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CHAPITRE VIII.

MORT DE MIRABEAU.

Dépérissement de Mirabeau.

·Prodigieuse activité de ses derniers jours. Libelles publiés contre lui; la femme du cantinier Mouret, madame Saint-Huberti, Henriette Nehra, madame le Jay. - Tentatives d'empoisonnement soupçonnées; lettre de Mirabeau à cet égard. Ses accès de mélancolie. Son étrange attitude dans les débats sur la régence. Affaire des mines. Visite de Mirabeau au comte de la Marck: Votre cause est gagnée, et moi je suis mort. La maison de campagne du Marais. Premières attaques de la mort. Lettre publiée par AubinLouis Millin. Mesdemoiselles Hélisberg et Coulomb. - Émotion universelle, à la nouvelle de la maladie de Mirabeau. - Étranges appréhen

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sions de la cour. Mirabeau sur son lit de mort.

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Ses cen

Caractère héroïque de son agonie. Il meurt. Tout Paris en deuil. Soupçons d'empoisonnement partout répandus; effroyables accusations contre les Lameth; événement singulier arrivé dans la nuit du fer au 2 avril. Honneurs extraordinaires rendus à Mirabeau. - Ses funérailles. dres au Panthéon. Tous les partis se réunissent pour le pleurer. Douleur fastueuse de madame de Montesson. Regrets exprimés par les Sabbats jacobites, par le Père Duchesne. — Dures paroles de Camille Desmoulins. cimetière des suppliciés; ce qu'elle contient. Quel devra être sur Mirabeau l'arrêt de la postérité? Son rôle était fini, quand il est

mort.

Mirabeau jugé par Marat.

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Un grand vide va se faire dans la Révolution et dans l'histoire Mirabeau se meurt. Il se meurt, et tout l'annonce; son visage livide et flétri, les ondulations effacées de sa chevelure, les ombres qui passent sur son front, ses défaillances soudaines. D'où vient cependant que nous le retrouvons partout, et au club des Jacobins et à la tribune de

1 Journal de la maladie et de la mort d'Honoré-Gabriel- Victor Riquelli Mirabeau, par S. C. Cabanis. Paris, 1791.

l'Assemblée, et à la tête de son bataillon, et au théâtre, et dans les banquets? Homme étrange! La cour continue à recevoir ses conseils; de ses puissantes lèvres s'échappent, plus pressées et plus impétueuses que jamais, les paroles d'où sortent les événements; son énorme correspondance ne s'est point ralentic; comme à l'ordinaire, il distribue les matériaux de son génie à ses collaborateurs étonnés; comme à l'ordinaire, il fait de ses journées la proie du travail et de ses nuits la proie du plaisir. Si son secrétaire lui dit : «Monsieur le comte, ceci est impossible; » il répond d'un ton dominateur : « Ne me dites pas ce bête de mot 1. » Car tel est son orgueil.

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Or, pendant que la mort est sur lui, et que, dans la robe de Déjanire attachée à ses flancs, il s'agite, se débat et se consume, des ennemis, plus implacables que la mort ellemême, s'étudient à lui ronger le cœur. Encore quelques jours, on l'adorera : en attendant, on le déchire. Confession générale du comte de Mirabeau ! PRIX RIEN! Voilà ce que des inconnus s'en vont criant, au détour des rues populeuses; ou bien, sous le titre, plus sérieux, de Vie publique et privée de Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, c'est le tableau de tous les désordres de sa vie qu'on expose. Mêlant le faux au vrai 2, ct à de tristes réalités le poison de leurs commenta ires, les libellistes disent :

Vous voyez cet homme qui passe d'un air si superbe et que chacun montre du doigt en murmurant : Voilà Mirabeau! Eh bien, il faut que vous connaissiez sa vie. Jeune, et déjà marqué du sceau de la malédiction de son père, déjà traînant après lui les soupçons d'une jalousie incestucuse, il conquit à force d'artifices mademoiselle de Marignane, et bientôt l'abandonna. Par lui, au château d'If, la femme

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1 Étienne Dumont, p. 311.

Car, malheureusement, tout n'était pas faux dans ces violentes attaques. Voyez ce que dit Brissot dans ses Mémoires, t. III, chap. xvII. Et Brissot, bien avant la Révolution, avait été lié assez intimement avec Mirabeau.

du cantinier Mouret fut séduite et polluée. Par lui, Sophie Monnier... ; mais qui ne sait cette histoire? - Prisonnier au fort de Vincennes, il y plongeait son intelligence dans les sources les plus infectes de la débauche et y donnait un émule à l'Arétin. Redevenu libre, il devint vagabond, se fit l'amant d'une comédienne riche et laide, madame Saint-Huberti, et vécut des largesses de la volupté. Puis, ce fut Henriette Nehra qu'il promena d'Amsterdam à Londres, et de Londres à Paris, où il devait la remplacer par la femme de son libraire. - Ce bandeau vert dont il couvre quelquefois ses yeux malades, c'est un soufflet qui l'a rendu nécessaire, un soufflet reçu par lui de madame le Jay dans les querelles de l'amour. Du moins, s'il s'était abstenu de répandre au loin sa corruption! Mais de quelle plume sont sorties tant de productions obscènes, le Rubicon, le Libertin de qualité ou l'éducation de Laure?— Il mène grand train aujourd'hui, se compose une bibliothèque fastueuse, fait décorer magnifiquement sa maison de campagne, donne des festins d'Apicius; et il y a quelques années à peine, perdu dans Londres, il y consignait le drame de son indigence dans des lettres telles que celle-ci : «Madame Nehra vient de perdre une tante qui répare un peu les torts que lui a faits l'autre. Il lui faut une robe noire pour aller chez l'ambassadeur, y faire les formalités nécessaires. Te serait-il possible de me procurer à crédit, de suite, une robe de raz de Saint-Maur? car nous n'avons pas le sou. Je n'ai, quant à moi, que des boucles ridicules et non portables, et point de boucles de jarretières, etc., etc... » De cet excès de misère, quels sentiers impurs ont donc conduit cet aventurier prodigieux au degré d'opulence où il est aujourd'hui ? Ah! la cour le sait bien. et pourrait le dire!... Voilà, voilà Mirabeau 1.

