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en tuèrent ou blessèrent plusieurs, et en firent d'autres prisonniers.

Ce furent alors, à Nancy, des transports de rage. Pescheloche raconte qu'un caporal lui vint dire, dans sa prison, avec des gestes et des menaces horribles : « C'est moi qui garde Denoue. Voici la clef du cachot. Il m'a demandé son aumônier pour mettre ordre à ses affaires. Il n'en sortira pas j'en réponds sur ma tête 1. » Les soldats disaient: « On est revenu de Lunéville comme des lâches. Mais c'est que les officiers ne nous commandaient pas, et des soldats sans commandants sont des corps sans âme 2. » Ils étaient profondément humiliés, ne parlaient que d'exterminer les carabiniers et de ramener Malscigne mort ou vif. Dans ces dispositions, trois mille hommes, tant du Régiment-du-Roi et de Châteauvieux que de Mestre-de-Camp, prirent dans la soirée même le chemin de Lunéville. Mais ce qui est singulier et donne à cette insurrection une physionomie particulière, ils voulurent, ils exigèrent que les officiers sc missent à leur tête. Un capitaine, qui figura plus tard parmi les rédacteurs ultra-royalistes du Journal de la cour et de la ville, Journiac-Saint-Méard, fut nommé aide de camp général 3. Triste et dangercux honneur! Portait-il quelque ordre à l'avant-garde? On refusait de croire à son rapport. Retournait-il au corps de bataille? On l'accusait de trahison".

Sur la hauteur de Flinval, qu'il atteignit vers onze heures du soir, à une lieuc et demie de Lunéville, le détachement s'arrêta, attendant la pointe du jour.

Mais, pendant ce temps, un revirement soudain s'était opéré parmi les carabiniers. Ils envoient des députés à leurs camarades de Nancy, ils offrent de rendre Malseigne, à condition qu'il ne lui sera fait aucun mal jusqu'à ce que l'As

1 Lettre de Pescheloche, p. 49.

2 lbid., p. 56.

5 Ce qui m'est arrivé avant, pendant et après le transport armé de la garnison de Nancy à Lunéville, par Journiac-Saint-Méard, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. NANCY, 326, 7, 8.

4 Bibliothèque historique de la Révolution. NANCY, 326, 7, 8.

semblée ait prononcé. Ce fut l'objet d'un traité, dont on parlait encore longtemps après à Lunéville, sous le nom de capitulation. Ceux qui accouraient comme ennemis furent donc reçus comme frères. Néanmoins un tragique incident faillit tout perdre. Apercevant un adjudant des carabiniers qui, la veille, avait tué son frère, un cavalier de Mestre-deCamp se précipita sur lui, et, au moment même où le malheureux embrassait un soldat du Régiment-du-Roi..., d'un coup de pistolet il l'étendit mort 1.

Le 50, de grand matin, Malseigne, après avoir fait pour s'évader une tentative qui attira sur lui une décharge de mousqueterie et atteignit quelques hommes, fut ramené à Nancy, dans une voiture, ayant en face de lui un carabinier dont il se vit réduit, tout le long de la route, à subir les propos insultants. A peine arrivé, il fut entouré d'une multitude qui éclatait contre lui en imprécations. Les femmes, surtout, se montraient fort animées. On ne put le conduire jusqu'à l'hôtel de ville, et le Régiment-du-Roi lui offrit un asile dans son quartier 2.

Bouillé n'avait pas attendu ces derniers désordres pour se mettre en marche. Dès le 28, il était parti de Metz, mais secrètement, parce qu'il craignait d'être retenu par les soldats de la garnison 3. N'ayant auprès de lui aucune infanterie étrangère et comptant peu sur la garde nationale, il avait expédié des ordres pour qu'on rassemblât à Toul, où il sc rendit, quelques bataillons suisses et allemands et quelques régiments de cavalerie . Bientôt, il apprit, probablement à sa grande surprise, que les troupes et les gardes nationales de Metz se plaignaient de la défiance qui l'avait empêché de les employer. Que le sentiment d'où partait cette plainte fût général dans la ville de Metz, il est permis d'en douter, puisque Bouillé n'osa, d'après son propre récit, appeler à lui, cette nouvelle reçue, que six cents grenadiers et

1 Bibliothèque de la Révolution, p. 10.

2 Rapport de Sillery, p. 41 et 42.

3 Mémoires du marquis de Bouillé, chap. IX, p. 147.

six cents gardes nationaux 1, ceux dont on était sûr sans doute.

Mais ces circonstances particulières, on les ignorait à Nancy; tout ce qu'on sut, c'est que Bouillé s'avançait, et comme l'inquiétude grossit toujours les objets, le bruit courut qu'il venait, à la tête de trente mille hommes, opérer la contre-révolution. Ce qu'un tel bruit avait de faux, les corps administratifs ne l'ignoraient point; il leur eût donc été facile de dissiper l'obscurité. Pourquoi n'en firent-ils rien? Pourquoi se tinrent-ils muets et invisibles? Pourquoi ne s'empressèrent-ils pas de publier une proclamation qui rassurât les esprits? C'est ce qui leur fut, depuis, reproché amèrement et non sans justice; car de leur silence résulta un surcroît d'agitation. Les soldats de Nancy mirent ardemment la main à des préparatifs de défensc; sincèrement effrayés et croyant agir de concert avec les magistrats, beaucoup de citoyens paisibles en firent de même 3. On était informé que le régiment de Royal-Allemand faisait partie de l'armée de Bouillé : en fallait-il davantage pour rendre vraisemblable la menace d'une contre-révolution?

