Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

voyez chercher Pellenc immédiatement; qu'il scrute dans le plus grand détail le décret, qu'il en recherche tous les dangers POUR LA liberté publique... Il sait à fond ma doctrine à présent; mais je ne veux que la laisser entrevoir; je ne veux point la hasarder. Gagnons du temps, tout est sauvé... Soyez sûr, mon cher comte, que je ne m'exagère pas le danger et qu'il est immense. O légère et trois fois légère nation! Notre armée est, dans cette question, pour les trois quarts à l'abbé Sieyès. Vale et me ama 1.

[ocr errors]

Rien de plus obscur que cette lettre, de plus inconcevable. Mirabeau était-il pour la régence élective? Non, puisqu'il y voyait « la destruction de l'hérédité, c'est-à-dire la destruction de la monarchic, » et qu'il signalait le triomphe de ce système comme un immense danger. Oui, puisqu'il parlait de combattre le projet de décret présenté, lequel proposait la régence héréditaire.

La contradiction était flagrante, et, avec une audace dont il était seul capable, Mirabeau la porta sans hésitation à la tribune. En l'entendant argumenter en faveur de la régence élective, nul ne mettait en doute qu'il ne votât dans ce sens. Il fut si vif, si pressant, si clair! Et que de traits heureux, décisifs! Supposez le roi mineur étant très-jeune, que le plus proche parent soit très-vieux, n'est-il pas ridicule entre deux enfants de ne vouloir pas choisir un homme? Quand un roi est mineur, la royauté ne cesse pas, elle devient inactive; elle s'arrête comme une montre qui a perdu son mouvement; c'est à l'auteur de la montre à lui redonner son mouvement qu'on aille chercher le peuple! Mais les élections sont toujours accompagnées d'orages: exagération! Et puis, mc dépouillerez-vous de mon champ, sous prétexte que quelquefois la grêle y tombe? Il continua ainsi, mêlant à des raisons pleines de sens les éclairs de son esprit. Quel fut l'étonnement de l'Assemblée, quel fut le mécontentement des tribunes, lorsque, arrivé à la conclu

[ocr errors]

1 Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, t. III, p. 105 et 106.

sion, il déclara brusquement que, malgré ce qu'il venait de dire, et vu qu'après tout dans un régime constitutionnel la question de la régence était peu importante, il voterait avec le comité pour la régence héréditaire 1.

On ignore les motifs de cette bizarre conduite. En parlant pour et en concluant contre, voulait-il se ménager entre le peuple et le plus proche parent, le comte de Provence? Ou bien, avait-il pour but secret de semer autour de lui l'incertitude, de dérouter l'Assemblée, et d'enterrer la question ?? Ce fut dans ce débat, qu'entendant murmurer les tribunes, il rappela le mot de Cromwell à Lambert, un de ses compagnons, lequel se montrait enivré des applaudissements de la multitude: « Ce peuple, s'il nous voyait monter au gibet, nous applaudirait bien davantage 3. »

Autant l'attitude de Mirabeau fut équivoque dans l'affaire de la régence, autant dans celle des mines elle fut nette et décidée.

Il s'agissait de savoir si les mines devaient appartenir à l'État ou aux propriétaires du sol supérieur; s'il convenait d'en livrer l'exploitation aux propriétaires de la surface, ou à des compagnies élues du gouvernement; si les anciennes concessions des mines seraient maintenues ou abolies. Or, un rapport fait au nom des comités d'agriculture et de commerce avait conclu à ranger les mines au nombre des propriétés publiques dont il était loisible à l'État de disposer par voie de concession, sauf à accorder la préférence pour l'exploitation aux propriétaires de la surface.

Cette conclusion, très-conforme d'ailleurs aux vrais principes, Mirabeau avait à l'adopter un intérêt de cœur. Si le système des concessions cût été écarté, M. de la Marck y eût perdu une des plus importantes parties de sa fortune.

1 Voyez l'Histoire parlementaire, t. IX, p. 190-196.

La constitution du 3 septembre 1791 déféra la régence au plus proche parent du roi mineur, prononça l'exclusion des femmes et décida qu'à défaut d'un parent légalement capable, la régence sortirait d'une élection à deux degrés.

Biographie universelle, au mot MIRabeau.

Ami fidèle, Mirabeau s'occupa de prévenir ce résultat, avec un zèle dont ses douleurs physiques ne purent ni glacer ni distraire l'ardeur. Il fit composer par Pellenc, un de ses collaborateurs, des discours qu'il étudia soigneusement, auxquels il ajouta, auxquels il retrancha, qu'il fit siens; et une fois armé de pied en cap, il se présenta dans la lice. Le parti des opposants était très-fort, très-nombreux, et Mirabeau sentait la vie lui échapper. Mais l'amitié est une puissance. Dans un premier discours qu'il prononça sur la matière le 21 mars 1791, il ébranla l'Assemblée. La victoire néanmoins n'était pas assurée; il fallait un second coup. Le jour où Mirabeau devait le frapper, le 27 mars, il se rendit chez le comte de la Marck avant neuf heures du matin. L'empreinte de la mort était sur son visage; en arrivant, il s'évanouit. Quand il revint à lui, il parla d'aller à l'Assemblée. Son ami essayant de le retenir : « Non, non, dit-il, si je n'y vais pas, ces gens-là vont vous ruiner. » Trop faible pour marcher, il sonna, se fit apporter du vieux vin de Tokay, en but deux verres, monta en voiture et partit. Vers trois heures, il reparut chez le comte de la Marck. Cinq fois, dans l'Assemblée, il avait pris la parole, épuisant dans ce généreux et suprême effort tout ce qui lui restait de flamme divine. En entrant dans la chambre du comte, il se jeta sur un canapé, et dit : Votre cause est gagnée, et moi je suis mort1.

