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d'être raisonnable: ils n'en seront pas à l'A, B, C, de la conduite, tant qu'ils ne sauront pas cela 1. »

Mirabeau se trouve donc l'avoir avoué : les considérants, dans son discours, étaient à l'adresse du peuple, et les conclusions à l'adresse de la cour. Engagé misérablement entre deux pouvoirs, dont le second payait le solde de ses plaisirs, et dont le premier tenait l'encensoir où la popularité fume, il aurait voulu se les concilier tous les deux, et tous les deux il les trompait... ou, plutôt, il s'efforçait de les tromper; car, quoi qu'en disent ceux qu'on appelle les habiles, réussir par la fausseté est difficile même au génie. La lettre suivante de l'archevêque de Toulouse au comte de la Marck montre assez qu'à la cour on ne fut pas aussi dupe de la stratégie de Mirabeau qu'il l'avait espéré :

« Le discours de Mirabeau m'a paru encore plus détestable en le lisant, que lorsque je l'ai entendu. Le plus mauvais service que puissent lui rendre ses ennemis, c'est de le répandre 2. »

Le 27 novembre, la discussion fut reprise. Pétion fit ce rapprochement, que Camille Desmoulins déclara valoir un long discours La théologie est à la religion ce que la chicane est à la justice . L'inflexible Camus insista pour que le coup frappé sur les prêtres rebelles témoignât de la force du bras qui le frappait. L'abbé de Montesquiou défendit le clergé avec la douceur et la grâce qui caractérisaient son talent. Mais là où Mirabeau avait parlé, l'athlète que tous attendaient, c'était Maury. Il s'élança dans la lice, plus présomptueux, plus âpre, plus irritant que jamais. Armé d'une science théologique qui manquait à son grand rival, il l'accusa d'avoir dit que tout évêque était « un évêque univcrsel, » et comme celui-ci affirmait que d'aussi ridicules paroles n'étaient jamais sorties de sa bouche, l'abbé Maury

1 Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, t. II, p. 360 et 361.- Paris, 1851.

2 Ibid., p. 363.

Révolutions de France et de Brabant, no 54.

prouva que ce qui avait été avancé par Mirabeau ne signifiait pas et ne pouvait pas signifier autre chose, de sorte que le propos rappelé était bien réellement sorti sinon d'une bouche ridicule, au moins d'une tête absurde. » Mirabeau ne répondant pas à cette provocation, Maury déclara qu'il tenait pour une constatation de sa victoire le silence de son adversaire 1, et il redoubla d'insolence. Suivant un auteur peu suspect de partialité révolutionnaire, et qui fut mêlé activement à ce qu'il raconte, le but du clergé, dans la séance du 27, n'était pas d'empêcher un décret que ses résistances avaient rendu inévitable, mais d'exciter un orage de nature à faire croire que ce décret était l'ouvrage de la violence, de l'oppression, de l'impiété 2. De là les provocations calculées de l'abbé Maury. Mais la modération, calculée aussi, de la gauche déjoua cette tactique. Immobile, silencieuse, elle laissa l'orateur du clergé exhaler en phrases vaines ses froides fureurs. Au moindre mouvement d'impatience, perceptible dans l'Assembléc, Alexandre Lameth, qui présidait, disait avec un sang-froid désespérant : « Attendez, monsicur l'abbé. Je vous ai promis la parole, jc vous la maintiendrai, » ou bien, le visage tourné vers la gauche et le sourire de l'ironic sur les lèvres : « M. l'abbé Maury voudrait bien qu'on l'interrompît, mais je lui maintiendrai la parole malgré lui-même. » Il en résulta qu'après deux heures d'objurgations éloquentes, de longues digressions et d'efforts pénibles, « l'abbé Maury descendit de la tribune, furieux de ce qu'on ne l'en avait pas chassé, et si hors de lui, qu'il ne songea pas même à prendre de conclusions 3. »

Il fut décrété :

Que les évêques, curés, vicaires, fonctionnaires publics, seraient tenus de jurer fidélité à la nation, à la loi et au roi;

1 Voy. le discours de l'abbé Maury dans l'Histoire parlementaire, t. VIII, p. 130-141.

2 Mémoires de Ferrières, t. II, liv. VIII, p. 192. Collection Berville et Barrière.

5 Ibid., p. 193 et 196.

Qu'ils s'obligeraient à maintenir la constitution de tout leur pouvoir;

Que les réfractaires scraient remplacés;

Que les prêtres qui violeraient leur serment, après l'avoir prêté, seraient poursuivis comme rebelles à la loi, privés de leur traitement, déclarés déchus des droits de citoyen actif;

Qu'enfin le serment prescrit serait prêté, par les prêtres membres de l'Assemblée, dans la huitaine à partir du jour où le décret aurait été sanctionné 1.

