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Que l'alliance anglaise n'était pas sûre;

Que les Turcs pouvaient faire leur paix d'un moment à l'autre ;

Quc, du reste, il était temps d'en finir le plus tôt possible avce le danger incalculable des principes nouveaux proclamés en France, comme le prouvait trop bien cette fédération du Champ-de-Mars, où l'on avait publiquement reçu insolent défi lancé aux rois la prétenduc ambassade des patriotes de tous les pays 1.

Ces considérations prévalurent dans l'esprit de FrédéricGuillaume, que tentait d'ailleurs la gloire de se poser en médiateur de l'Europe. Le baron de Spielmann, négociateur confidentiel du prince de Kaunitz, fut chargé de s'aboucher mystérieusement avec le général Bischofswerder, rival du ministre dirigeant; Léopold, intervenant d'une manière directe, ouvrit avec le roi de Prusse une correspondance pressante, et, en peu de temps, les choses furent conduites. au point qu'à Reichembach, où était le quartier général de Frédéric-Guillaume, et tandis que les armées se trouvaient en présence, les démarches secrètes firent place à des négociations officielles 2.

Hertzberg se sentait à la veille de perdre le fruit de ses longs efforts. N'ayant pu prévenir les négociations qui allaient du même coup ruiner sa politique et son crédit, il essaya de les entraver par la prétention, fièrement avouée, de dicter les lois de la paix. Il demanda que l'Autriche, conservant Belgrade, Orsova et la partie de la Croatie enlevée aux Turcs, rétrocédât la Gallicie à la Pologne, qui, de son côté, aurait abandonné à la Prusse Thorn et Dantzick, c'està-dire la domination de la Vistule. Mais Catherine II aurait-elle donné la main à un tel accroissement de la puissance prussienne, ou l'aurait-elle souffert sans murmure? Léopold savait bien que non. Hertzberg eut beau insister;

1 Louis-Philippe de Ségur, Tableau historique et politique de l'Europe, t. I, chap. vi, p. 293 et 294.

Mémoires tirés des papiers d'un homme d'Étal, t. I, p. 84.

Spielmann, qui était muni d'instructions précises, fut inébranlable. Pendant ce temps, Bischofswerder et les illuminés monarchiques entouraient Frédéric-Guillaume, le pressaient, l'animaient contre son grand ministre... Quelle fut la consternation d'Hertzberg, lorsque tout à coup il reçut l'ordre d'apposer sa signature à des articles préliminaires dont il n'avait pas eu le secret, qui avaient été déjà convcnus sans sa participation, et où il n'était question ni de Thorn, ni de Dantzick, ni de rien qui fût de nature à rendre la paix avantageuse à la Prusse! Il obéit en frémissant, et le congrès se termina par une convention définitive conclue le 5 août 1790. Léopold s'engageait :

1o A ouvrir avec la Porte Ottomane des négociations pacifiques;

2o A donner à la Prusse l'équivalent des cessions que les Turcs pourraient lui faire;

5o A ne plus prêter à la Russie aucun secours, dans le cas où cette puissance refuserait de terminer la guerre du Levant.

A ces conditions, Frédéric-Guillaume promettait son vote dans la prochaine élection de Léopold comme roi des Romains, et son appui pour soumettre les Belges 1.

C'était à l'Autriche que revenaient les avantages réels de celte convention célèbre. Joué, trompé, abreuvé de dégoûts, Hertzberg, après plus de cinquante ans de glorieux services rendus à la Prussc, se prépara à laisser le champ libre à scs rivaux 2.

La paix de Vérela, qui désarma dans le Nord Catherine II et le roi de Suède, suivit de près. Gustave s'était tiré en héros des plus grands périls, mais il avait dû s'avouer que son pouvoir n'était pas aussi vaste que son cœur ; et, pour ce qui est de Catherine, l'habile modération de Léopold lui avait ouvert les yeux. La convention de Reichembach était

1 Annual Register, vol. XXXIII, chap. 1, p. 18, et Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 85 et 86.

2 Louis-Philippe de Ségur, Tableau historique et politique de l'Europe, t. 1, chap. vIII, p. 301.

du 15 août 1790 1. Dix-huit jours après, la paix de Vércla fut signée.

Tels furent les événements qui, en changeant d'une manière soudaine le système général de l'Europe, permirent aux souverains de porter sur la Révolution française un regard plus attentif.

Gustave qui, par la paix de Vérela, perdait l'emploi de son humeur guerrière, était homme à chercher dans une croisade monarchique l'honneur d'une aventure qui illustrât son courage.

Catherine se sentait humiliée de la protection qu'elle avait aveuglément accordée à une philosophie dont les conséquences étaient devenues depuis si alarmantes pour les têtes couronnées. Elle écrivait au prince de Ligne France a douze cents législateurs auxquels personne n'obéit en France, excepté le roi 2. »

« La

Léopold avait entièrement adopté les vucs du prince de Kaunitz sur l'utilité d'une alliance intime entre la maison de Bourbon et la maison d'Autriche, alliance toute monarchique que la Révolution française tendait naturellement à rendre vaine; et, d'autre part, pouvait-il oublier que Marie-Antoinette était sa sœur? Il était donc sollicité à intervenir par un double intérêt un intérêt politique et un intérêt de famille.