Ainsi parlait la haine : comment agissait-elle? Lui au

1 Voyez dans la Bibliothèque historique de la révolution du British Museum, 284-5 et 288-9, la Vie publique et privée de Honoré-Gabriel-Riquetti, comte de Mirabeau, dédiée aux amis de la Constitution. La Vie privée de Riquetti · La Confession générale du comte de Mirabeau, etc., etc.

rait-il suffi d'assassiner moralement un tel homme? Dans les mémoires publiés par son fils adoptif, il est dit que plus d'une fois madame du Saillant avait dû faire jeter des présents de comestibles, de vins fins, de liqueurs envoyés par des personnes inconnues; qu'il était arrivé à Frochot, en novembre 1790, et à Pellene, en décembre suivant, d'être fort incommodés pour avoir pris une tasse de café destinée à Mirabeau ; que des avertissements venus du loyal Cazalès faisant croire à de noirs projets, la famille avait pris l'alarme, et cela, au point que madame du Saillant avait commis son fils pour que, bien armé et sccrètement suivi de domestiques sûrs, il accompagnât son oncle, lorsque celui-ci, ignorant de quelle affectueuse vigilance il était entouré, partait tard pour Argenteuil '.

Les mêmes mémoires donnent le fac-simile de la lettre suivante écrite par Mirabeau à une femme qui lui avait révélé, à ce qu'il paraît, un projet d'assassinat :

Je n'ai jamais trompé personne, bien que j'aie été trompé toute ma vic; et certes, je ne commencerai pas par celle qui veut me rendre un si grand service. Ni votre mari, ni le malheureux qui n'a pas voulu, ne seront jamais compromis. Je ne mets de suite, contre le scélérat avéré luimême, qu'au désir de connaître son instigateur, dont il est clair que les machinations peuvent envelopper plus que moi, qui, seul même, vaudrais mieux encore que d'être immolé par un tel crime. Comps ne saura rien, Frochot rien, Pellenc lui-même ne saura quelque chose que parce que vous lui en avez parlé la première 2. »

Ce qui est certain, c'est que Mirabeau, se sentant dépérir, avait fini par ouvrir son âme aux mélancoliques pensées; suivant l'expression d'un auteur anglais, il voyait venir les messagers du pâle repos. Ses amis intimes ont raconté qu'à cette époque il demandait à tout le monde des épi

1 Mémoires de Mirabeau, t. VIII, liv. IX, p. 424, 425 et 426. 2 Ibid., p. 425.

8 « Heralds of the pale repose. » Carlyle, the French revolution, vol. II, ch. vn, p. 470.

taphes'. Lorsque, partant pour Genève, Étienne Dumont lui alla faire ses adieux, il l'embrassa avec une émotion extraordinaire, et comme à la veille de partir lui-même pour le sombre voyage d'où l'on ne revient plus. Un jour, quittant madame du Saillant et ses filles, il dit à la troisième, dont la fraîcheur avait un éclat singulier : C'est la mort qui embrasse le printemps 2. »

Mais l'indomptable orgueil, l'ambition, le dévorant besoin d'agir, l'ardeur des amitiés fidèles, les désirs impétueux, tout cela surnageait dans ce cœur plein de contradictions et d'abîmes.

Les derniers débats qui appelèrent Mirabeau à la tribune, furent ceux que soulevèrent d'une part la question de la régence, et de l'autre la question des mines.

Dans le cas où le roi viendrait à mourir laissant un fils mineur, la régence serait-elle élective, ou bien héréditaire, c'est-à-dire déférée au membre de la famille royale le plus rapproché du roi mincur? Tel fut le point qu'on discuta dans les séances des 22, 23, 24 et 25 mars 1791. Et ici encorc, Mirabeau déploya un talent qui n'eut d'égal que l'éclat de son inconséquence. Le 24 mars, il écrivait de l'Assemblée au comte de la Marck:

« Nous sommes dans un très-grand danger. Soyez sûr que l'on veut nous ramener aux élections, c'est-à-dire à la destruction de l'hérédité, c'est-à-dire à la destruction de la monarchic. L'abbé Sieyès n'a jamais courtisé l'Assemblée, ni agioté une opinion comme il le fait, et ses partisans sont très-nombreux. Je n'ai jamais été vraiment effrayé qu'aujourd'hui. Je me garderai bien de proposer demain ma théorie. Je porterai toutes mes forces à ajourner, en critiquant le projet du décret, en prouvant qu'il est insuffisant, incomplet, qu'il préjuge de grandes questions, etc..., etc....... Certainement ma théorie ne passerait pas, et très-probablement l'ajournement réussira; alors on pcut travailler. En

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