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de pousser à une conflagration. Ils parlaient avec une légèreté arrogante de la Déclaration des droits, toile d'araignée qu'on saurait bien balayer 1. Lorsque eut lieu la Fédération de Nancy, ils affectèrent d'abord de lui tourner le dos, et ensuite, se ravisant, ils y figurèrent dans un costume dont on remarqua la malpropreté moqueuse 2. L'uniforme de la garde nationale leur était un objet de dédain et un texte de railleries. Il en résulta des provocations, il en naquit des duels où les citoyens curent souvent l'avantage, ce qui accrut l'irritation. Et les chefs de laisser faire. Nicolas, membre de la commune, leur ayant été député et les pressant de prévenir une de ces rencontres, ils s'y refusèrent formellement 3.

Une circonstance particulière vint, en envenimant les inimitiés, leur fournir une occasion d'éclater. Dans les derniers jours du mois de mai, un soldat raconta à ses camarades que la veille, étant en sentinelle à la Pépinière, il avait vu, vers minuit, un autre soldat, qui appartenait au Régiment-du-Roi et se nommait Roussière, s'avancer, l'épée au côté et un bonnet à poil sur la tête, au-devant de deux bourgeois qui passaient tranquillement, les insulter, les provoquer au combat. Ce Roussière était un spadassin bien connu, et on le soupçonnait d'être aux gages des officiers. Le narrateur ajouta que Roussière était suivi, à dix pas de distance, par trois jeunes officiers, Chaffontaine, Bissy et Charitabella; qu'ils lui ordonnèrent, à lui factionnaire, d'arrêter les deux bourgeois, et que sur sa réponse qu'il était juste en ce cas d'arrêter aussi le provocateur, l'un d'eux dit au spadassin : Viens-t'en, il n'y a rien à faire 1.

Le bruit de cette aventure ne manqua pas de circuler dans les chambrées. Là-dessus, les soldats s'indignent. On

1 « Young epauletted men... do sniff openly... at our Rights of man, as at « some new-fangled cobweb, which shall be brushed down again. » Carlyle, The French Revolution, vol. II, book II, chap. III. p. 91. Second edition. They did appear but in mere redingote and undress, with scarcely a « clean shirt on. » Ibid., p. 102.

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8 Rapport de Sillery, p. 3. ▲ Ibid., p. 12.

saisit Roussière, on l'interroge, et il avoue qu'il a été poussé par Charitabella, Chaffontaine et Bissy 1. Les soldats alors demandent à grands cris que le coupable soit passé par les banderoles. Apprenant qu'on l'a seulement condamné à trois mois de prison, ils craignent qu'on ne le fasse échapper, ils le réclament, ils obtiennent qu'on l'amène au quarticr. A peine a-t-il paru, qu'un grenadier, nommé Bourguignon, va droit à lui, et le coiffe d'un bonnet de papier, portant, d'un côté, cette dénomination flétrissante Iscariote, et, de l'autre, ces mots : C'est ainsi que l'honneur punit la bassesse 2. On l'entoure ensuite, on lui coupe les cheveux comme à un capucin, et on le chasse . Les trois instigateurs disparurent.

Cependant, les vexations se multipliaient, chaque jour venait ajouter l'impression de quelque injustice partielle au trésor de ressentiments depuis longtemps amassé dans les cœurs, et il n'était rien qui n'empruntât de l'état général des esprits une importance sinistre. Le chien d'un soldat ayant mordu à la patte celui du colonel, le pauvre soldat fut mis en prison, après avoir eu la douleur de voir tuer son chien devant lui. Il s'était formé dans le Régiment-du-Roi un comité patriotique les officiers mirent tout en œuvre pour le décrier, pour le dissoudre; ils ameutèrent sous main contre lui de basses jalousies, fomentèrent autour de ses délibérations une petite émeute militaire, et finirent par envoyer neuf excellents tircurs d'armes provoquer dans un lieu public les membres du comité. C'est ce que l'on crut, du moins; car il faut reconnaître qu'à cet égard il n'existe aucune preuve décisive. Seulement, on entendit ces misérables spadassins parler de l'argent qu'ils

1 Sur cette affairc, racontée de plusieurs façons différentes, Sillery, dans son rapport à l'Assemblée, cite comme le seul véridique le témoignage des commissaires du roi, sur lequel il s'appuie. P. 12.

2 Histoire abrégée de la Révolution française, par l'auteur de l'Histoire du règne de Louis XVI, t. I, liv. II, p. 51. Paris, M.DCCC.III.

3 Rapport de Sillery, p. 12.

'Histoire abrégée de la Révolution, par l'auteur de l'Histoire du règne de Louis XVI, t. I, liv. II, p.

51.

allaient dépenser au cabaret, comme d'une propriété collcctive, et il fut établi que l'un d'eux, lors de la Fédération, s'était battu contre un citoyen, le lendemain même du jour où il avait reçu six livres du major Compiègne 1.