Toutefois, ne pouvant se dispenser décemment de quelque démarche préservatrice du salut de la ville, les membres du conseil de département envoyèrent à Bouillé trois députés avec mission publique de lui ordonner de retirer ses troupes, mais avec mission secrète de lui peindre sous de vives couleurs le despotisme de la garnison de Nancy, sans lui demander autre chose qu'un délai . Bouillé répondit que le moindre retard pouvait jeter la nation dans des angoisses terribles; qu'il n'était pas absolument sûr de son armée; qu'elle se débanderait peut-être, s'il différait. La réponse était dure: deux des députés, Saladin et Foissac,

↑ Mémoires du marquis de Bouillé, chap. IX, p. 147.

2 Par Sillery, notamment, dans son rapport, p. 42. Rapport de Sillery, p. 43.

Il est remarquable que, dans ses Mémoires, Bouillé ne dit rien de ce fait, assez important néanmoins pour être mentionné. Voy. le chap. IX de ces Mémoires,

pensèrent agir prudemment en ne la rapportant point à Nancy. Le troisième, Collini, se chargea d'une proclamation dans laquelle Bouillé expliquait en termes sévères mais fort clairs que, s'il marchait sur Nancy, c'était uniquement pour obtenir l'exécution du décret du 16 août et l'obéissance aux ordres de l'Assemblée. Or, si cette proclamation cût été affichée à Nancy, il est évident, quelles que fussent, d'ailleurs, les arrière-pensées de Bouillé, qu'elle y aurait donné aux alarmes unc direction tout autre et bien moins fatale. Pourquoi ne fut-elle proclamée que le 1er septembre, quand déjà il était trop tard, quand déjà la ville était inondée de sang 1?

Le 31 août, date à jamais funèbre, les soldats, à Nancy, exigent qu'on batte la générale pour appeler tous les citoyens aux armes. Ils s'adressent à la municipalité, qui les renvoie au conseil de département. « Nous avons mis des canons aux portes, disaient les soldats; nous ne pouvons tout faire porter le poids du service journalier, garder les postes, être aux pièces. » Les corps administratifs résistèrent d'abord, puis cédérent 2, et ce fut au nom de la municipalité intimidée, que le tambour de la ville somma les citoyens de manœuvrer le canon. Ce fut aussi le corps municipal qui, lui-même, enjoignit à la garde nationale de courir se placer aux portes. Était-il possible, s'écrie à ce sujet Sillery, que les habitants ne fussent point trompés par des ordres semblables 5? Aussi, une contre-révolution paraissant imminente, ils prirent tous un fusil, tous, jusqu'à des officiers de bailliage, jusqu'à des vieillards.

Bouillé avançait, avançait toujours, Le 31, entre six et huit heures du matin, il se trouvait à Frouard, village à deux lieues de Nancy. Il était accompagné de Louis de

1 Il est dit, dans le procès-verbal de la municipalité de Nancy que, le 51 août, à sept heures du matin, la commune décida l'impression de la lettre de Bouillé. Mais ce dont Sillery se plaint, c'est que cette décision ait eu un effet si tardif.

2 Extrait du registre des délibérations de la ville de Nancy, p. 42 et 43. Rapport de Sillery, p. 50.

Bouillé, son fils, et de Gouvernet, fils du ministre de la guerre 1. Il n'avait avec lui que trois mille hommes d'infanterie, quatorze cents chevaux, et, selon son propre aveu, il ne croyait pas aller combattre contre moins de dix mille hommes 2. « Je ne pouvais me flatter du succès,» a-t-il écrit depuis, et il ajoute : « Je me livrai aveuglément à ma fortune 3. » Quel mystère cachait donc cette conduite si pcu explicable de la part d'un militaire consommé? Il cédait, dit-il, à la furcur de ses propres troupes, disposécs alors à soupçonner leurs chefs de trahison, et lui particulièrement. Mais cette fureur de scs troupes contre Nancy, comment la concevoir, si elle ne leur avait pas été souffléc par lui-même? Quel intérêt si pressant avaient donc les soldats d'une ville à aller massacrer ceux d'une autre, alors que leurs griefs étaient identiques, alors que leur cause était commune? Quoi! Bouillé croyait avoir devant lui dix mille hommes armés, retranchés dans une ville considérablc, soutenus par un peuple soulevé; et contre de telles forces il menait quatre mille hommes, dont il se sentait incapable de maitriser les passions et qui le soupçonnaient d'être un traître! Des écrivains graves assurent que, ne voyant de salut pour la monarchie que dans une guerre civile, Bouillé la voulait, la voulait à tout prix. Ils racontent qu'il mit en tête de sa petite armée les gardes nationaux qui s'y étaient joints, espérant que des citadins pcu accoutumés au feu ne soutiendraient pas le combat. De là, dans tout le royaume, parmi la garde nationale, un sentiment d'humiliation qui sans doute n'aurait pas tardé à se changer en colère; de là l'indispensable nécessité de recourir à des moyens violents sur une grande échelle; de là un désordre général, la confusion, la guerre civile, et, au

1 Nouveaux détails authentiques sur la marche de l'armée de Bouillé, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. NANCY, 526, 7, 8. British Museum.

2 Mémoires de Bouillé, chap. IX, p. 149.

& Ibid., p. 153.

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