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manière si pathétique et en mettant la main sur son cœur ! Le club des Cordeliers osa publier un arrêté qui dénonçait à tout le peuple français le premier fonctionnaire de l'État, le premier sujet de la loi, le roi lui-même comme réfractaire aux lois du royaume1; et l'on s'arracha dans Paris, on y acheta jusqu'à un écu les exemplaires d'un numéro de l'Orateur du peuple, où il était question en ces termes d'un voyage que Louis XVI allait faire à Saint-Cloud :

<< Louis XVI, encore aujourd'hui roi des Français, arrête !... Où cours-tu? Tu crois raffermir ton trône, et il va s'abîmer! As-tu bien pesé les suites de ce départ, l'ouvrage de ta femme?... Le peuple n'ignore pas que, de Saint-Cloud, tu te disposes à partir pour Compiègne, et, de là, pour la frontière. En vain affectes-tu de répandre le bruit de ton retour pour la cérémonie de la Cène. Ne savons-nous pas que la bouche des rois est l'antre du mensonge? Je soutiens qu'avant jeudi tu seras dans les bras de Condé. Une furie te pousse dans le précipice. Tu pars, et dans quelles circonstances? Quand les prêtres réfractaires, profitant de cette quinzaine consacrée aux devoirs de la religion, alarment les consciences timorées, enflamment l'imagination ardente et superstiticuse d'un sexe crédule, distribuant de la même. main des chapelets, des bénédictions et des poignards! Tu pars, quand ton comité autrichien a disposé toutes les mèches de la contre-révolution, et qu'il ne faut plus qu'une étincelle pour embraser la France!... Mais tu t'y prends trop tard. Nous te connaissons, grand restaurateur de la liberté française!... Si ton masque tombe aujourd'hui, demain ce sera ta couronne... Je ne dis plus qu'un mot : Si tu pars, nous saisissons tes châteaux, tes palais, nous proscrivons ta tête. Que les Porsenna s'avancent : les Scévola sont prêts 2 ! »

Il partait, cependant, il partait au bruit de ces malédictions farouches, sachant bien qu'on l'arrêterait, qu'on

1 Révolutions de France et des royaumes, etc., no 73.

2 Camille Desmoulins reproduisit son article en entier dans son no 73.

essayerait de l'arrêter du moins, et courant au-devant d'une violence qui aurait l'avantage de le montrer à l'Europe... prisonnier. A onze heures donc, le 18 avril 1791, on vit sortir des Tuileries, chargées comme pour un voyage de cent lieues, des voitures où avaient pris place le roi, la reine, le dauphin, madame Élisabeth. « Le flux de la mer n'atteint pas plus promptement le rivage que les flots du peuple, en ce moment, ne circonvinrent les Tuileries 2? La Fayette accourt avec de nombreux détachements de gardes nationales; mais la plupart de ces bourgeois en armes, loin de vouloir combattre la multitude, paraissaient prêts à la seconder; plusieurs même avaient passé la nuit au bois de Boulogne, pour y attendre le roi et le ramener 3. On ferme les portes du palais, on entoure tumultueusement les carrosses, on saisit la bride des chevaux. Les environs retentissaient de clameurs; le tocsin sonnait à Saint-Roch. Vainement la Fayette parcourt les rangs de la garde nationale, menace, supplie, invoquant le décret qui permet au roi de s'éloigner de vingt lieues: Il ne partira pas; nous ne voulons pas qu'il parte! est le cri qui s'échappe de toutes les lèvres. Humilié de se voir pour la première fois désobéi par les siens, la Fayette court au directoire demander la loi martiale; mais Danton est là, il fait rejeter cette demande meurtrière, et au général, qui parle de donner sa démission, il crie d'une voix terrible: Il n'y a qu'un lâche qui puisse déserter son poste dans le péril 1. Alors, accompagné de Bailly, la Fayette se rend à l'Assemblée. On y discutait un projet de loi sur la marine. « Ce n'est point au milieu de la consternation générale, dit Malouet, qu'il est possible d'attacher votre attention à l'organisation de la marine; les lois de l'empire sont violées; la Constitution est attaquée dans la personne du monarque. A bas Malouet! répond le côté gauche, il provoque à la guerre civile !

1 Révolutions de France et de Brabant, no 73.

Ibid.

5 Mémoires de Ferrières, t. II, liv. IX, p. 272.

4 Révolutions de France et des royaumes, etc., no 73.

L'ordre du jour! l'ordre du jour! - L'ordre du jour est l'ordre public,» réplique Virieu. Mais de nouveaux cris s'élèvent, la discussion sur la marine est reprise, et, sans dire un mot de ce qui se passe au château, la Fayette et Bailly reviennent sur la scène de l'insurrection 1. Là, le général commande à la cavalerie de pousser ses chevaux, sabre en main. Elle refuse de tirer le sabre, mais elle avance, puis s'arrête devant les gardes nationaux qui, décidés à la lutte, présentent aux chevaux la pointe de leurs baïonnettes. Pendant ce temps, un grenadier disait à Louis XVI: Nous vous aimons, sire, mais vous, vous seul. La reine pleurait 2. Il y avait déjà une heure et demie que le roi attendait, dans sa voiture, le dénoûment de ce drame, lorsqu'un officier municipal vint le conjurer de se retirer, l'avertissant que tel était le vœu de la garde nationale aussi bien que celui du peuple. On ne m'avait pas dit cela, balbutia machinalement Louis XVI, et la famille royale rentra dans le palais.