Six semaines auparavant il avait acquis près d'Argenteuil une jolie maison appelée le Marais. Il s'y rendait tous les samedis pour respirer un air pur, jouir de l'aspect d'un beau ciel, et surveiller des travaux qu'il aimait, parce que c'était du pain assuré à de pauvres ouvriers; car l'histoire lui doit cette justice que le malheur ne le trouva jamais indifférent. Il avait autorisé le curé d'Argenteuil, raconte Cabanis, à tirer sur lui des lettres de change cn pain, viande, gros linge, pour les malades ou pour les nécessiteux

1 Note du comte de la Marck, dans la Correspondance, etc., t. III, p. 92

invalides1. » Ce fut dans cette campagne qu'il se fit porter, en sortant de chez le comte de la Marck. Il y passa la nuit, en proie à des angoisses dont l'éloignement de tout secours aggravait l'impression sinistre; et le lendemain ses souffrances augmentant, il rentra dans Paris. Ayant pris un bain, il se sentit tellement calme, qu'il alla à la comédic. Mensongère lucur d'espoir! Ses jours étaient comptés.

Il avait pourtant reçu de la nature une constitution de fer, et c'est à peine si, selon le mot de Dante, il était alors au milieu du chemin de la vie; mais même en écartant toute hypothèse d'empoisonnement, quel homme cût résisté longtemps à la fatigue d'un esprit qui ne connut pas de halte, aux tourments d'une activité sans exemple et sans frein, à l'homicide empire de toutes les passions, à l'insatiabilité du désir? A propos de bruits qui avaient couru sur une orgie nocturne à laquelle on assurait que Mirabeau avait assisté dans les commencements du mois de mars, Millin, rédacteur de la Chronique de Paris, raconte, dans une lettre publique, que c'était lui qui avait amené Mirabeau dans la maison dont on parlait; qu'à la vérité Mirabeau s'était retiré fort tard, mais qu'il avait peu mangé et ne s'était abandonné à aucun excès fatal. «Que prouve cette lettre, s'écrie Brissot dans ses Mémoires, sinon que ce ne fut pas dans cette soirée-là ni au milieu de ses amis qu'il épuisa les restes de sa vie? » Et d'un ton péremptoire, Brissot ajoute: « Quelques jours avant la maladie qui l'emporta, il avait passé une nuit dans les bras de deux danseuses de l'Opéra, mesdemoiselles Hélisberg et Coulomb. Voilà celles qui l'ont tué; il ne faut pas en accuser d'autres 3. »

Quoi qu'il en soit, Mirabeau était atteint mortellement. Forcé, dans la soirée du 28 mars, de quitter le théâtre, il eut beaucoup de peine à descendre de sa loge, et sa voiture ne s'étant pas trouvée au rendez-vous marqué, il se traîna chez

1 Journal de la maladie et de la mort de Honoré-Gabriel- Victor Riquetti Mirabeau, p. 21 et 22.

2 Lettre d'Aubin-Louis Millin, dans la Chronique de Paris, no 96. 3 Mémoires de Brissot, t. III, ch. xvш, p. 199 et 200.

lui, non sans d'horribles souffrances, appuyé sur le bras de Lachèze, ami de Cabanis, son médecin.

Celui-ci, accouru en toute hâte, trouva le malade dans un état affreux. « Mon ami, lui disait l'Hercule agonisant, il m'est impossible de vivre plusieurs heures dans des anxiétés si douloureuses. Hȧtez-vous, cela ne peut pas durer 1. » Il cut néanmoins vers le soir quelques instants de calme, sc crut sauvé, et s'écria avec une joie touchante : « Qu'il est doux de devoir la vie à son ami 2! »

Cependant, la nouvelle de la maladie de Mirabeau s'étant répandue, ce fut dans tout Paris une émotion profonde, silencieuse, indéfinissable. Tacite raconte que lorsque Agricola mourut, on ne cessait de venir chez lui, de parler de lui dans les places publiques, et que Domitien lui-même, selon l'usage de la souveraineté qui se fait toujours suppléer, envoya au malade ses médecins de confiance, ses affranchis. Ainsi arriva-t-il pour Mirabeau mourant. Autour de la maison d'où il ne devait plus sortir que dans un cercucil, on vit accourir et se presser des hommes de tout état, de tout parti, de toute opinion. Le roi, la reine, le comte de Provence, envoyèrent leurs pages. « Sachons gré à Louis XVI, écrivaient les successeurs républicains de Loustalot, de n'y être pas allé lui-même; on l'aurait idolâtré. » La société des Jacobins députa quelques-uns des siens, et Barnave à leur tête. Alexandre Lameth n'était pas à Paris; son frère Charles refusa de se joindre à la députation, en disant : « Je ne sais point mentir, » et Camille Desmoulins loue la franchise de ce refus. Mais lui-même, lui qui depuis quelques jours attaquait si violemment le grand orateur, lui qui, le lendemain des funérailles, exprima le regret de n'avoir pu suivre les derniers moments de Mirabeau « pour observer s'il se faisait toujours appeler par ses domestiques monsieur le comte, et s'il ambitionnait encore le rôle de Richelieu

1 Cabanis, Journal de la maladie et de la mort de Mirabeau, p. 33.

2 Ibid., p. 35.

3 Révolutions de France et de Brabant, no 72.

4 Révolutions de Paris, no 91.

« ZurückWeiter »