Le clergé se montra résolu à résister jusqu'au bout; Louis XVI, qui déjà songeait à des projets de fuite, était en proie aux plus cruelles incertitudes. Déjà près d'un mois s'était écoulé, et la sanction n'arrivait pas. Le 23 décembre, plein d'une impatience sombre, Camus dénonce ces retards, il s'en étonne, il s'en indigne, il tonne contre le pape, il tonne contre le clergé. Aux cris qu'il pousse, l'Assemblée s'émeut. Une députation est envoyée au roi pour solliciter une décision immédiate. Louis XVI répond qu'il croit devoir à la religion, à la tranquillité publique, de peser mûrement l'exécution d'un tel décret, afin de la rendre aussi sûre et aussi douce que possible. Mais quoi! Est-ce qu'il était loisible au roi de refuser son acceptation aux décrets constitutionnels, et de différer plus de huit jours sa sanction, quand il s'agissait de décrets purement réglementaires? Que signifiaient tant de détours et tant de lenteurs ? Était-ce la permission du pape qu'on attendait, de celui que les évêques nommaient le chef de l'Église, comme si le chef de l'Église pouvait être autre que Jésus-Christ, son fondateur? Ainsi parle Camus 2, et, malgré l'opposition de l'abbé Maury, l'Assemblée décrète que son président se retirera le lendemain vers le roi pour le prier de donner, sur le décret du 27 novembre, une réponse signée de lui et contre-signée par le secrétaire d'État. Or, ce jour-là même, 23 dé

1 Décret du 27 novembre 1790.

2 Séance du soir, 23 décembre 1790.

3 lbid.

cembre 1790, comme pour donner à leur prochaine victoire la consécration d'un grand souvenir, les adversaires du clergé faisaient passer le décret suivant :

«Art. 1er. Il sera élevé à l'auteur d'Émile et du Contrat social une statue portant cette inscription: LA NATION FRANÇAISE LIBRE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. Sur le piédestal sera gravée la devise: Vitam impendere vero.

« Art. 2. Marie-Thérèse Levasseur, veuve de J. J. Rousscau, sera nourrie aux dépens de l'État; il lui sera payé annuellement, des fonds du trésor public, une somme de douze cents livres. >>

« Hâtez donc, s'était écrié Maury, hâtez cette nouvelle espèce de combat; pressez cette sanction d'un décret si cher à votre cœur. Les victimes sont prêtes: pourquoi prolonger le supplice d'une plus longue attente? Essayez, pour vous faire des partisans, le moyen du martyre. Domincz, ou, plutôt, apprenez que le règne de la terre touche à son terme. Votre puissance n'est plus rien, dès que nous cessons de la redouter 1. »

:

Cette impétueuse apostrophic annonçait clairement quelle allait être désormais l'attitude du clergé : il était décidé à se montrer tendant la tête au couteau. De son côté Louis XVI en était venu à ne plus vouloir qu'une chose paraître opprimé! Une émeute de quelques centaines de personnes, qu'on crut excitée par la cour elle-même, vint fort à propos fournir au monarque l'occasion de jouer ce rôle. En accordant sa sanction, au bruit de clameurs factieuses, il avait l'air de céder à la force, ct sa conscience se payait de ce sophisme.

Le 26 décembre, à l'Assemblée, un cri de joie annonce, vers la gauche, que la bataille est enfin gagnée, et une lettre signée Louis, contre-signée Duport du Tertre, est communiquée solennellement aux représentants du peuple. Le roi y expliquait le retard apporté à l'acceptation par des motifs de haute prudence. S'il se décidait maintenant, c'était parce

1 Barruel, Histoire du clergé pendant la Révolution française, t. I, p. 59

u'on avait paru élever sur ses intentions des doutes que lui rendait insupportables sa candeur. Il se confiait à l'assemblée en retour, il lui demandait sa confiance, bien sûr qu'il en était digne 1.

Jansénistes et voltairiens triomphaient ils célébrèrent leur commune victoire, les premiers avec cette gravité un peu farouche qui fut le caractère des presbytériens d'Écosse, les seconds avec une vivacité toute française.

Un petit drame domestique vint, en ce temps-là même, aiguillonner l'ardeur de celui que Voltaire, ressuscité, eût sans hésitation salué son lieutenant. Camille Desmoulins adorait une jeune fille charmante, Lucile Duplessis, et elle l'aimait. Depuis longtemps, les deux cœurs émus allaient au-devant d'une union à laquelle il ne restait plus au mois de décembre 1790, le consentement des parents ayant été obtenu, qu'un seul obstacle, un seul, mais difficile à surmonter la consécration du prêtre. Il fallut que, déposant son léger carquois et prenant un air contrit, Camille se présentât, pour obtenir d'être marié, à Pancemont, curé de Saint-Sulpice. Ce fut une curieuse entrevue, et quel dialogue! Tout d'abord, le curé demanda: «< Êtes-vous catholique? Pourquoi cette question, monsieur? - Parce que, si vous n'êtes pas catholique, je ne puis vous conférer un sacrement de la religion catholique. — Eh bien, oui, je suis catholique. - Non, monsieur, vous ne l'êtes pas, puisque vous avez dit dans un de vos numéros que la religion de Mahomet était tout aussi évidente à vos yeux que celle de Jésus-Christ. Vous liscz donc mes numéros? Quelquefois. Vous ne voulez donc pas, monsieur le curé, me marier? - Non, jusqu'à ce que vous fassiez une profession de foi catholique 2.

-

"

Camille Desmoulins recourut au comité ecclésiastique,

1 Séance du 26 décembre 1790.

2 Ceci est tiré d'une brochure publiée en 1792 sous ce titre : Histoire des événements arrivés dans la paroisse de Saint-Sulpice pendant la Révolution. M. Fleury cite le passage en question dans sa biographie sur Camille Desmoulins.

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