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servation de ces formes rigoureuses n'emporteraient aucune flétrissure;

Qu'il serait sévi d'une manière terrible contre les fauteurs ou participants de toute insurrection nouvelle ;

Qu'enfin, il serait libre à tout officier, sous-officier ou soldat, de faire parvenir ses plaintes, soit aux ministres, soit à l'Assemblée nationale, directement et sans avoir besoin de l'attache d'aucune autorité intermédiaire '.

Ce fut la Fayette qui, en cette occasion, poussa Emmery en avant et fit rendre le décret du 6 août. Mais il n'entendait point s'arrêter là; car il commençait à avoir peur de la Révolution, et il soupirait après le moment de voir, suivant ses propres expressions, « l'ordre constitutionnel remplacer l'anarchie révolutionnaire 2. » Frapper un coup imposant, voilà ce qui le tentait, voilà sur quoi il ne craignit pas de se concerter avec Bouillé, lequel, pour être mieux en état de frapper ce coup imposant, avait reçu le commandement de toute la frontière de l'est, depuis la Suisse jusqu'à la Sambre.

Rien ne pouvait être plus funeste, dans les circonstances, qu'un pareil choix. Bouillé possédait des qualités éminentes, il était d'un courage à l'épreuve, audacicux avec calcul, dévoué à son parti, et il avait la résolution du fanatisme sans en avoir l'aveuglement. Lors de la dernière guerre contre les Anglais, il s'était couvert de gloire en s'emparant de plusieurs de leurs colonies, et c'était en récompense de services incontestables, qu'il avait été successivement nommé gouverneur des îles du Vent, puis licutenant général des armées du roi, puis chevalier de ses ordres. Mais on connaissait trop son attachement à la contrc-révolution; son refus de prêter le serment civique avait fait scandale; on se rappelait qu'au mois d'avril 1790, il avait mis toute la garnison sous les armes pour s'opposer à l'entrée de quatre-vingt-cinq gardes nationaux, appelés à

1 Moniteur, séance du 6 août 1790.

2 Voy. sa lettre à Bouillé, dans les Mémoires de celui-ci, chap. VII, p. 136. 3 Ibid.

la Fédération de Nancy 1. N'était-ce pas vers lui, d'ailleurs, que, dans tous ses projets de fuite, la cour avait tourné ses regards?

Un autre choix presque aussi malheureux fut celui de Malseigne. Cet officier, auquel fut confiée la mission délicate de faire exécuter, à Nancy, le décret du 6 août et qu'on manda pour cela de Besançon, s'était acquis une sorte de célébrité sombre. On le réputait la première lame de l'armée, et sa meurtrière habileté se trouvait au service d'un esprit querelleur, d'un naturel impétueux et violent. S'il s'était agi d'activer l'incendie qu'il s'agissait, au contraire, d'éteindre, nul n'y eût été plus propre 2. Était-cc donc là ce que la cour voulait? Et la Fayette, grand approbateur 3 de ce choix insensé, tremblait-il de perdre l'occasion de frapper un coup imposant?

Le décret du 6 août fut connu à Nancy le 9, mais par les papiers publics seulement; et comme les soldats voulaient terminer leurs comptes avant l'arrivée officielle du décret, ils redoublèrent de clameurs. Le 10, ceux du Régiment-du-Roi obtinrent qu'on leur délivrât, sur ce qui leur était dû, une somme de 150,000 liv., qui, partagée entre eux, procura å chacun 75 liv. Plus tard, les officiers prétendirent que cette somme leur avait été arrachée par la menace : c'était faux, et cela résulte d'une instruction écrite de la main même d'un officier supérieur du régiment, dans le rapport des commissaires du roi 4. Ce qui est vrai, c'est que cette distribution produisit, ainsi que l'observa Sillery, deux effets funestes le premier, de fournir aux soldats le moyen de fraterniser le verre en main avec des excitateurs vulgaires,

1 Histoire abrégéc de la Révolution française, par l'auteur de l'Histoire du règne de Louis XVI, t. I, liv. II, p. 59.

2 Le sens commun du bonhomme Richard sur l'affaire de Nancy. Philadelphic, an n.

3

Voy. sa lettre à Bouillé, dans laquelle il parle du choix de Malseigne, comme étant fort agréable à l'Assemblée. Mémoires du marquis de Bouillé, chap. VIII, p. 136.

4 Voy. le rapport de MM. Duveyrier et Cahier, commissaires nommés par le roi, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — NANCY, 326-328.

le second de pousser dans les mêmes voies Mestre-de-Camp et Châteauvieux.

Le 11, en effet, les Suisses députèrent au major deux d'entre eux, pour lui demander, aux termes des décrets de l'Assemblée, connaissance des comptes. On leur répondit en les passant par les courroics. Mais à la manière dont on les épargna en les frappant, il fut aisé de juger que leurs camarades étaient loin de blâmer leur conduite 1. Aussitôt, grande ébullition. Les deux régiments français courent aux casernes des Suisses, forcent les portes de la prison, mettent en liberté les deux captifs, et, l'épée nue, obligent le colonel à les réhabiliter. On les conduit ensuite triomphalement aux quartiers du Régiment-du-Roi et de Mestre-deCamp, pendant que les officiers suisses sont gardés à vue, et que Salis, le major, est contraint de se cacher ".

