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gré le comte d'Artois, malgré Calonne, on pourrait presque ajouter malgré Bouillé lui-même. Car, dans la correspondance secrète de ce général avec Louis XVI, il ne fut pas sans représenter que la démarche en question était très-dangereuse, très-hasardée; que, si elle manquait, elle perdrait la monarchie: qu'il n'était pas jusqu'aux jours du roi qu'elle ne mit en péril. Mais Louis XVI était vivement poussé en sens contraire par le baron de Breteuil, que l'ambition dominait, que les conférences de Mantouc avaient aigri, qui s'alarmait de l'influence croissante du comte d'Artois, si intimement liée à la fortune de Calonne. Sous l'inspiration de ces sentiments de crainte égoïste, de dépit, de jalousie, le baron partit de Solcure, gagna Bruxelles, et ce fut de là qu'il brusqua, de concert avec le comte de Mercy, l'évasion de Louis XVI, en alléguant que tel était l'avis de l'Empereur 2. Louis XVI ne demandait pas mieux que de croire, sur ce point, aux assertions du baron de Breteuil. La crédulité est si voisine du désir! Or, il est certain que, depuis qu'on avait alarmé ses scrupules religieux, Louis XVI ne rêvait plus qu'évasion 3.

Quant à la reine, Fontanges, archevêque de Toulouse, assure, dans le récit qu'il a laissé de la fuite de Varennes, que, durant l'été de 1790, il avait entendu dire à MarieAntoinette : «Que voulez-vous que le roi fasse loin de Paris, sans argent, sans moyens personnels pour rappeler l'armée à la fidélité, sans lumière pour se diriger, sans conseil pour suppléer à ce qui lui manque; et, outre cela, avec son horreur pour la guerre civile? N'en parlons plus *. »

Ces considérations, en 1791, n'avaient certes rien perdu de la force qu'elles pouvaient avoir en 1790: qui changea les dispositions de Marie-Antoinette? Le roi, selon M. de Fontanges. Elle ne céda aux instances de Louis XVI qu'après

1 Mémoires de Bouillé, ch. XI, p. 182.

2 Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 115. Mémoires de Weber, t. II, ch. IV, p. 64.

4 lbid.

s'être convaincue qu'il serait inutile de continuer à les combattre 1.

On ne s'occupa donc plus que des moyens de fuir, et revenant à ses défiances envers le comte d'Artois, la reine écrivit à Léopold, le 7 juin 1791, la lettre suivante, copie textuelle d'un autographe qui nous a été communiqué 2:

<< 7 juin 1791.

<< Il est prudent de ne rien dire de confidenticl au comte d'Artois sur ce que vous savez, car son zèle le porterait à s'ouvrir à ses entours. Je fonde quelque espérance sur le projet, et votre ami une fois en liberté pourra faire des conditions au lieu d'en recevoir; sa cause est juste, et c'est celle de tous les honnêtes gens, qui malheureusement sont trop timides.... Mon mari et mes enfants se portent bien et ont beaucoup de courage au milieu de tous nos maux.

« MARIE-ANTOINETTE. >>

1 Mémoires de Weber, t. II, ch. IV, p. 65.

2 Nous devons cette obligeante communication à M. A. Donnadieu, un des plus intelligents et des plus célèbres collecteurs d'autographes qu'il y ait en Europe.

CHAPITRE IV.

FUITE DU ROI.

Préparatifs de fuite. - Dissimulation et imprudence. Rencontre singulière du duc d'Orléans et de Fersen sur la route de Vincennes. - Confidence de Javardin à Marat; lettre trouvée dans la poche d'une dame de la cour; Marat dénonce le projet de fuite. Éveil donné par Carra. — Saisie d'un caisson appartenant au comte de Provence, - Bailly et Gouvion avertis secrètement. Dispositions de Bouillé. Paris, le soir du 20 juin. Journée du 21 juin, à Paris.

Le peuple aux Tuileries. -
Les serviteurs du roi aban-

Fuite nocturne de la famille royale.
Impression produite par l'évasion du roi.
L'Assemblée. Mesures de salut public.
donnés aux vengeances populaires. Proclamation aux Français.

Sortie violente de Bonneville.

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-

Calme dédaigneux des représentants. Attitude héroïque de Paris. — État normal des partis. —- Madame Roland et Robespierre chez Pétion. Robespierre aux Jacobins. La Fayette apostrophé par Danton. Paris, le 22 juin. Complainte chantée par les rues. La République demandée aux Cordeliers, repoussée par les Jacobins. Placards républicains d'Achille Duchatelet et de Thomas Payne.- Exhortations en sens inverse de Bonneville et de Marat.- Humanité méprisante de Camille Desmoulins. Motion du baron d'Elbeck; nouvelle formule du serment. — Réponse de l'Assemblée à la Proclamation aux Français. - Nouvelle importante.