Quels étaient les crimes de ce comité dont les officiers avaient juré la ruine? « Nous avons sous les yeux, dit Sillery, le procès-verbal des séances. On y remarque un rcspect extrême pour les décrets de l'Assemblée, un amour passionné pour la liberté, et les principes d'honneur qui ont toujours conduit ce brave régiment 2. » Il est vrai qu'il s'était adressé à M. de la Balivière, pour que, conformément au décret qui proscrivait les nominations privilégiées, on suspendit la nomination des cadets-gentilshommes aux places d'officiers; mais cette réclamation, d'ailleurs toute légale, avait été faite sur le ton le plus respectueux 3. On prétendit aussi que ce fut le comité qui souffla au Régiment-du-Roi l'impatient désir d'obtenir des comptes, mais n'y avait-il rien de légitime en ce désir? L'auteur du manuscrit que nous possédons, quelque ardent qu'il se montre à pallier les torts des officiers, ne peut s'empêcher de rcconnaître qu'ils exerçaient en effet des retenues illégales et qu'il y avait des détournements de fonds. Il reproche aux soldats d'avoir cxagéré le chiffre de la masse noire, mais il avoue qu'il « y avait quelque chose de fondé dans leurs réclamations. » Il ne nie pas, du reste, qu'à ces plaintes les officiers n'aient opposé des manoeuvres coupables, celle, par exemple, qui consistait à s'attacher par de grossières séductions les sergents, les maîtres d'armes, et à semer entre les chasseurs et les grenadiers la défiance, la jalousie et la haine 4.

La résistance avait son principal foyer parmi les grenadiers, et trois hommes la dirigeaient: Pommier, simple soldat alors, mais plein d'une audace éclairée par l'instruc

1 Rapport de Sillery, p. 15.

2 Ibid., p. 13.

Ibid., p. 4.

* Manuscrit sur l'affaire de Nancy.

tion, et qui, depuis, devint commissaire des guerres; Arnal, qu'attendait le grade d'officier général, et Bourguignon 1.

Ce dernier était plus particulièrement odieux aux chefs. Un jour, comme il était de garde à la Porte royale, Montluc, qui commandait ce poste, ordonne aux soldats, la retraite battue, de rentrer sous la colonnade qui environnait le corps de garde. Bourguignon refuse. Quoique depuis longtemps négligée, la consigne était formelle: Montluc fait signe qu'on traîne Bourguignon en prison. La compagnie de grenadiers s'y oppose : Denoue, qui avait le gouvernement militaire de la ville, interdit cette compagnie. Toutes les compagnies de grenadiers réclament: Denoue interdit toutes les compagnies. Le régiment prend parti pour les grenadiers: Denouc interdit tout le régiment 2.

C'en était fait, la discipline était perdue. Denoue ayant invité la garde nationale à partager avec Mestre-de-Camp et Châteauvieux l'honneur de garder la ville, le Régimentdu-Roi déclara qu'il était résolu à ne point céder son service. On touchait à quelque affreux malheur : la municipalité, saisic d'effroi, conjura Denouc de révoquer l'interdiction; il fallut céder, et les portes de la ville furent abandonnées à la garde d'un régiment rebelle 5.

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Pendant ce temps, des scènes de même nature éclataient à Metz. Bouillé, qui y commandait, a raconté lui-même dans ses Mémoires comment le régiment allemand SalmSalm s'y souleva. Ici encore, il s'agissait d'argent, de comptes à rendre. Se voyant repoussés dans leurs réclamations, les soldats avaient formé le projet de s'emparer de la caisse et des drapeaux, qui étaient chez le chef du régiment. Informé de ce dessein, Bouillé rassemble aussitôt les officiers, court se mettre avec eux devant la porte de la maison, attend l'épée à la main. Les grenadiers arrivent, portant les armes

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en bon ordre, et se rangent devant leurs chefs; mais leur passer sur le corps, ils ne l'osent. Naturellement intrépide, et incapable de fléchir, Bouillé fait parvenir à un régiment de dragons, dont les casernes étaient contiguës, l'ordre de monter à cheval et de charger le régiment allemand, mais il ne peut rien obtenir. Ce fut alors un étrange spectacle. Pendant deux heures, on vit d'un côté les officiers, de l'autre les soldats s'obscrver, se mesurer du regard, sans faire un pas en avant, sans prononcer une parole. Mais comme autour d'eux la multitude grondait et que Bouillé fut plusieurs fois couché en jouc, la situation se serait probablement dénouéc d'une manière sanglante, si la municipalité ne fût intervenue en corps. Le maire ayant harangué les soldats, ils regagnèrent leurs casernes dans le plus grand calme, « ce qui n'empêcha pas, écrit Bouillé, que le lendemain ils ne se fissent donner la moitié de la somme qu'ils avaient exigée la veille 1. »

A la nouvelle de ces désordres, l'Assemblée rendit en toute hâte un décret qui, proposé par Emmery et sur-lechamp sanctionné par le roi, portait :

Qu'il n'y aurait plus d'associations délibérantes dans les régiments;

Que le roi serait supplié de nommer des inspecteurs extraordinaires choisis parmi les officiers généraux, pour procéder à la vérification des comptes depuis six ans, et cela en présence du commandant de chaque corps, du dernier capitaine, du premier lieutenant, du premier souslieutenant, du premier et du dernier sergent, du premier et du dernier caporal ou brigadier, et de quatre soldats, tirés au sort;

Qu'il ne serait plus cxpédié de cartouches jaunes qu'en vertu d'un jugement prononcé selon les formes usitées dans l'armée;

Que les cartouches jaunes expédiées jusqu'alors sans l'ob

1 Mémoires du marquis de Bouillé, chap. VIII, p. 133, 134 et 135. Collection Berville et Barrière.

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