Quant au roi de Prusse, sa sympathie pour Louis XVI fut aisément éveillée et habilement entretenue par le marquis de Moustier, envoyé de France, diplomate instruit et dévoué au monarque français 3. Frédéric-Guillaume accueillit avec une faveur marquée le maréchal de camp Heymann, que Louis XVI lui avait recommandé, et on le vit de jour en jour plus prodigue des témoignages de sa sollicitude.

Comment, du reste, les souverains étrangers auraient-ils pu se défendre d'une terreur profonde, lorsque des libelles, signés de noms imposants et répandus avec profusion dans

1 Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 86.

2 Révolutions de France et de Brabant, us 63.

3 Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, l. I, p. 92.

toute l'Europe, leur représentaient la France comme un cirque de bêtes féroces? Réfugié à Londres depuis sa chute, Calonne ne poursuivait-il pas la Révolution de ses calculs où chaque chiffre était une injure? Mounier n'avait-il pas fui l'Assemblée ainsi qu'il aurait fait une noire caverne? Et Lally-Tollendal, complice gémissant de cette désertion, n'avait-il pas, dans sa seconde lettre à ses commettants, retracé les événements d'octobre, la pompeuse captivité de Louis XVI et le sort de la reine, de manière à émouvoir d'une pitié mêlée d'indignation le cœur de tous les souverains 1? Lally ne s'en tint pas là. La seconde lettre à ses commettants, datée de Neuchâtel, avait été publiée en janvier 1790 or, le 1er novembre de la même année, il lançait de Genève sa fameuse brochure Quintius Capitolinus aux Romains. Il disait, après un emphatique tableau des prospérités et des forces de la France d'autrefois... « Cette même France, aujourd'hui que la liberté eût dû l'élever au dernier période de la grandeur humaine, ne peut mettre avec sécurité ni un vaisseau en mer, ni une troupe en campagne. Ses amiraux renoncent à la servir, ses généraux sont en exil, ses négociateurs sont à peine supportés, son commerce est ruiné, ses sujets sont vus partout avec crainte, horreur ou commisération, ses envieux lui insultent, ses ennemis la dévorent d'avance 2. »

Mais que la France fût abaissée, fût affaiblie; que la Révolution la condamnât à perdre son dernier soldat, son dernier matelot, son dernier écu, qu'importait cela ? Pour armer les rois contre elle, il fallait la leur montrer sanglante, hideuse; il fallait en faire une nation de lépreux. Ce fut l'Anglais Burke qui s'en chargea, et comme le livre de cet homme fut en réalité le premier coup de canon tiré en Europe contre la Révolution française, il convient de s'y arrêter un peu.

1 Voy. cette lettre publiée sous le titre de Mémoire du comte de LallyTollendal, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. LALLY-TOLLENDAL, p. 529, 350, British Museum.

2 Ibid., Quintius Capitolinus aux Romains, p. 26.

Depuis que, dans la chambre des communes, Burke avait poussé contre le génic de la France moderne ce cri de haine qui pénétra de tant de douleur l'âme généreuse de Fox 1, son attention s'était portée avec ardeur sur les événements de Paris. Méditant une attaque dont on se souvînt longtemps, il passa plusieurs mois à en rassembler les matériaux. Ses correspondants étaient Dupont, Christie, et, chose singulière, deux des révolutionnaires les plus fougueux de l'époque Anacharsis Clootz et Thomas Payne 2. Inutile de dire que ces deux derniers curent soin de fournir à Burke des documents favorables à la révolution; mais ce que sa passion y cherchait, elle sut bien l'y trouver 3. Il faut voir comme il parle, dans une lettre qu'au mois de mai 1790, il écrivit à lord Charlemont, du soin qu'il apporte à ce grand travail, des facultés qu'il y déploie, du succès qu'il en attend, des émotions qu'il y puise ! Enfin, il parut au commencement du mois de novembre 1790, ce livre trop célèbre, il parut sous le titre de Réflexions sur la Révolution de France (Reflections on the Revolution in France), et, traduit aussitôt par Dupont, il occupa toute l'Europe 5.

Jamais libelle ne fut plus venimeux, et ne contint, à côté de pages d'une éloquence admirable, de plus déplorables fureurs; à côté de puissantes vérités, des erreurs plus grossières. Sincère dans sa haine, nous le croyons, mais aveuglé par elle, Burke semble ne considérer la Révolution. française que comme un prodigieux accès de délire, une orgic incommensurable où le sang tient lieu de vin, un en

1 Voy. dans le quatrième volume de cet ouvrage le chapitre intitulé: Aspect de l'Europe.

2 James Prior, Memoir on the life and character of the Right hon. Edmund Burke, chap. x, p. 347. 1824.

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Son biographe lui en fait un mérite: «The two latter men, more especially, who, though the very fanatics of Revolution and Republicanism, « were fated to supply unintentionally, on their part, some of the mate«rials which Mr. Burke, with equal speed and dexterity, sharpened into

<< their most powerful antidotes. » James Prior, chap. x, p. 247.

4 «

I have been much occupied and much agitated with my employ<< ment. >> Ibid., chap. XI, p. 363.

5 Ibid., p. 364.

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