se lever l'impatiente armée des journalistes, des fabricateurs de libelles, des motionnaires, des cricurs publics; Marat l'avait poursuivi de ses dénonciations, et Camille Desmoulins de ses railleries, plus aiguës que des flèches. Lui-même, dans un style qui semble gonflé de soupirs, il a raconté, plus

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