Six cents sectionnaires enveloppaient le château d'une surveillance armée. Devant la porte extérieure, deux cavaliers vigilants; à tous les postes du dehors, la garde nationale, attentive et inquiète; des sentinelles à chaque porte du jardin; le long de la terrasse sur la rivière, de cent en cent pas, des sentinelles. Les baïonnettes se hérissaient partout, dans l'intérieur même du palais, oui partout, et dans les issues qui conduisaient au cabinet du roi, et sur le chcmin des appartements de la reine, et jusqu'au fond d'un petit corridor noir où se trouvaient des escaliers dérobés

pour le service des deux grands captifs 1. Ils étaient épiés, d'ailleurs, par quiconque les approchait, depuis les premières femmes de chambre jusqu'aux derniers valets de pied. Malheur à eux s'ils ignoraient l'art de se comprendre par certains signes, s'ils n'avaient pas su créer pour leur usage quelque langage inconnu; car les murailles regardaient et écoutaient!

On ne désespéra point cependant... Mais, d'abord, où fuir, et de quel côté? Depuis assez longtemps, le roi avait jeté les yeux sur Bouillé; il correspondait avec lui en chiffres. A la suite d'un échange de lettres mystérieuses, Bouillé, qui avait dès le commencement mesuré toute l'étendue des périls, s'offrit sans réserve, avec un calme intrépide et

morne.

Entre lui et son maître, il fut convenu que le lieu de retraite serait Montmédy, ville très-forte, sur les confins de la Champagne. Là, on avait presque le pied sur les terres de l'Empereur, on était dans le voisinage du Luxembourg, et, en cas de malheur, les Autrichiens accouraient.

y

Restait à savoir par quelle route le roi gagnerait Montmédy: Bouillé proposa celle de Reims, plus aisée à couvrir, et qui donnait peu de villes à traverser. Mais c'était dans cette ville qu'avait eu lieu le sacre, et la figure de Louis XVI était trop connue : il fut décidé qu'on prendrait la route de Châlons, par Clermont et Varennes. Bouillé se chargea de tout, depuis Châlons-sur-Marne, la première ville de son commandement en venant de la capitale, et, de son côté, la reine prit sur elle de tout préparer pour la sortie de Paris 2.

Il y avait, au rcz de-chaussée des Tuilerics, un appartement qui s'ouvrait sur la cour des Princes et sur la cour Royale. Or, ni l'une ni l'autre de ces deux issues n'était

1 Relation du voyage de Varennes par un prélat, membre de l'Assembléc constituante, à un ministre en pays étranger, dans les Mémoires de Weber, t. II, chap. IV.-Cette relation est de M. de Fontanges, archevêque de Toulouse, et écrite sur les renseignements fournis par la reine elle-même. 2 lbid., p. 58.

gardée, et, de plus, les sentinelles qui garnissaient les cours étaient celles dont on avait le moins à redouter la surveillance, accoutumées qu'elles étaient à voir sortir du château beaucoup de monde à la fois, particulièrement vers onze heures du soir, lorsque le service du château était fini1. Si l'évasion était possible, c'était par là. Malheureusement, pour se rendre à cet appartement, que le duc de Villequier avait occupé et que son départ avait laissé vide, il fallait traverser la chambre de madame de Ronchreuil, une des femmes attachées au service de la reine. Marie-Antoinette prétexta quelques arrangements intérieurs qui la forçaient de disposer de cette pièce, elle s'en empara, se procura la clef de l'appartement de M. de Villequier, et ne songea plus qu'aux autres dispositions jugées nécessaires.

Du soin de tenir prêts chevaux et voitures, la reine chargea le comte de Fersen, jeune seigneur suédois, qui lui avait voué un culte poétique. Comme courriers on choisit trois gardes du corps, MM. de Valory, de Moutier et de Malden, que le comte d'Agoult désigna 2. Un passe-port qui pût servir à toute la famille royale était indispensable : par une heureuse coïncidence, il arriva qu'une dame russe, la baronne de Korff, amie du comte de Fersen, venait de se faire donner un passe-port pour elle, deux enfants, un valet de chambre et deux femmes. M. de Fersen n'eut pas de peine à obtenir de madame de Korff qu'elle feindrait d'avoir laissé tomber ce passe-port dans le feu, le lui céderait et en demanderait un autre 5.

Bouillé avait désigné au roi, comme pouvant lui être très-utile dans des circonstances imprévues, le comte d'Agoult, officier plein d'expérience et de bravoure; mais la place qu'il devait occuper dans la voiture fut vivement réclamée par madame de Tourzel, gouvernante des enfants.

1 Relation du voyage de Varennes, etc.

Précis historique du comte de Valory, dans les Mémoires sur l'affaire de Varennes, p. 249. Paris, 1823.

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5 Voy. dans l'Annual Register, vol. XXXIII, appendix to the chronicle, no 13, la lettre de M. Simolin, ministre de Russie, à M. de Montmorin, suivie de la lettre où madame de Korff parle de son passe-port brûlé.

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