C'était le 12 qu'on devait publier le décret du 6, et Denoue avait donné l'ordre à tous les régiments de rester à leur quartier. Malgré l'ordre, ils prennent les armes, se rendent à la place Royale, s'y rangent en bataille, ayant dans leurs rangs le Régiment-du-Roi un des soldats suisses, et Mestrc-de-Camp l'autre. Denoue accourt. A sa vuc, un murmure effrayant s'élève, un soldat s'avance et se met à lire à haute voix une lettre dans laquelle le gouverneur militaire de Nancy s'était servi des mots brigandage des troupes. Denoue sentit qu'il était perdu s'il ne se justifiait. Il déclara que jamais il n'avait eu intention d'appliquer le nom de brigands à des soldats parmi lesquels il scrvait depuis trente ans ; il affirma qu'il les tenait, au contraire, pour des militaires pleins d'honneur, et, passant dans les rangs, il acheva de les calmer par de douces paroles. Le décret du 6 fut proclamé, mais la discipline était irrévocablement anéantie 3. Il fallut donner aux deux Suisses cent louis de dédommagement, et ceux de Châteauvieux se firent délivrer, le 13, 27,000 livres, que,

1 Détail des événements survenus à Nancy, par le baron de Salis-Samade. 2 Rapport de Sillery, p. 20. - Procès-verbal de la municipalité de Nancy. & Ibid., p. 21.

le soir même, ils dépensèrent dans une fête offerte à leurs camarades, fête que, d'ailleurs, la municipalité autorisa 1. Le lendemain, 200 soldats allaient enlever la caisse, la transportaient à leur quartier. Ils se justifièrent sur ce que la honte de voir la caisse du régiment gardée par la maréchaussée leur avait paru intolérable. Du reste, ils avaient eu soin de dresser procès-verbal de ce qu'elle contenait, et on la trouva parfaitement intacte; car toute la conduite de la garnison de Nancy, à cette époque, présente un mélange extraordinaire d'emportement et de repentir, d'avidité et d'honneur, de respect aux chefs et de rébellion, le même, au reste, qui, à plusieurs siècles de distance, caractérisa le soulèvement des légions de Germanic!

Les choses en étaient là, lorsque, à Paris, l'homme de la Fayette, le député Emmery, se présenta à l'Assembléc, la consternation peinte sur le visage, et tenant à la main une lettre dans laquelle Denoue racontait les faits, en les exagérant, et en s'y faisant, pour mieux effrayer les représentants du peuple, l'écho de mille vaines rumeurs. A l'entendre, les soldats étaient à la veille de couronner un commandant de la garnison; ils devaient le conduire dans un char, et ce char, ils entendaient réduire les officiers à l'humiliante obligation de le traîner eux-mêmes ! Après avoir donné lecture de la lettre de Denoue, ainsi que d'un procès-verbal de la municipalité de Nancy, où à des accusations vraies contre les soldats se mêlaient d'habiles calomnies, Emmery s'écria: «Tout presse, tout brûle, » et il surprit à l'effroi de l'Assemblée un décret qui ressemblait à une condamnation. «Ceux, y était-il dit, qui, ayant pris part à la rébellion, de quelque manière que ce soit, n'auront pas, dans les vingt-quatre heures à compter de la publication du présent décret, déclaré à leurs chefs respectifs, même par écrit, si ces chefs l'exigent, qu'ils reconnaissent leurs erreurs et s'en repentent, seront poursuivis et punis comme fauteurs et participes du crime de

1 Rapport de Sillery, p. 21. — Procès-verbal de la municipalité de Nancy.

lèsc-nation 1. » C'était juger la cause sans l'avoir instruite. Le décret du 16 août venait à peine d'être rendu, qu'on voyait arriver à Paris huit soldats, envoyés en députation à l'Assemblée par la garnison de Nancy, pour exposer les faits et prévenir un jugement précipité. Ces huit députés avaient obtenu, avant de partir, le consentement de leurs chefs, ils étaient munis de congés en bonne forme, et avaient même reçu officiellement 3,000 livres pour les frais de voyage 2. Et cependant, sur un ordre signé du roi, ils furent traités comme de vils malfaiteurs. Louvain-Pescheloche, capitaine de la garde nationale parisienne, avait reçu mission de les arrêter : il les conduisit à la Force. On juge si cette violence passa inaperçue! Tous les journaux patriotes sonnèrent l'alarme, les boutiques du faubourg Saint-Antoine furent fermées, et au travers du mugissement populaire monta une voix bien connue depuis, celle du brasseur Santerre 3.

Le 18, les prisonniers firent un mémoire de leurs griefs, et, le 19, ils furent transférés aux Invalides, où les comités se rendirent pour les interroger 4. Le jeune grenadier qui prit la parole, au nom de ses camarades, s'exprima en homme et en soldat: « Ce n'est point parmi les officiers, dit-il, que la Révolution trouvera scs vrais défenseurs. Laissez-nous nous instruire les lumières banniront du milicu de nous des vices qui ne sont que le résultat d'habitudes grossières et de l'ignorance; elles nous donneront de l'honneur, et si l'armée est conduite par l'honneur, ce sera son mcilleur général, son plus habile capitaine. Nous sommes pauvres, mais vous avez décreté que les hommes sont égaux en droits, qu'ils sont libres".

↑ Moniteur, séance du 16 août 1790.

2 Rapport de Sillery, p. 22.

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3 Carlyle, The French Revolution, vol. III, book II, chap. IV, p. 103. Second edition.

4 Lettre de Louvain-Pescheloche, en réponse à celle de M. Sillery, rapporteur de l'affaire de Nancy, p. 3, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. NANCY, 526, 7, 8. British Museum.

5 Journal des révolutions de l'Europe, t. XIII, p. 18.

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