La Fayette alla aussitôt à l'hôtel de ville donner sa démission, démarche plus habilc que sincère peut-être. AMarat, qui envenimait tout, elle fournit l'occasion de surnommer la Fayette le général Tartufe. Celui-ci avait dit: «L'opinion publique n'étant plus pour moi, le bon ordre est intéressé à ma retraite. Je rentrerai dans les rangs en qualité de simple grenadier". »

Le même jour, le département de Paris envoyait au roi une adresse que Danton et Kersaint avaient rédigée, dit Camille Desmoulins, mais dont il paraît que Talleyrand était tout au moins l'inspirateur, puisque plus tard, dans sa lettre justificative à la Convention nationale, il s'en faisait gloire. Cette adresse conscillait à Louis XVI d'éloigner les

1 Mémoires de Ferrières, t. II, liv. IX, p. 273.
2 Révolutions de France et des royaumes, etc., no 73.
Règne de Louis XVI, t. VI, § 27, p. 471. Paris, 1791.
4 L'Ami du peuple, no 439.

Révolutions de France et des royaumes, elc., no 73.
Voy. le Moniteur du 24 décembre 1792.

prêtres réfractaires, d'annoncer aux nations qu'il était à la tête d'un peuple libre. « Les circonstances sont fortes, sire; une fausse politique doit répugner à votre caractère et ne serait bonne à rien '. }}

Le 19 avril, l'Assemblée était en séance, lorsqu'un messager vint annoncer l'arrivée du roi. Il entra et dit:

« Messieurs, je viens au milieu de vous avec la confiance que je vous ai toujours témoignée. Vous êtes instruits de la résistance qu'on a apportée hier à mon départ pour SaintCloud. Je n'ai pas voulu qu'on la fît cesser par la force. J'ai craint de provoquer des actes de rigueur contre une multitude trompée, qui croit agir en faveur des lois lorsqu'elle les enfreint; mais il importe à la nation de prouver que je suis libre; rien n'est si essentiel pour l'autorité des sanctions et acceptations que j'ai données à vos décrets. Je persiste donc, par ce puissant motif, dans mon voyage de SaintCloud. Il semble que pour soulever un peuple fidèle, dont j'ai mérité l'amour par tout ce que j'ai fait pour lui, on cherche à lui inspirer des doutes sur mes sentiments. J'ai accepté, j'ai juré de maintenir la Constitution: la constitution civile en fait partie, et j'en maintiendrai l'exécution de tout mon pouvoir'. »

Qu'on rapproche ce langage de Louis XVI de celui que, trois jours avant, il tenait dans sa lettre secrète à l'évêque de Clermont, et qu'on dise si jamais prince poussa plus loin ce genre de duplicité qui naît de l'excès de la faiblesse !

Chabroud, qui présidait, répondit par des protestations, emphatiques et devenues bien banales, de dévouement à la personne du monarque; mais il évita soigneusement la question brûlante du voyage à Saint-Cloud. L'Assemblée comprenait la nécessité de cette réserve. Ne voulant ni violer ses propres décrets, ni affronter les fureurs populaires, elle menaça de l'Abbaye le marquis de Blacons, qui se préparait à agiter le débat, étouffa sous des clameurs calculées la voix de Cazalès, et s'ajourna.

1 Révolutions de France el des royaumes, elc.

2 Moniteur, séance du 19 avril 1791.

Quant à l'opinion publique, elle fut indignée d'une scène où iln'y avait eu franchise et dignité ni d'un côté ni de l'autre. On s'étonnait que Louis XVI eût osé affirmer son respect pour la constitution civile du clergé, quand il était connu de tous qu'elle lui faisait horreur; on se demandait ironiquement si c'était pour éviter l'emploi de la force, qu'il avait attendu, pendant près de deux heures, dans sa voiture, la proclamation de la loi martiale et l'arrivée des ordres homicides que la Fayette était allé chercher à l'hôtel de ville. C'était pourtant de ses déclarations sans bonne foi que l'Assemblée avait feint d'être touchée jusqu'aux larmes, répondant de la sorte au mensonge des paroles royales par le mensonge, presque plus honteux encore, de son enthousiasme et de ses transports! Ainsi parlaient ceux-là mêmes qui, moins républicains que Brissot, auraient eraint de s'écrier, comme il le fit à cette occasion : « Pourquoi l'Assemblée s'estelle levée devant le roi? L'ouvrier ne se lève pas devant l'instrument. »

Invitées par le conseil municipal à décider par oui ou par non, s'il fallait prier le roi d'exécuter son projet d'aller à Saint-Cloud, ou le remercier d'avoir préféré rester pour ne pas exposer la tranquillité publique, les quarante-huit sections répondirent sèchement :

1° Que les municipaux n'avaient pas le droit de dire aux municipes: Vous délibérerez par oui ou par non ;

2o Qu'il ne fallait point prier le roi d'aller à Saint-Cloud; 5o Qu'il ne fallait point remercier le roi d'avoir préféré rester, parce que, s'il est permis à un roi de mentir, le mensonge est indigne d'une grande et puissante nation.

Suivaient ces dures paroles : C'est le faible qui trompe 2. Et elles n'étaient que trop vraies, appliquées à Louis XVI. La preuve en fut presque aussitôt après fournie par la note que Montmorin, sur l'ordre exprès du roi, envoya à tous les ambassadeurs de France dans les cours étrangères et qui

1 Cité par Camille Desmoulins dans le no 73 de son journal.

2 Ibid.

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