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de la terre. C'est que, je le répète, Robespierre venait représenter une idée qui cherchait et voulait avoir son rang dans la Révolution : L'ÉGALité politique de tous.

Je dis politique, parce qu'en effet ni lui ni personne n'allaient encore au delà. Qu'on prenne un à un ses discours; qu'on lise le Patriote français de Brissot, les Annales patriotiques de Carra, les Révolutions de Camille Desmoulins, l'Ami du Peuple de Marat, on y trouvera, impétueusement agitées, les questions d'un caractère politique, telles que l'organisation de la garde nationale, le droit de pétition, le droit d'affiche, le licenciement des officiers; mais de la condition misérable des salariés, mais de la concurrence et de ses victimes, mais de la vie précaire à laquelle l'anarchie industrielle condamne l'ouvrier, mais des moyens économiques d'écarter ce spectre horrible qui dans une société mal réglée côtoie sans cesse le travail et s'appelle la FAIM,...... pas un mot. Marat dénonce les enrichis, mais ce n'est point sauver les pauvres : la haine ne tient pas lieu de science. Et cependant des procès-verbaux de la commune il résulte que déjà, déjà, le socialisme moderne s'annonçait, dans les profondeurs de l'atelier, par des protestations ardentes. Les ouvriers du pont Louis XVI demandaient avec véhémence qu'on portât de trente à trente-six sous le prix de leurs journées; les garçons charpentiers se coalisaient pour obtenir une augmentation de salaire; les grèves, cette révolte par l'inaction, cette guerre des bras croisés, s'organisaient çà et là ou s'essayaient 1; de toutes parts enfin arrivaient à l'hôtel de ville, sourdes encore mais aussi menaçantes que le bruit lointain de la mer animée par l'orage, les réclamations et les plaintes des travailleurs en détresse. Or, que répondait l'hôtel de ville? D'accord avec les rédacteurs des Révolutions de Paris, hardis républicains pourtant, il répondait que le prix du travail doit être fixé de gré à gré entre ceux qu'on emploie et ceux qui emploient; que les

1 Voy. les extraits des procès-verbaux de la Commune, cités dans l'Histoire parlementaire, t. X, p. 102-105.

travailleurs n'ont pas le droit d'opposer leur union au despotisme des choses, même quand ce despotisme les écrase; que c'est là LA LIBERTÉ ! Comme si le malheureux qui doit se décider sur l'heure ou mourir, est libre de débattre les conditions! Comme si on contracte librement avec le poignard dont on sent la pointe sur sa gorge! Comme si, à ce compte, la liberté de coalition ne valait pas, elle aussi, qu'on la respectât! Et pourquoi donc maudire Shylock, lorsque, un contrat dans une main et son couteau dans l'autre, il court tailler dans la poitrine de son débiteur Antonio la livre de chair convenue? O liberté ! liberté ! idole des cœurs fiers, que de tyrannies se sont exercées en ton nom! Mais cette grande cause du travail asservi n'était pas encore à plaider: aujourd'hui même, en notre xixe siècle, au moment où je trace ces lignes, c'est à peine si elle est à l'ordre du jour de la pensée humaine. Qu'on ne s'étonne donc pas si Robespierre se tut, quand la voix des salariés ne faisait que proférer encore des sons inarticulés. Dans la Révolution, Robespierre ne fut jamais que l'homme de l'heure présente; mais cela, du moins, il le fut toujours.

1 Voy. les extraits des procès-verbaux de la Commune, cités dans l'Histoire parlementaire, t. X, p. 102-105.

CHAPITRE II.

FORCE ATTRACTIVE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

Les habitants d'Avignon veulent être Français. Carpentras animé contre Avignon par les prêtres. Affreuse guerre civile dans le Comtat. Les Avignonnais soutenus par les Jacobins. Massacres à Sarrians. - Meurtre de Patrix. Le muletier Jourdan, général. Siége de Carpentras par les Avignonnais. - Épouvantables circonstances de ce siége. L'ASsemblée nationale pressée de se rendre au vœu d'Avignon. Rapport de Menou. Débats sur la réunion d'Avignon à la France. Longues hésitations de l'Assemblée. Trois commissaires pacificateurs sont envoyés dans le Comtat. - Avignon se partage entre le parti de la municipalité et celui de l'armée. Réunion d'Avignon à la France décrétée. — Troubles dans Avignon. — Mort de Lecuyer. Massacres de la Glacière. — Le cœur des Avignonnais reste français. Pouvoir fascinateur de la Révolution el

de la France.

Cependant, la France révolutionnaire allait se répandant au dehors de plus en plus. Car, c'est le privilége historique de ce grand et infortuné peuple de France d'attirer à lui les autres peuples, soit qu'il les éblouisse ou les épouvante. Oui, dans le temps même où l'émigration des nobles faisait scandale, et où le livre de Burke, partout répandu, adjurait le monde de haïr la Révolution, de haïr la France, on voyait s'étendre invinciblement, rapidement, et bien au delà des frontières du royaume, le pouvoir fascinateur de Paris. A la foire de Francfort, on vendait avec une sorte de ferveur des mouchoirs où figuraient imprimés les principes nouveaux; du haut de leurs montagnes, les Savoisiens jetaient un œil d'envie sur nos plaines du Dauphiné; depuis Saint-Gingolf jusqu'au pied du Saint-Bernard, on avait arboré la cocarde

française, celle des trois couleurs, et, selon le mot de Camille Desmoulins, « les Suisses commençaient à rêver profondément sur l'aristocratie de l'avoyer de Berne, de leurs baillis, de leurs fiscaux. » A Constantinople, un Français et un derviche ayant été arrêtés pour avoir expliqué, en pleine rue, à un groupe de Turcs rassemblés, la déclaration des droits de l'homme, le peuple se souleva, délivra les prisonniers, et les conduisit dans une maison sur laquelle il fit écrire : Malheur à qui violera cet asile que le peuple donne à deux amis du genre humain 2.

Un illustre écrivain moderne a senti vivement et exprimé d'une manière originale cette forte attraction qu'exerçait alors notre pays :

« Au fond des mers du Nord, il y avait une bizarre et puissante créature, un homme? non, un système, une scolastique vivante, hérissée, dure, taillée à pointes de diamants dans le granit de la Baltique. Toute religion, toute philosophie, avait touché là, s'était brisée là. Et lui, immuable. Nulle prise au monde extérieur. On l'appelait Emmanuel Kant; lui, il s'appelait le Critique. Soixante ans durant, cet être tout abstrait, sans rapport humain, sortait juste à la même heure, et, sans parler à personne, accomplissait, pendant un nombre donné de minutes, précisément le même tour, comme on voit aux vieilles horloges des villes l'homme de fer sortir, battre l'heure, et puis rentrer. Chose étrange! les habitants de Koenigsberg virent (ce fut pour eux un signe des plus grands événements) cette planète se déranger, quitter sa route séculaire. On le suivit, on le vit marcher vers l'ouest, vers la route par laquelle venait le courrier de France 3.

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Et ce n'étaient pas seulement des penseurs, des philosophes, qui cédaient à cette influence véritablement magnétique le regard tourné vers nous, les bras étendus, les

1 Révolutions de France et des royaumes, etc., no 50.

2 Ibid., no 61.

Michelet, Histoire de la Révolution, dans le chapitre sur la Fédération, t. II, p. 181 et 182.

mains jointes, des peuples entiers demandaient à être reçus dans la glorieuse famille française.

Ainsi avait fait, on l'a vu, le peuple avignonnais. Il est vrai qu'Avignon avait souffert cruellement de la domination des papes, pendant tout le temps qu'avait duré leur résidence dans cette ville devenue enfin leur propriété, par la vente que leur en fit une reine impudique. N'est-il pas là, toujours là, se hérissant sur son rocher, du côté du Rhône, cet édifice bâti pour être un palais, bâti pour être une prison, et qui cachait dans ses flancs monstrueux, à quelques pas des salles où avaient été torturées tant de victimes, les réduits impurs où s'était vautrée la luxure de leurs bourreaux? Pourtant, il faut le reconnaître, à l'époque de la Révolution française, tout cela était déjà bien loin dans le passé; à Avignon comme ailleurs, le fanatisme religieux avait eu à compter avec la philosophie, et depuis que les papes étaient revenus s'installer définitivement à Rome, leur gouvernement, qui ne pesait plus d'aplomb sur les Avignonnais, ne présentait rien que de très-tolérable. Pourquoi donc avaient-ils voulu, dès la fin de 1789, être Français, et l'avaient-ils voulu avec un emportement passionné? O prestige du droit victorieux! O puissance à jamais sainte de la justice sur les hommes, à certaines heures solennelles ! Et ce fut bien autre chose, lorsque, en 1790, appelés à Paris par l'immortel spectacle de la Fédération, les députés avignonnais purent raconter, au retour, les merveilles dont ils avaient été témoins! A partir de ce moment, le pacte sacré de l'union de ce peuple avec la France fut scellé irrévocablement au fond de tous les cœurs; que dis-je? un jour, sur la roche de Dons, un cri fut entendu, un cri monta vers le ciel, poussé par des milliers de voix, et ce cri était : Plutôt mourir que de ne pas vivre Français !

Dans le comtat Venaissin, même désir d'échapper au joug de Rome, même entraînement vers la France. Mais ici entre le parti des patriotes et celui des papistes la division

1 Révolutions de France et des royaumes, etc., no 50.

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